La chèvre et le chou: quand un militant végane débat avec un fier omnivore
Publié le
17 janvier 2023
Texte de
Virginie Landry
Dominic Lamontagne, auteur des livres La ferme impossible et L’artisan fermier, vit à la campagne et prône une néoagriculture omnivore responsable incluant de la protéine animale. De son côté, Jean-François Dubé, détenteur d’une maîtrise en science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au sujet des liens entre les idées des mouvements animalistes et environnementalistes, est un fervent militant végane. Les deux se sont rencontrés sous une publication Facebook, alors que l’un critiquait (vivement) le propos de l’autre. L’idée leur est alors venue d’aller poursuivre ce débat… dans un livre.
Dans La chèvre et le chou, publié en novembre 2022 aux éditions Écosociété, les deux hommes se sont livrés au courageux exercice de confronter leurs idées quant à leur alimentation sur l’arène publique afin de fournir des pistes de réflexion et d’argumentation pour ceux qui seraient en quête de réponses à propos de leur propre mode de vie.
Entrevues (séparées!) avec les coauteurs de ce livre coup de poing qui pousse à la réflexion… d’un côté comme de l’autre.
— Comment décrivez-vous le point de vue de votre coauteur?
Dominic: L’argumentaire de Jean-François est assez simpliste. C’est un végane qui croit qu’il est immoral de faire du mal aux animaux.
Jean-François: Dominic prône un retour à la terre. Il «romantise» la consommation de viande. Il croit que parce que c’est fait à petite échelle, c’est mieux.
— Et, dans les faits, quelle est votre position?
Dominic: J’ai quitté la ville, un paradis artificiel selon moi, pour retourner à la terre. J’ai toujours eu un grand intérêt pour la genèse des aliments, c’est-à-dire d’où ils viennent, comment ils sont produits et par qui. Ma famille et moi travaillons donc à produire une grande partie de ce que nous mangeons, ce qui inclut des protéines animales, comme les œufs, le lait de chèvre et la viande de chevreau.
Jean-François: Le véganisme est pour moi plus qu’un mode de vie, c’est une manière d’être. Il faut éliminer le plus possible les produits d’origine animale de notre vie. On n’a pas besoin de consommer de viande! Les animaux sont des êtres sensibles, conscients. Ils sont maltraités et souffrent pour notre alimentation. Nous avons un devoir moral d’arrêter de consommer de la viande. Cependant, je suis conscient que ce n’est pas toujours possible, que c’est parfois une question de survie, comme pour les peuples autochtones, par exemple.
— C’est quoi l’omnivorisme responsable?
Dominic: C’est profiter de ce que les bêtes et les végétaux ont à offrir, à petite échelle, sur son terrain. Les véganes mangent plein d’affaires enrichies, alors que nous, on prône des aliments bruts. Il faut vraiment regarder la trace profonde des aliments qu’on consomme: qui sont les humains qui les produisent, le bien-être animal, son impact sur l’environnement…
Quand j’entends Jean-François dire qu’il est préférable de manger des pois chiches qui ont été cultivés on ne sait trop où, par on ne sait trop qui, dans quelles conditions qu’on ignore, plutôt que mon chevreau élevé sur ma terre, c’est très frustrant.
— Quoi penser de l’idée de réduire, ou même d’arrêter totalement, sa consommation de viande?
Dominic: Tout d’abord, je préfère parler de protéine animale, qui est plus vaste que de parler de viande. Sinon, on pense juste à du steak, mais en parlant de protéine animale, ça inclut les œufs, le lait, le fromage, entre autres produits. La protéine animale est «complète» parce qu’elle contient tous les acides aminés, dans les bonnes proportions, essentielles au bon fonctionnement du corps humain. Et contrairement à la majorité de ces aliments à base de plante (pensez lait d’avoine, faux-œufs et burger de plante) qu’on nous propose, elle fait partie du groupe select des aliments frais, non transformés et non enrichis qui devraient constituer l’essentiel de notre alimentation. En ce sens, je me demande donc pourquoi on devrait s’en passer?
— Quelle est la motivation première de faire une transition vers un régime végane?
Jean-François: C’est vraiment la question de la souffrance animale. Tu ne veux pas que les animaux souffrent pour te nourrir. Devenir végane, c’est facile. C’est une série de petits choix quotidiens qui deviennent vite de bonnes habitudes. Les aspects nutritionnels, santé et écologiques ne sont que des bonus. D’ailleurs, il est fort possible de mener plusieurs combats à la fois, c’est-à-dire d’être végane, éthique, zéro déchet, etc.
— On a beaucoup parlé de biodiversité en 2022, avec la COP15 qui se tenait à Montréal en décembre dernier. Où se place votre idéologie alimentaire dans ce discours environnemental?
Dominic: La défense de la biodiversité, c’est réellement central dans ma prise de position. Je crois que c’est en diversifiant notre agriculture qu’on va créer des habitats naturels en santé et ainsi stimuler les écosystèmes. Il faut occuper le territoire!
Jean-François: La production animale contribue directement à l’extinction de certaines espèces, à la déforestation ainsi qu’à la création de zones mortes dans les océans. Transitionner vers un monde végane nous permettrait d’utiliser toutes les terres utilisées pour la production de protéines animales d’une autre façon. Je ne suis pas expert, mais à mon avis, on pourrait laisser certaines de ces terres revenir à l’état sauvage, alors que d’autres seraient utilisées pour des cultures utiles comme les légumineuses, le blé et les légumes.
— Et le locavorisme, dans tout ça, vous en pensez quoi?
Dominic: Je milite tout à fait pour ça, c’est au centre de mon discours. Ça revient à faire plus avec ce qu’on a: de manger la viande, boire le lait, faire du fromage avec la même bête. C’est de manger ce qui est de saison et surtout de cuisiner plus. Les véganes, eux, refusent tout simplement de manger des bêtes. Jean-François va dire qu’il n’est pas contre le locavorisme, mais que ce n’est pas une priorité.
Jean-François: C’est potentiellement possible d’être végane et locavore. Par exemple, je miserais sur les serres verticales en ville afin de produire des fruits et des légumes. On a les moyens pour ça. Cependant, le locavorisme est moins écologique que le véganisme, selon plusieurs études*.
— L’inflation s’est beaucoup fait sentir sur la facture d’épicerie l’an dernier et elle n’est pas prête de ralentir. Qu’avez-vous à dire à quiconque est soucieux de faire des économies, tout en continuant de bien manger?
Dominic: Il n’y a rien de mieux que de manger ce qu’on produit. Si les gens on le luxe de l’essayer, je crois que ça vaut la peine de miser sur l’agriculture citoyenne, de cultiver une partie de ses denrées.
Jean-François: Parmi les produits les moins chers à l’épicerie, il y a les produits véganes, comme les fruits et légumes, les pâtes et les légumineuses. La viande, c’est cher. De mon côté, on me demande souvent ce que je mange. Oui, des fois, je vais me permettre les fameuses saucisses véganes ou des produits transformés. Ça en prend aussi. J’aime faire des caris, des pizzas, des tacos.
— Quel truc donner à quelqu’un qui souhaiterait passer au véganisme, mais qui ne sait pas par où commencer?
Jean-François: Je conseille toujours d’arrêter d’acheter des protéines animales, mais de manger ce qu’il reste dans le frigo, puis de repartir à zéro. Mon truc, c’est de prendre des recettes qu’on aime déjà et de les véganiser.
* Énormément de sources sont citées et bien identifiées dans le livre afin que le lecteur puisse les consulter lui-même.