Le dernier service de Martin Juneau
Publié le
05 décembre 2022
Texte de
Geneviève Vézina-Montplaisir
Photos de
Maude Chauvin
Qu’est-ce qui t’a poussé à prendre la décision de fermer le Pastaga?
Notre bail finissait au mois de décembre 2022. Après avoir passé à travers la pandémie et avec la pénurie de main-d’œuvre qui se fait de plus en plus sentir, Louis-Philippe [ndlr: Breton, copropriétaire avec Martin Juneau du Pastaga] et moi on ne se voyait pas rembarquer là-dedans pour un autre 5 à 10 ans. On avait également envie d’être plus présent avec nos familles respectives.
Être restaurateur, c’est fatigant, c’est demandant, c’est stressant. Même si je ne suis pas toujours sur place au quotidien, je dois toujours être disponible pour gérer les problèmes.
J’ai 45 ans, et je ne me projetais pas avoir un resto qui vivote à 50, 55 ans. Moi je vis bien, mais le Pastaga, ce n’est pas un projet qui nous a rendus riches. On est prêts à passer le flambeau à quelqu’un. Et Francis Duval [ndlr: présentement chef de cuisine du Pastaga], c’était un choix logique pour nous.
On aurait juste pu lâcher le local et vendre tout ce qu’il y a dans la place, mais on trouve ça bien plus le fun que quelqu’un qui était là à la journée d’ouverture, et qui a rencontré la femme de sa vie [ndlr :Geneviève Beaudoin] ici, ait envie de prendre le relais. Je ne sais pas combien de temps le nom Pastaga restera sur la devanture, mais au moins on va avoir l’impression qu’il va y avoir une espèce de pérennité.
Et ton partenariat avec Louis-Philippe, est-ce qu’il va durer au-delà de la fermeture du Pastaga?
Oui, on est toujours ensemble. On est propriétaires du café Tricot principal. Ça, c’est plus Louis qui s’en occupe. Notre entreprise d’importation de vins Volet Importation, ça, c’est plus ma job. Pour ce qui est du restaurant Chabanelle, on n’en est pas propriétaires, on est des opérateurs.
Avec la fin du Pastaga, je pense que ça va être le fun de se redécouvrir lui et moi. Parce qu'avant d’ouvrir le resto, on était des amis. Mais on passait tellement de temps au Pastaga qu’on a arrêté de faire des activités ensemble. Je suis dans un bon partenariat avec lui, plein de respect, c’est une belle relation d’affaires. La restauration c’est un sport d’équipe. Et moi, j’aime ça les sports d’équipe.
Est-ce que tu sens que tu auras un deuil à faire avec la fin de l’aventure Pastaga?
C’est plus un deuil de la restauration. Je pense que je suis désillusionné. La restauration comme je la vois et comment je l’ai vécue, elle n’existe plus. Le Pastaga, il a existé, ça, personne ne peut me l’enlever. Maintenant, est-ce que j’ai encore envie d’une carrière en restauration? Pas nécessairement.
Qu’est-ce que tu veux dire par «deuil de la restauration»?
J’aime ça avoir un resto. J’adore la restauration. Je trouve que c’est un milieu qui peut être vraiment stimulant. Mais je regarde le staff aller, et des jeunes qui veulent s’investir, j’en vois de moins en moins. La relève est trop rare. Et c’est ben correct, mais je ne sais pas où on s’en va avec cette restauration-là. C’est plus le deuil d’une époque.
Quels sont tes meilleurs souvenirs du Pastaga?
Les premières années où j’étais en cuisine et que c’était ça ma job, c’était le fun en tabarouette! Quand on a gagné la 5e place du magazine enRoute au palmarès des Meilleurs nouveaux restos canadiens, ça a été une époque trippante. C’était aussi celle des critiques gastronomiques et des médias papier.
De quoi tu ne vas pas t’ennuyer?
De gérer des problèmes! Il y a deux semaines, je changeais la clenche de la toilette. Là, il y a la porte qui est brisée, c’est moi qui dois gérer ça.
Donc, tu es encore très présent au restaurant même si tu n’es plus derrière les fourneaux?
Oui, et je suis encore ici jusqu’en décembre. Je suis souvent au resto jusqu’à ce que le staff en service fasse l’ouverture et que les premiers clients arrivent. Je me suis alors assuré qu’on ait assez de vin ou d’être allé acheter les cuillères qui nous manquaient.
Qu’est-ce que tu trouves qui a le plus changé depuis tes débuts en restauration il y a plus de 20 ans?
Les époques changent et ça te confronte à ce que tu as fait. Avant, une job à temps plein pour un serveur c’était quatre jours. Aujourd’hui, pour les jeunes, un temps plein c’est trois jours. Les cuisiniers veulent travailler quatre jours sur cinq. Dans ce cas, pourquoi moi je dois travailler six jours sur sept? Crime, j’ai envie de m’inspirer d’eux et moi aussi j’ai envie de prendre du temps pour moi!
