Gourmet sauvage: l'arbre devenu forêt - Caribou

Gourmet sauvage: l’arbre devenu forêt

Publié le

15 septembre 2022

Texte de

Benoit Valois-Nadeau

Photos de

Xavier Girard-Lachaîne

Si les Québécois considèrent de plus en plus leur forêt comme un garde-manger, c’est en partie grâce au travail du clan Le Gal et de son entreprise, Gourmet Sauvage. Fondée par Gérald Le Gal et reprise par sa fille Ariane Paré-Le Gal et son conjoint Pascal Benaksas-Couture, la petite entreprise célèbre ses 30 ans d’existence alors qu’elle traverse une période de grand foisonnement.
gourmet sauvage
Si les Québécois considèrent de plus en plus leur forêt comme un garde-manger, c’est en partie grâce au travail du clan Le Gal et de son entreprise, Gourmet Sauvage. Fondée par Gérald Le Gal et reprise par sa fille Ariane Paré-Le Gal et son conjoint Pascal Benaksas-Couture, la petite entreprise célèbre ses 30 ans d’existence alors qu’elle traverse une période de grand foisonnement.
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Plus grand que la panse

Combien d’entreprises choisissent volontairement de cesser leur exportation à l’international et de se priver de 20% de ses revenus? C’est pourtant le choix qu’a fait Gourmet Sauvage dans les derniers mois, en arrêtant de vendre ses confitures d’amélanches et autres salsas aux asclépiades à ses clients américains et européens.

«Notre marché local est loin d’être saturé et on n’a pas envie que ça devienne trop gros. On a vu la machine s’emballer lors des dernières années et on s’est dit que ce n’est pas ce qu’on voulait.»
Ariane Paré-Le Gal

«On n’avait pas envie de parler des deux bords de la bouche. On parle beaucoup d’alimentation locale et responsable: si on est capable de vivre de notre marché québécois, de bien payer nos employés et de vivre correctement, et bien on va garder ça comme ça», résume Ariane Paré-Le Gal, qui qualifie le geste de «décroissance dans la croissance».

Voilà une preuve que l’engagement éthique et environnemental affiché par la compagnie est à prendre au sérieux, mais aussi que les affaires vont assez bien merci au Québec.

Couronné dans la catégorie Tourisme gourmand au dernier gala des Lauriers de la gastronomie, Gourmet Sauvage a aussi inauguré cette année sa nouvelle boutique sur son site, l’ancienne pisciculture de Saint-Faustin, dans les Laurentides. L’entreprise compte également des dizaines de points de vente à travers la province.

Ses ateliers, formations et webinaires sur la cueillette et la cuisine des plantes sauvages affichent toujours complets et leurs listes d’attente s’allongent de jour en jour. Paru en 2019, Forêt, guide d’identification de terroir sauvage écrit à quatre mains par Ariane et Gérald, constitue l’un des plus grands succès surprise de l’édition québécoise avec plus de 50 000 copies vendues. Sa version compacte, Cueillir la forêt, vient d’atterrir en librairie.

«Il faut initier des gens à cet environnement [la forêt], pour qu’on le sauve. On doit montrer qu’il n’y a pas juste du bois là-dedans. L’humain fait partie de la forêt, on l’a simplement oublié.»
Gérald Le Gal
sauvage

Parti de rien

Ce succès retentissant, jamais Gérald Le Gal n’aurait pu l’imaginer il y a 30 ans.

«[Fonder Gourmet Sauvage], c’était une idée absolument farfelue, qui n’avait pas de sens à l’époque, raconte-t-il en riant. Je manquais de capital,  j’avais une faible connaissance de la transformation et aucune connaissance de la mise en marché!»

L’homme aux multiples vies (élevé sur une ferme du Manitoba, il a été tour à tour enseignant, agent de développement économique dans le Grand Nord, pêcheur en Nouvelle-Écosse, entre autres) possédait toutefois un impressionnant bassin de connaissances sur la flore sauvage et, surtout, une persévérance à tout casser. Il en fallait pour convaincre les restaurateurs, ses premiers clients, de se risquer à intégrer ses produits dans leurs menus.

