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Réglementation des vins au Québec: unique au monde!

Publié le

08 septembre 2022

Texte de

Sébastien Daoust

Une élection, qu’est-ce que ça peut changer pour les vignerons du Québec? Sébastien Daoust espère un grand dépoussiérage des règlements sur les alcools du terroir au Québec. Démonstration en quatre exemples de pourquoi notre province aurait besoin d’un bon coup de balai!
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Une élection, qu’est-ce que ça peut changer pour les vignerons du Québec? Sébastien Daoust espère un grand dépoussiérage des règlements sur les alcools du terroir au Québec. Démonstration en quatre exemples de pourquoi notre province aurait besoin d’un bon coup de balai!
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Septembre vient de commencer avec ce qui est ma version de la coupe Stanley, c’est-à-dire une élection. Je n’ai aucun amour particulier pour les sports professionnels, et donc à part si le Canadien est en finale de la coupe, je m’en balance pas mal. 

Mais une soirée d’élection? Je sors le popcorn, et je regarde ça jusqu’aux petites heures de la nuit. J’aime les élections, j’aime les stratégies électorales. 

Je me prends à imaginer ce que je demanderais aux politiciens, si j’avais moindrement une voix à cet égard. Et j’aimerais les confronter à ce qu’ils verraient comme solution face aux quatre situations suivantes. 

Situation A

1er octobre. Il est 21h. Votre équipe de récolte vient de terminer le dernier rang de chardonnay. Le pressoir fonctionne depuis 8h ce matin, sans cesse. Vous avez réussi à tout ramasser avant la pluie. La récolte est superbe. Il vous reste encore 2 tonnes à presser. 

Une lumière rouge s’allume sur votre pressoir, puis ça sent le brûlé. Vous éteignez la machine, la repartez, et plus rien. Vous recommencez et recommencez. Vous ouvrez le panneau électrique et du haut de votre dernier cours de physique électrique de secondaire 3, vous essayez de comprendre ce qui se passe. Désespéré, vous appelez votre fournisseur. Fort heureusement, pendant les vendanges, ils sont disponibles presque 24h/7j. Quelques photos plus tard, le diagnostic est simple. Le contrôleur est brûlé. Pas de problème. Il y en a un aux États-Unis, il devrait arriver d’ici 5 jours. 

Sauf que vous avez 1 tonne de raisins qui traîne. C’est la nuit, il fait frais, mais quand le jour va arriver, ça va commencer à chauffer. Vous pouvez, tout au plus, attendre un gros 12 heures. Mais pas 5 jours. 

Solution ailleurs dans le monde: Vous appelez quelques autres vignerons. L’un d’entre eux, à 10 minutes de chez vous, n’a pas récolté aujourd’hui. Il se fait tard, mais première heure, demain matin, vous amenez votre raisin chez lui. Vous le pressez, vous embarquez le jus dans une tôte de plastique, vous revenez chez vous. Un peu bordélique, mais vous avez sauvé une belle tonne de chardo! 

Solution au Québec: La loi est ainsi faite que le jus ou vin produit par un vigneron ne peut se retrouver chez un autre vigneron. Ainsi, emmener du raisin chez un autre vigneron est illégal, et avoir du moût chez un autre vigneron l’est encore plus. Donc, vous avez le choix. Vous essayez de trouver un pressoir ailleurs et de convaincre un vigneron de l’amener chez vous. En général, un pressoir est très lourd. Il peut être en électricité monophase, ou triphase, il peut être sur le 20, 30 ou 50 ampères, avec une connexion barrée ou une connexion conventionnelle. Les chances que votre voisin ait, dans les 12 prochaines heures, exactement le type de pressoir qu’il vous faut (connecteur, ampérage, phase), et une plateforme de transport pouvant supporter une charge d’une tonne… ces chances sont faibles.

Donc, vous êtes mieux de jeter votre tonne de chardo. C’est probablement 1000 bouteilles aux vidanges ça. Mais consolez-vous, en respectant la loi à la lettre, vous avez rendu le Québec plus sécuritaire. Et ça, ça n'a pas de prix. 

Situation B

15 novembre. Vous recevez un appel. La Fédération des Fédérations du Québec (peu importe) célébrera son «party de bureau» le 3 décembre prochain. On y attend plus de 2000 participants de tous les horizons. On vous commande 600 bouteilles de votre vin rouge, et 600 bouteilles de blanc. On vous demande de livrer le tout chez le traiteur. 

Solution ailleurs dans le monde: Vous mettez les caisses dans votre camion, et vous allez porter les caisses chez le traiteur. N’oubliez pas la facture. 

Solution au Québec: Pour des raisons ancestrales perdues dans la nuit des temps, vous devrez apposer un autocollant contenant un numéro unique fourni par la RACJ sur chacune de vos bouteilles de vin. S’il ne vous reste plus d’autocollant, vous envoyez un courriel à la RACJ, et il vous envoie les autocollants. C’est rapide, ça prend 2 ou 3 jours. Puis, vous devez ouvrir les 112 caisses, sortir les 1200 bouteilles, et timbrer individuellement chaque bouteille, en prenant soin de noter quels autocollants sont allés sur les rouges et sur les blancs. Vous allez par la suite indiquer dans un registre d’autocollant quels sont les autocollants utilisés, quel est le client, quel est son numéro de permis à la RACJ (nous ne sommes jamais trop certains si c’est le numéro de permis, qui change selon la salle du restaurant, ou le numéro d’établissement). Le restaurateur, techniquement, doit aussi tenir un registre des autocollants reçus. La facture doit aussi indiquer les autocollants utilisés. À la fin du mois, vous devez faire un rapport de tous les produits vendus pour la RACJ, et ce rapport doit faire la distinction des ventes avec autocollant, et sans autocollant. À quoi servent ces autocollants? À identifier les vins ayant payé une surtaxe de 5% sur les vins en restauration. Cette surtaxe a été éliminée depuis 20 ans. Mais les autocollants restent. Mais ne vous en faites pas, depuis 5 ans, la RACJ travaillent à fournir un fusil étampeur qui apposera plus rapidement ces autocollants inutiles. L’autocollant reste inutile. Mais le processus sera plus rapide… et plus cher. 

