Fermes maraîchères bios: le modèle de la dernière chance - Caribou

Fermes maraîchères bios: le modèle de la dernière chance

Publié le

17 avril 2024

Texte de

Julie Francoeur

Photos de

Michael Abril

En janvier dernier, deux fermes bien connues tournaient le dos au modèle des paniers bios. Sur leurs réseaux sociaux respectifs, Les Bontés de la Vallée et Cadet Roussel annonçaient un «retour aux sources». De quel retour aux sources s’agit-il? Et pourquoi chercher à faire évoluer un modèle qui semblait avoir fait ses preuves? Caribou propose une incursion dans le monde des petites fermes maraîchères bios qui tentent de remettre la communauté au cœur de leurs pratiques.
fermes maraîchères bios
Mélina Plante et François D'Aoust, Les Bontés de la Vallée
En janvier dernier, deux fermes bien connues tournaient le dos au modèle des paniers bios. Sur leurs réseaux sociaux respectifs, Les Bontés de la Vallée et Cadet Roussel annonçaient un «retour aux sources». De quel retour aux sources s’agit-il? Et pourquoi chercher à faire évoluer un modèle qui semblait avoir fait ses preuves? Caribou propose une incursion dans le monde des petites fermes maraîchères bios qui tentent de remettre la communauté au cœur de leurs pratiques.
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«Ç’a été des montagnes russes d’émotions, raconte Mélina Plante, rejointe au bout du fil. Mais là, on a confiance qu’on va atteindre notre objectif.»

C’était le 22 février 2024. La veille, Mélina et François D’Aoust, propriétaires de la ferme Les Bontés de la Vallée, à Havelock, en Montérégie, terminaient la première ronde de ce qu’ils appellent «la récolte des engagements». Une période de trois semaines qui consiste à recueillir une à une les promesses des membres pour que la saison 2024 puisse démarrer. Une sorte d’ultimatum qu’ils ont lancé à leur communauté, après avoir brièvement envisagé de larguer les amarres.

«L’année 2022 avait été notre pire saison à vie, côté nombre d’abonnés. Comme beaucoup d’autres fermes, on avait subi le contrecoup de la pandémie. Après le confinement, la population avait voulu être libre de contraintes et voyager. On ne pouvait plus continuer comme ça.»

Dans un message partagé sur leur infolettre et repris par Caribou au moment de l’annonce de son retrait des paniers bios à l’hiver 2023, le couple partageait déjà les grandes lignes du modèle d’agriculture soutenue par la communauté (ASC) qu’il avait en tête.

Le modèle en question? Celui de la Temple-Wilton Community Farm aux États-Unis. La ferme communautaire qui a inspiré la première génération de maraîchers sur petite surface au Québec, avant qu’Équiterre popularise la formule des paniers bios en créant le Réseau des fermiers·ères de famille.

À chaque fin d’automne, depuis 1986, les fermiers de la Temple-Wilton Community Farm évaluent leurs dépenses en détail et présentent aux familles leurs besoins financiers pour couvrir l’ensemble de leurs coûts de production pour l’année à venir. Chaque famille partenaire indique ce qu’elle peut défrayer pour participer à la saison, indépendamment des prix de marché. En échange, elle reçoit tous les légumes dont elle a besoin en cours de saison. Un partenariat ferme-citoyen exemplaire qui permet de mettre en pratique la protection de l’environnement, la solidarité sociale et le partage des risques et des bénéfices liés à la production agricole.

Une première génération de fermes en ASC

Au Québec, l’émergence du modèle des paniers bios est largement associée à l’action d’Équiterre, qui a fait un immense travail d’organisation et de promotion du Réseau auprès de ses membres et de la population. Mais avant qu’Équiterre ne mette en place le Réseau des fermiers·ères de famille en 1996 (1995 avait été une année pilote avec la ferme Cadet Roussel), un noyau de sept entreprises opéraient déjà selon les principes de l’ASC, qu’elles avaient empruntés à Trauger Groh, un précurseur qui venait de s’installer dans la région de Wilton, au New Hampshire, après avoir travaillé dans une ferme communautaire en Allemagne. Avec le producteur de lait Lincoln Geiger et plusieurs autres familles, Groh y avait démarré la Temple-Wilton Community Farm, dans le but de faire pousser des légumes, mais aussi de favoriser le bien-être et l’éducation de la communauté, convaincu que le cadre de la ferme était «porteur de leçons profondes pour l’humanité». À la Temple-Wilton Community Farm, trois fermiers produisaient la quasi-totalité des légumes pour les 63 familles impliquées (carottes, laitues, kales, brocolis…), en retour de quoi elles s’engageaient à soutenir la ferme, bon an, mal an, en fonction de ce qui leur semblait juste et approprié.
fermes maraîchères bios

