Originaire d’Alma, au Lac-Saint-Jean, Hugue Dufour quitte sa région à l’âge de 16 ans pour aller «rien faire» à Montréal. Il finit tout de même par étudier la cuisine au Centre de formation professionnelle Calixa-Lavallée, à Montréal-Nord, mais se fait «mettre à la porte» avant d’avoir son diplôme. Cela ne l’empêche pas d’obtenir un stage auprès de Normand Laprise au Toqué!, sis à l’époque sur la rue Saint-Denis. Quelques années plus tard, il atterrit au Pied de Cochon, chez Martin Picard, avec qui il fait les 400 coups. Au début des années 2000, le jeune chef a le vent dans les voiles. En 2008, arrivé à une «espèce de croisée des chemins» et tombé amoureux d’une jolie New-Yorkaise, Sarah Obraitis, il décide de s’exiler dans la métropole américaine.
C’est en 2010 que l’histoire commence réellement. Le couple emménage à Long Island City, un arrondissement du Queens qui n’avait rien de glamour à l’époque, avec l’idée d’ouvrir un magasin général. D’ailleurs, le «M.» de M. Wells – le nom que portera plus tard son restaurant – renvoie à magasin et non à monsieur, comme bien des francophones le croient.
«On voulait offrir aux gens un magasin général où ils auraient trouvé des peaux, des fourrures pour les designers, des jouets en bois, de la literie, des couvertes en laine, un coin épicerie, et, parce que j’ai toujours aimé ça, une petite section plomberie», précise l’homme qui nous reçoit à l’arrière de son restaurant quelques heures avant le coup de feu du soir. «Un commerce avec des choses usuelles dont t’as pas vraiment besoin, mais qu’ostie que t’en as besoin quand tu les vois en entrant dans le magasin!»
La naissance de M. Wells
Devant le condo où ils s’installent alors, sa compagne et lui, il y a un joli petit diner, toujours fermé et un peu décrépit. Intrigués, ils finissent par aller le visiter, «et là, l’idée du magasin n’a plus de sens», continue Hugue. C’est dans ce local qu’ils ouvriront leur premier restaurant. Après quelques rénovations, le M. Wells voit le jour, un diner qui connaît un succès instantané et qui est encensé par le prestigieux New York Times.
«On a attiré l’attention parce que l’idée d’ouvrir un diner était bizarre. Et le timing était quand même extraordinaire: on était vers la fin de la crise économique. Le diner, aux États-Unis, c’est comme un Parents-Secours. Tu vas y frapper quand t’es mal pris. Tu vas manger n’importe quoi, à n’importe quelle heure de la journée, pour pas trop cher», raconte le grand gaillard qui avoue que tout ce qu’il connaissait de ce type de restaurant lui venait de la série télé Twin Peaks.
L’engouement est aussi intense que bref. Un an plus tard, ils doivent fermer en raison d’une hausse de loyer exorbitante: le propriétaire, cupide, fait passer le loyer de 2000$ à 37000$ par mois!
Hugue s’installe alors au MoMA PS1, un musée d’art contemporain situé dans le Queens, et sert des lunchs au M. Wells Dinette. Pendant ce temps, le couple continue à chercher l’emplacement de son prochain restaurant, qui sera lui aussi dans ce quartier en pleine transformation.
«Long Island City, ça a changé immensément. Il y a 20 ans, c’était un des coins les plus dangereux de New York. C’est ici que tu venais crisser ton char volé dans la rivière. C’était la mecque de la prostitution. Il y a eu 75 000 nouveaux arrivants dans les trois dernières années. C’est deux fois Alma [NDLR : sa ville natale], dans un quartier à peine gros comme le Plateau-Mont-Royal. C’est une partie de la ville où il n’y avait personne, où tout est encore en construction. On a été un agent d’embourgeoisement», dit-il avec une certaine fierté.
Depuis 2013, c’est au M. Wells Steakhouse que le chef officie, dans un ancien garage sur Crescent Street, non loin du premier M. Wells.
En arrivant au M. Wells Steakhouse, on se sent un peu comme chez nous. Une corde de bois orne l’entrée, une vieille paire de patins de hockey est accrochée dans la salle de bain et un bassin plein de truites est encastré dans le comptoir de la cuisine à aire ouverte… On flaire le Québécois.
«Au début, tout le monde me demandait: “Dis-moi, Hugue, qu’est-ce qu’il y a de québécois sur ton menu?’’ Et je répondais: “Moi !’’, raconte le chef, qui a conservé son fort accent jeannois malgré toutes ses années en sol américain. Les clients m’ont forcé à mettre de la poutine à mon menu, mais je ne voulais pas», ajoute Hugue, qui reçoit beaucoup de clients du Québec depuis le début de son aventure new-yorkaise.
Ce n’est pas qu’il renie ses origines, non. C’est plutôt qu’il s’intéresse à plein de choses. «Je ne fais pas de la cuisine québécoise ni de la cuisine française. J’essaie de faire une cuisine d’ici. Le terroir de New York, c’est les gens, qui arrivent de partout. Ce qui m’importe, c’est de comprendre où je suis. Le Queens, c’est le monde; il y a de tout ici. Ça serait stupide de se fermer à ça. Je cuisine avec des bases et des techniques françaises, mais je mélange toutes ces influences. Et je mets du sirop d’érable partout!»