Situation C

4 septembre. Un jeune couple se présente à la boutique de votre vignoble vers 13h. C’est tranquille, vous jasez un peu. Ils sont intéressés par la viticulture, et vous posent quelques questions sur les raisins. Avec leur verre de dégustation en main, vous les invitez à aller au-delà de la dalle de ciment toute simple qui représente votre terrasse pour aller observer quelques rangs de vignes.   

Solution partout dans le monde: Vous prenez une marche de 10 minutes avec eux, vous leur montrez les vignes, les raisins. Ils passent un bon temps. 

Solution au Québec: Votre esprit mesquin se démarque, encore une fois. Vous contrevenez à la loi qui indique la consommation de vin n’est pas permise à l’extérieur du lieu désigné par le permis de la RACJ affiché dans votre boutique. Dans ce cas-ci, seules la boutique et la terrasse de ciment sont couvertes par le permis. Les vignes, non. Pour obtenir ce permis vous devez fournir un plan d’architecte, démontrer la capacité d’accueil et la capacité d’évacuation de l’endroit. Oui, ça veut dire que vous devez déposer un plan d’architecte de votre dalle de ciment, et la capacité d’évacuation en cas d’incendie de ladite dalle de ciment, même si elle n’est obstruée par rien du tout. Rappelez-vous, au cas où la dalle de ciment prendrait en feu, n’oubliez pas de déposer votre verre de vin sur la terrasse car, comme le reste du vignoble, votre pelouse n’a pas de permis de la RACJ. Pourquoi tout le vignoble n’est-il pas couvert par votre permis de la RACJ? Dans le chai, par exemple. Je l’ignore. 

Pendant que j’y pense. Votre terrasse donne sur les plus beaux couchés de soleil de la région. À la fin de la journée, vous vous tirez une chaise avec votre amoureux.se. Votre collègue vigneron vous a amené son beau chardo qu’il vient d’embouteiller. Vous l’ouvrez, et commettez encore un acte illégal. Oserais-je répéter que vous n’avez pas le droit d’avoir, dans votre vignoble, le vin d’un autre vigneron?

Ça tient, en fait, de tout alcool. Oui, ça veut dire que vous ne pouvez pas plus ouvrir une bière sur votre terrasse.  

Situation D

30 avril. Une épicerie à Gaspé vient d’obtenir son permis d’alcool. Orientée sur l’achat local, l’épicerie a un beau camion qui descend à Montréal et Québec à chaque semaine pour aller chercher des produits du terroir. Le camion passe dans votre municipalité prochainement. Puisque vous et vos trois voisins vignerons venez tout juste de sortir vos blancs et rosés, il offre de ramasser le tout. 

Solution ailleurs dans le monde: Le camion passe chez vous et chez vos voisins, ramasse les produits, et fournit à ses clients la panoplie de merveilleux produits vinicoles de votre région. 

Solution au Québec: vous rappelez à l’épicier que selon la loi, seul le vigneron ou l’un de ses employés est habileté à transporter les vins du vignoble. Vous, et vos trois voisins, allez donc prendre chacun votre voiture individuelle, et monter à Gaspé l’un après l’autre pour aller livrer individuellement chacun de vos vins.

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Le comble du plaisir, selon les règles de la RACJ, vous n’avez pas le droit de faire le tout en deux jours. Vous n’avez pas le droit d’arrêter dormir en chemin, question de faire d’autres livraisons, par exemple, à Rivière-du-Loup et Rimouski, puisque le stationnement de l’hôtel serait considéré comme un lieu d’entreposage temporaire. Ce qui est illégal. Donc, disons Hemmingford-Gaspé, c’est environ 10 heures de route si vous n’arrêtez pas. Assurez-vous de faire le tout en une journée aller-retour. 

J’ai toujours peur des solutions politiques à tout ceci. Dans le genre: «Pour le transport, nous allons permettre des coops de transport entre vignerons» ou des trucs du genre qui viennent complexifier à la place de simplifier ces situations. Des transporteurs, ça existe déjà, utilisons-les. Nous faisons des dizaines de rapports chaque mois. Ne nous mettez pas un rapport de plus pour «justifier l’utilisation des infrastructures externes à votre vignoble». Pas plus que de demander un permis pour faire une dégustation dans les vignes devrait demander un plan d’architecte des vignes approuvé par la municipalité… 

Ça, ce sont quelques règles auxquelles les vignerons font face. Mais vous pouvez imaginer les cidriculteurs, les microbrasseurs et les microdistillateurs, ainsi que les épiciers et restaurateurs qui ont tous des idées incroyables pour faire la promotion des produits d’ici, mais qui se font taper dessus chaque fois par nos gouvernements.

Alors si j’avais à demander quelque chose à nos politiciens, ce serait de créer une réelle initiative de dépoussiérage des règlements sur les alcools du terroir au Québec. Et ce serait bien de consulter les producteurs artisanaux ce coup-ci, contrairement à ce qui a été fait dans le cadre de la mise en place de la consigne, par exemple. 

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