L’évolution du modèle des paniers bios

Encouragés par les mots reçus lors de la parution de l’infolettre, Mélina et François décident de reprendre leurs activités et de rendre possible un nouveau contrat avec la communauté.

«Quand j’ai fait une formation il y a 20 ans chez Équiterre, on m’avait parlé de l’histoire de l’ASC. Je l’avais toujours gardée en tête. J’y pensais souvent», raconte François.

Ayant commencé dans le métier il y a plus de 16 ans, le couple dit avoir assisté à l’évolution du modèle et à la croissance du nombre de fermes et de familles au sein du Réseau des fermiers.ères de famille. Une croissance qui a été encouragée par la multiplication des points de chute, la diversification des options d’abonnement (toutes les semaines, toutes les deux semaines) et la possibilité offerte aux abonnés de décaler une livraison de deux semaines pour prendre des vacances. Des ajustements volontaires qui peuvent paraître anodins, mais qui ont contribué à «dénaturer» le modèle en ajoutant un poids indu sur les maraîchers, selon les principaux concernés.

«Au début, on trouvait ça logique de faire preuve de plus de flexibilité auprès des abonnés, de les accommoder au maximum, on avait le goût que ça prenne de l’ampleur, que les paniers attirent plus de monde.»
Mélina Plante

«Ça allait bien, les jeunes maraîchers étaient devenus matures, Jean-Martin [Fortier] avait publié son livre [Le Jardinier-maraîcher: manuel d’agriculture biologique sur petite surface], il avait proposé des méthodes de travail qui avaient amené beaucoup au milieu du maraîchage», ajoute François.

«Le problème, c’est qu’avec le temps, on a fini par s’éloigner de certains des fondements de l’ASC en se faisant croire qu’il était possible de faire de l’agriculture agroécologique dans un modèle de petites start-up dynamiques, alignées sur le marché. Dans les faits, ça nous a amenés à devoir fixer nos prix en fonction de la concurrence plutôt qu’en fonction de nos coûts réels de production.»

L’ensemble de ces évolutions, notamment propulsées par la popularisation d’un modèle de microferme maraîchère sur petite surface économiquement viable, sont venues avec un affaiblissement de certaines notions importantes en ASC, selon le maraîcher. Parmi celles-ci, le partage des risques, qui implique d’assumer collectivement les conséquences des conditions météo pour les récoltes.

«On en est venus à se mettre d’accord pour que les fermes qui avaient une mauvaise saison en raison de la température achètent des légumes à d’autres fermes ou remboursent certains montants à leurs abonnés…»

Un constat qu’il convient de nuancer, selon Émilie Viau-Drouin, directrice générale de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ), qui assure que son association encourage les membres à expliquer à leurs abonnés que le modèle vient avec un partage des risques. La CAPÉ a pris la relève de la direction du Réseau des fermiers·ères de famille en 2020.

«Je crois que plusieurs abonnés croient qu’ils assument une partie des risques, mais ils ne savent peut-être pas que les fermiers pédalent fort derrière!» suggère Mélina, dont la ferme a aussi subi seule les risques liés à l’inflation.

Entre 1996 et 2023, le nombre de fermes membres du Réseau des fermiers·ères de famille est passé de 7 à 167 alors que le nombre d’abonnés aux paniers bios est passé de 250 à 25 000 pour la même période. [Sources: Équiterre et la CAPÉ]

«L’élastique est rendu très étiré»

Dans un article paru il y a quatre ans, Mélina et François se plaignaient déjà du fait que le coût des pratiques régénératrices reposait entièrement sur le dos des fermiers et appelaient la population à travailler avec le monde agricole à un projet qui soit à la fois nourricier et régénérateur.