Comment la clientèle a-t-elle évolué ?
Elle a beaucoup changé. La clientèle est très difficile, toujours à la recherche de nouveauté donc ce que tu dois faire c’est développer de la fidélité. C’est ce que je trouvais le plus difficile au début. Aujourd’hui, je trouve qu’il y a plus d’intérêt pour la gastronomie qu’avant. Tu ne vas pas juste au resto quand tu veux te gâter, c’est devenu un mode de vie.
Avec ton départ du Pastaga, tu dis au revoir à la restauration haut de gamme. Comment vois-tu l’avenir de cette restauration à Montréal?
Avec l’augmentation des prix, est-ce qu’on va pouvoir continuer à aller au restaurant? Sincèrement, je ne le sais pas.
Notre but, ça a toujours été d’être le plus honnête possible. Aujourd’hui, quand je vais au resto et que je vois les prix de certaines bouteilles de vin, je capote, car je connais leur valeur et c’est souvent le triple sur la carte. Je ne suis pas à l’aise avec ça.
Tant que tu peux vendre à fort prix, tu vas être capable de rentabiliser ton entreprise, mais il n’y en a pas beaucoup qui vont être capable de tenir ça super longtemps…
Avec Tricot Principal, tu es plus dans la restauration rapide. Aimes-tu ça?
Mets-en! C’est le fun en tabarouette faire des bons sandwichs, des bonnes soupes et des bons plats du jour à base de pâtes. C’est fucking nice! C’est juste ça que je ferais!
Et le monde du vin, comment l’as-tu vu évoluer ces 11 dernières années?
Nous on a écrit «Vins nature» à la peinture sur notre devanture il y a 11 ans. Il y en avait plein avant nous qui ont ouvert des portes, comme Les trois petits bouchons. On y trouvait juste des vins nature, mais ils étaient juste un peu avant leur temps. Quand on a commencé, on ne savait pas qui allait acheter ce vin-là, mais on savait qu’on voulait servir du vin nature. Onze ans plus tard, on sent que l’intérêt est vraiment là.
Comment vois-tu l’influence des réseaux sociaux sur ta carrière et sur celle d’autres chefs?
Ça a été bénéfique pour moi. Mais on dirait qu’aujourd’hui, c’est plus difficile de bâtir une communauté. Il fallait être là à une époque. Aujourd’hui, ça fait partie de la job. Tu n’as pas le choix.
Avec un oignon, tu as deux jobs à faire comme chef. Tu le prends en photo et tu le ciselles. Faut que tu sois capable de faire les deux!
Crois-tu que pour bien gagner sa vie dans le monde de la restauration, il faut faire de la télé, faire des collaborations avec des entreprises?
J’ai réalisé à un moment donné que si je disais non aux apparitions médiatiques, il y a quelqu’un d’autre qui allait dire oui à ma place. J’ai dit oui à tout. Rapidement, je me suis aperçu que ça occupait une grosse partie de mon agenda. C’est une autre carrière que j’ai développée et j’ai travaillé pour m’améliorer devant la caméra. Est-ce qu’il faut faire ça pour que son resto marche? Je ne pense pas que tu fais de la restauration pour faire éventuellement de la télé. Mais c’est certain que la télé ça nous a amené une visibilité qu’on n’aurait probablement pas eue.
Est-ce que la cuisine te passionne encore?
Oui, mais là, je cuisine à la maison. Le bébé mange comme un humain normal. Et quand les deux grandes sont à la maison, ça fait cinq bouches à nourrir! C’est de la bouffe à préparer quand même! Moi, mon envie de cuisiner est toujours comblée par ce qui se passe à la maison. On mange rarement la même chose, et ma blonde le sait, elle est chanceuse, on mange assez bien.
Venir cuisiner au même endroit et faire la même chose, ce n'est plus ça qui me branche. Faire plein d’affaires, c’est ce qui m’intéresse le plus et c’est ce que je vais faire.
Qu’est-ce que tu vas faire, justement, en janvier? Qu’est-ce que tu peux dire sur tes projets futurs?
La décision d’arrêter a été prise avant que d’autres projets arrivent dans le portrait. J’ai eu une belle offre d’une entreprise québécoise, mais elle n’est pas encore annoncée…
Aussi, il y a quelques années, j’ai acheté une parcelle de vignes dans le sud de la France. Là, je la loue à un jeune vigneron et j’importe son vin, mais à un moment donné, moi je veux reprendre ces vignes-là, et je vais aller habiter au moins six mois par année en France. Ma blonde embarque là-dedans. Si on avait à ouvrir quelque chose là-bas, ça serait un bar à vin pour prendre l’apéro, avec des charcuteries, des légumes. What ever, mais jamais un resto! Avoir une cave où tu peux manger, une vraie, comme tu peux juste le faire en France, ça serait ça mon plan pour ma cinquantaine.
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