Les premières années n’ont pas été difficiles, mais plutôt «extrêmement difficiles» selon ses dires.  Il aura fallu presque une décennie avant que l’entrepreneur ne se verse un premier chèque de paie.

«Le marché n’existait tout simplement pas. Des chefs me demandaient si j’étais sûr que mes produits étaient comestibles. Tout était à faire, mais ça me passionnait tellement que je devais essayer de convaincre les gens qu’il y avait quelque chose là d’intéressant.»

De fil en aiguille, Gourmet Sauvage a créé sa niche, séduisant d’abord les chefs comme Normand Laprise, Anne Desjardins ou Daniel Vézina, puis les clients de ces derniers et les foodies en tout genre.

En 2015, l’arrivée d’Ariane et de son conjoint Pascal, qui a fondé la ligne de vêtements éthique Oöm, a donné une impulsion nouvelle à l’entreprise, maximisant la vente en ligne et la présence sur les réseaux sociaux. La mission éducative de Gourmet Sauvage s’affirme de plus en plus, autant ou peut-être même davantage que la vente de «petits pots». Par exemple, l’entreprise offre cette année une première formation en ligne de six mois dans laquelle les aspirants cueilleurs sont suivis presque pas à pas.

cueillette locale Ariane et Gérald en forêt
foret Pascal Benaksas-Couture, le conjoint d'Ariane et copropriétaire de Gourmet Sauvage

«Le cœur de l’entreprise bat encore très très fort, appuyé sur la vision, la mission et les valeurs que mon père avait déterminées dès le départ. On a toujours vu les produits qu’on vend comme un prétexte pour aller rejoindre les gens, communiquer une histoire et raconter notre lien au territoire», insiste Ariane Paré-Le Gal.

Un lien qu’il est important de maintenir solidement, estime l’ancienne journaliste.

«C’est une chose qui est inscrite en nous. La forêt est notre première maison, c’est là qu’on s’est nourri, soigné, logé de tout temps et jusqu’à très récemment. Donc quand on y retourne, on retourne un peu chez soi.»

Un legs durable

Si Gourmet Sauvage était seule dans sa cour il y a trente ans, il existe aujourd’hui des dizaines d’entreprises qui exploitent les valeurs nutritives et gustatives de la forêt. Les produits forestiers comestibles s’imposent tranquillement sur les grandes tables et il est même possible de suivre une formation collégiale pour devenir cueilleur en bonne et due forme.

Cette évolution s’est amorcée notamment grâce au travail de pionnier de Gérald Le Gal, qui a utilisé ses talents d’enseignant et de communicateur pour fait connaître les produits forestiers comestibles aux quatre coins du Québec. En 2006, il a aussi participé à la création de l’Association pour la commercialisation des champignons forestiers, ancêtre de l’actuelle Association pour la commercialisation des produits forestiers non-ligneux (ACPFNL).

«Beaucoup d’entrepreneurs disent que Gérald les a inspirés. C’est beau de savoir que mon père a eu cette influence. Le secteur lui aussi a 30 ans et en si peu de temps, on a fait un bond incroyable au niveau de la règlementation et de la concertation.»
Ariane Paré-Le Gal

À 73 ans, Gérald a officiellement quitté la direction de l’entreprise cette année, après des ennuis de santé. De retour en pleine forme*, il n’est jamais bien loin d’Ariane, de Pascal et de ses petites-filles pour les faire profiter de son savoir. Et il demeure sur la liste de paie de Gourmet Sauvage, en tant que cueilleur!

«J’ai l’impression d’avoir coulé la fondation, mais Pascal et Ariane ont bâti une maudite belle maison, un petit château», dit-il en parlant de son ancienne entreprise, le sourire accroché jusqu’aux oreilles.

Un château qui, comme la forêt, continuera de croître dans les prochaines années, mais à son rythme.

 

*À noter que ce texte été publié en 2022. Gérald Le Gal est malheureusement décédé en janvier 2024.

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