C’était en février 2020, juste avant la pandémie et l’inflation qui ont porté le coup de grâce à de nombreuses fermes. Mélina et François disaient manquer de temps et de ressources pour bien prendre soin de la fertilité des sols.

«Il faut comprendre qu’au sein de la gang de maraîchers, on est nombreux à faire de l’agriculture parce c’est une forme d’écologie appliquée. Mais à force de se retrouver dans un équilibre précaire et de devoir abandonner nos pratiques, plusieurs ont terminé l’année 2023 en se demandant s’ils allaient faire une autre saison. L’élastique est rendu très étiré.»

Anne Roussel, de la ferme Cadet Roussel, à Mont Saint-Grégoire, aussi en Montérégie, fait partie de ces maraîchers dont l’élastique est sur le point de céder. Copropriétaire de la première ferme à avoir intégré le réseau d’Équiterre, en 1995, elle a été de ceux qui ont communiqué avec le couple Plante-D’Aoust, à l’hiver 2023, après avoir pris connaissance de leur situation.

«On aurait pu écrire la même lettre», lance Anne, rencontrée entre deux séances d’information pour expliquer le modèle qu’elle propose cette année à ses abonnés.

«Ça faisait quatre ans qu’on était à la recherche de solutions. Arnaud était au bout du rouleau. Moi, j’avais fait une rupture d’anévrisme», raconte celle qui a pris la relève familiale de Cadet Roussel, avec son conjoint Arnaud, il y a 14 ans.

L’après-pandémie avait été dramatique pour la ferme familiale, comme pour beaucoup d’autres, qui ont vu leur nombre d’abonnés diminuer radicalement une fois le retour à la normale déclaré.

«Quand la pandémie est arrivée, on s’est rapidement retrouvé avec une liste d’attente de 150 familles, dont plusieurs étaient des abonnés de longue date qui ne s’étaient pas inscrits à temps. Et du moment que la pandémie a pris fin, les gens sont partis pour voyager. On s’est retrouvé avec un déficit de 100 familles.»

Deux mauvais étés successifs plus tard, il était devenu évident que les prix de marché ne leur permettraient plus de vivre des revenus de la ferme.

«On a dû acheter des légumes à d’autres fermes pour compenser. Beaucoup de légumes. J’ai acheté huit tonnes de carottes, six tonnes de betteraves…»
Anne Roussel

Résultat: à l’été 2023, lorsqu’un conseiller de la Financière agricole se rend à la ferme, l’entreprise est au bout de sa capacité d’endettement. Les propriétaires, bien qu’ayant remporté la Médaille de bronze du Mérite Agricole 2023, ne se sont pas donnés de salaires depuis quelques années. Le conseiller leur recommande alors de prendre un emploi à l’extérieur de la ferme, pour renflouer les coffres.

«Le conseiller nous a dit que tout était beau. Qu’il n’avait rien à nous recommander, sinon d’aller travailler à l’extérieur. On a compris, à ce moment-là, qu’on ne pouvait pas recommencer une saison en n’étant pas sûr de notre nombre d’abonnés. Faire confiance au fait que les gens allaient vouloir des légumes, comme avant, ça ne marchait plus.»

Sortir les légumes du marché

Dans les mois qui suivent, Anne assiste à toutes les réunions d’information des Bontés de la Vallée. Décembre-janvier, les amis passent trois demi-journées ensemble afin d’échanger des idées pour concrétiser leur modèle de rêve, fortement inspiré des principes de la Temple-Wilton Community Farm.

Première étape: décroître. Alors que Cadet Roussel et Les Bontés de la Vallée produisaient respectivement des paniers pour 700 et 400 familles, elles revoient leurs objectifs à la baisse: 300 et 250. Un parti pris qui devait leur libérer du temps pour réintégrer les pratiques régénératrices que le marché pousse à délaisser, mais qui allait aussi exiger un engagement financier plus important de la part des membres de la communauté.

Les budgets établis par les fermes tiennent compte de la possibilité de prendre des décisions fondées sur les besoins de l’écosystème, tels que la culture d’engrais verts, qui permet d’améliorer l’état du sol et d’y apporter tout l’azote nécessaire.

Les familles sont invitées à déterminer elles-mêmes ce qu’elles peuvent donner. «Nous souhaitons que notre projet soit accessible au plus grand nombre et à toutes les classes sociales. Dans ce modèle, nous avons l'espoir que certaines personnes qui mangent peu de légumes contribuent plus financièrement alors que d’autres qui mangent plus de légumes paient à la hauteur de leurs capacités», peut-on lire sur le site web de la ferme Cadet Roussel.
«Le nouveau modèle nous permettra de nous donner des barèmes de qualité plus élevés que le bio. Du moins, suffisamment élevés pour ne pas que la terre se dégrade.»
François D’Aoust

Première terre agricole biologique protégée à perpétuité au Québec par une fiducie d’utilité sociale agroécologique, Cadet Roussel y voit également une façon de «sortir les légumes du marché», un peu comme la ferme a sorti sa terre du marché en 2010.

«Notre nouveau modèle implique de s’affranchir du concept d’abonnés, et de revenir à une relation de partenariat, comme aux origines du mouvement. Le soutien est donc beaucoup plus important des deux côtés. Oui, on demande aux familles de soutenir la ferme à la hauteur de leur capacité financière, mais si un de nos partenaires a une mauvaise année, qu’il est au chômage et qu’il peut moins donner, nous, on continue à subvenir à ses besoins en légumes de la même façon.»

Un concept que la plupart des familles accueillent très favorablement, selon les principaux concernés.

«La réaction a été très positive. Les gens sont touchés par l’idée de participer à quelque chose de plus grand qu’eux, indique François, qui débute sa saison 2024 avec une charge un peu moins lourde sur les épaules.

«Il y a tout de même des gens qui sont surpris, qui pensaient que nos fermes allaient bien. C’est de leur faire prendre conscience que le modèle qu’on trouvait génial, qu’on a vendu pendant des années, est essoufflé. Et nous aussi…» reconnaît Anne, qui s’apprête à commencer la saison agricole sur de nouvelles bases.

fermes maraîchères bios La ferme Cadet Roussel avait besoin de 625 000$ pour nourrir 300 foyers pendant 48 semaines.
Les Bontés de la Vallée partent la saison avec un revenu de 295 000$ pour nourrir 250 foyers pendant 22 semaines.

«On a fait fausse route en pensant que l’ASC était possible à l’intérieur de l’entreprise capitaliste»

Véronique Bouchard partage le diagnostic de ses confrères.

En attente à la Société de l’assurance automobile du Québec où elle s’affaire à régler les derniers détails de sa transition coopérative, la directrice générale de la Coop aux petits oignons, à Mont-Tremblant, dans les Laurentides, raconte ses derniers mois.

«On est passé chez le notaire le 27 octobre dernier. On avait neuf mois pour atteindre notre objectif de 100 membres, dont 13 membres travailleurs et 87 membres de soutien. Ça nous a permis de récolter 100 000$, en plus des 100 000$ en parts privilégiées qu’on a obtenues auprès de certains membres.»

«Ç’a été des mois assez intenses, indique celle qui souligne l’audace et le courage de ses collègues des Bontés de la Vallée et de Cadet Roussel. Je me disais que si on n’obtenait pas le soutien de la communauté, ça montrerait que notre projet de coopérative de solidarité n’était pas la bonne solution pour nous. Mais on a senti dès le départ l’appui d’un noyau de membres.»

Ce changement de structure était primordial pour l’agronome de formation, qui était elle aussi passée par un épisode d’épuisement à force de piler sur ses principes pour assurer la rentabilité de sa ferme.

«En agriculture, tout se passe comme si on marchait dans une cage d’écureuil. On adopte certaines façons de faire pour diminuer nos coûts, mais rapidement, on est rattrapés par les prix de marché qui baissent. Comme d’autres, je me suis brûlée en essayant de remplir la mission impossible qui nous est confiée, comme agriculteurs. Le jour où il a été question d’embaucher des travailleurs étrangers temporaires pour faire baisser les coûts, je me suis mise à trembler comme une feuille tellement ça me stressait», se rappelle Véronique.

Un véritable rocher de Sisyphe, qui l’a amenée à revoir ses façons de faire.

«Soit j’augmentais mes coûts, soit j’acceptais des compromis. Maintenant que la communauté est mobilisée aux côtés de l’équipe de travailleurs, mes coûts sont stables, et je ne fais aucun compromis. Ce n’est pas parfait, mais on a déjà réussi à planter des haies de vivaces et d’arbustes, et à faire plus d’engrais verts, pour protéger la terre.»
Véronique Bouchard
Fermes maraîchères bios Véronique Bouchard, directrice générale de la Coop aux petits oignons. | Crédit photo: Chantal Lecours
Crédit photo: Chantal Lecours

«J’en suis ressortie plus forte et plus alignée», dit Véronique, qui planifie maintenant transformer la terre en fiducie pour protéger à perpétuité sa vocation écologique. Elle est par ailleurs catégorique à l’effet que l’avenir du mouvement repose sur les modèles qui font directement appel à la communauté, quels qu’ils soient.

«On a fait fausse route en pensant que l’ASC était possible à l’intérieur de l’entreprise capitaliste. Pour l’instant, à la coop, on mise sur l’implication de la communauté par le bénévolat, l’avoir collectif (parts privilégiées) et les partenariats avec des organismes communautaires. Mais on reste ouvert à évoluer vers un autre modèle d’ASC.»

Collectiviser la mise en marché

François Biron pense aussi que des choix difficiles attendent les fermes, que l’épuisement est réel, et qu’il est nécessaire de répartir la charge associée à l’agriculture entre plusieurs personnes.

Le propriétaire de la ferme Chapeau Melon, à L’Ange-Gardien, en Outaouais, a lui-même traversé une période de stress importante, après avoir investi dans des serres pendant la pandémie. En «vedette» dans le documentaire Récolter l’hiver, présenté à Télé-Québec le 10 janvier dernier, il avait confié que le stress avait fini par provoquer en lui une anxiété telle qu’il avait dû prendre des antidépresseurs pour s’en sortir.

«À l’hiver 2021-2022, j’ai vraiment eu peur que les accumulations de neige détruisent les serres jumelées. Ça représentait un gros investissement. Je n’étais plus capable de gérer le stress. C’était… trop.»

Comme tous les autres, François raconte que la pandémie était venue avec une ruée vers les légumes bios. «Le retour de la pendule a été difficile. On avait agrandi nos installations, et il a fallu rentrer dans nos investissements.»

«En agriculture, il faut que tu prennes des décisions difficiles pour sauver la rentabilité de ton entreprise. Il n’existe pas un meilleur modèle que le modèle avec lequel tu es confortable, comme producteur. Personnellement, quand j’ai démarré mon entreprise, j’ai mis beaucoup de temps à accepter que j’étais plus à l’aise avec les grandes cultures qu’avec le modèle des paniers», affirme celui qui dit avoir finalement trouvé «le meilleur des deux mondes» dans les Bio locaux d’hiver, une variante de l’ASC dans laquelle 14 fermes s’unissent pour offrir des paniers bios à plus de 1000 familles à travers 26 points de chute sur l’île de Montréal.

«On a souvent tendance à sous-estimer ce que ça représente pour les producteurs de préparer les paniers, de les livrer aux points de chute, de gérer les relations avec les consommateurs, etc. Ce sont des coûts qui ne sont pas nécessairement reflétés dans le prix des paniers. Les Bio locaux nous permettent d’aller chercher le prix de détail des paniers bios, tout en évitant ces frais de mise en marché.»

Une réalité partagée au sein du Réseau des fermiers·ères de famille, selon la CAPÉ

Du côté de la Coopérative d’agriculture de proximité écologique, on reconnaît que l’après-pandémie, l’inflation et la concurrence ont porté un coup dur aux maraîchers, qui sont à la recherche de solutions pour s’adapter aux nouvelles réalités. Si, à l’échelle du Réseau, on compte aujourd’hui plus d’abonnés qu’avant la pandémie, on compte également plus de fermes, et certaines craignent ne plus pouvoir se fier exclusivement aux paniers bios pour assurer leurs revenus. Selon Émilie Viau-Drouin, directrice générale de l’organisation, la relève est particulièrement à l’affût de ces enjeux.

«On sait que les gens se tournent vers les paniers bios parce qu’ils sont 20% moins chers que les produits bios vendus au supermarché. Nos maraîchers ne peuvent pas augmenter leurs prix, malgré la hausse des coûts, sans risquer de perdre des abonnés.»

Une réalité qui les frappe encore plus durement, maintenant qu’ils font face à de nouvelles concurrences. «Ces dernières années, certains distributeurs ont fait leur place sur le marché en proposant des paniers sans abonnement. Le problème, c’est que les gens les confondent souvent avec nos fermiers de famille. On doit donc redoubler d’efforts pour expliquer le concept d’ASC à nos abonnés.»

L’avenir de l’ASC réside dans la diversité, selon la jeune directrice, qui assure que son organisation est proactive dans la recherche de solutions adaptées aux besoins de ses membres. «Chaque ferme a sa couleur, et je trouve ça magnifique d’avoir plus de 150 fermes qui ont chacune leur façon de faire de l’ASC – que ce soit le système d’abonnement aux paniers bios, l’offre de cartes prépayées ou le nouveau modèle proposé par les Bontés de la Vallée et Cadet Roussel.» Un avis partagé par les deux fermes, qui demeurent affiliées au Réseau. «On continue de faire partie intégrante du mouvement, au même titre que les fermiers qui offrent des abonnements ou des cartes prépayées», rassure Anne.

«La CAPÉ suit les développements de ces fermes avec beaucoup d’enthousiasme parce que c’est potentiellement le début d’une ère où le soutien de la communauté va être du jamais-vu au Québec.»

Pour un soutien renouvelé de la communauté

Longtemps limitée aux paniers bios, l’ASC au Québec se décline aujourd’hui sous différentes variantes, entre le marché et la communauté. Face à l’insatisfaction grandissante de plusieurs maraîchers sur petite surface et à la conjoncture économique défavorable, l’ASC connaît d’importantes mutations pour affronter les nouveaux enjeux qui frappent de plein fouet les fermes, qui ne se sentent plus nécessairement à l’abri de l’inflation et des autres incertitudes amenées par le marché. Même si les modèles d’entente varient d’une ferme à l’autre, ils visent tous la pérennité des petites entreprises et de l’agriculture d’ici.

Une chose est sûre: sans un soutien renouvelé de la communauté pour appuyer les fermiers de famille, l’avenir de plusieurs des petites fermes qui poussent sur le territoire et qui contribuent à nous nourrir sera hypothéqué.

Petit lexique de l'ASC

Agriculture fondée sur un système de partenariat qui permet de mettre en pratique la protection de l’environnement, la solidarité sociale et d’accepter de partager les risques et les bénéfices que représente la production agricole.

Variante dans la formule ASC en vertu de laquelle les gens s’abonnent et paient d’avance un producteur agricole pour recevoir, selon les conditions fixées et à un point de chute précis, une quantité déterminée de denrées.

Formule d’abonnement à la carte, permettant aux abonnés de choisir eux-mêmes leurs légumes aux kiosques du producteur, selon les disponibilités du moment. Cette variante est généralement considérée comme étant plus flexible pour les consommateurs.

Variante dans la formule ASC inspirée par la Temple-Wilton Community Farm aux États-Unis. On considère qu’il s’agit de l’ASC dans sa forme la plus aboutie.

Variante dans la formule ASC en vertu de laquelle des producteurs agricoles s’unissent pour offrir des paniers bios durant la saison hivernale. Par exemple, à Montréal, 14 fermes desservent 26 points de chute sur l’île où s’approvisionnent un peu plus de 1000 abonnés.

Réseau mis sur pied par Équiterre en 1996, qui vise à établir une relation de liens alimentaires solidaires et écologiques entre les citoyens et leurs fermiers de famille. Depuis 2020, il est chapeauté par la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ).

Entreprise agricole fonctionnant selon les principes de l’ASC—retour aux sources.

Entreprise agricole détenue et administrée par une association de membres volontaires. On compte 47 fermes coopératives actives au Québec, dont le tiers sont des coopératives de solidarité. Leur mise en marché se fait majoritairement en circuit court, notamment en ASC.

La ferme communautaire expliquée par Francois et Mélina

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