Une poissonnerie pas comme les autres
Publié le
10 août 2020
L’équipe de Caribou vous invite à bord du Bella Desgagnés, la desserte maritime de la Basse-Côte-Nord, et vous raconte ses rencontres faites lors des escales. Sixième et dernier escale: Blanc-Sablon, 1640 kilomètres de Montréal, 1100 habitants.
Un texte de Geneviève Vézina-Montplaisir
Cette escale à Blanc-Sablon, la municipalité la plus à l’est de la province, n’a pas été comme les autres. Elle avait drôlement commencé, mais elle s’est finalement terminée de façon épique, entre autres grâce à la famille Beaudoin-Nadeau qui a été tellement accueillante qu’elle nous a prêté sa voiture pour que nous puissions nous promener à notre aise dans la communauté.
Arrivées à Blanc-Sablon, il n’y avait personne, tel que convenu, pour nous accueillir sur le quai du port. Nous avions rendez-vous avec Francine Nadeau de la Poissonnerie de Blanc-Sablon et après l’avoir attendue en vain, nous nous sommes résignées à tenter d’aller l’appeler à la billetterie du port – nos cellulaires n’ayant pas de réseau à la frontière du Labrador.
Finalement, au téléphone, la sympathique Francine nous explique qu’ils ont de la broue dans le toupet en ce vendredi matin gris à la poissonnerie et qu’elle et son mari Tony n’ont pas vraiment de temps pour nous… Mais pour que nous pussions à la fois assister au débarquement de poissons qui a lieu en ce moment à un autre quai et visiter la poissonnerie qui fait aussi office d’usine de transformation, elle propose de venir nous chercher au quai et de nous laisser ensuite une de leurs deux voitures pour que l’on puisse découvrir l’endroit par nous-mêmes. Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde que de prêter sa voiture à deux parfaites inconnues!
«OK…» dit-on un peu incrédules.
Le mari de Francine vient donc nous chercher et nous mène à sa maison pour que nous prenions son autre voiture. Nous voici donc dans son quatre par quatre auquel on n’a pas trop le temps de s’habituer puisque rapidement, il faut le suivre jusqu’au quai pour ne pas manquer l’arrivée des pêcheurs après leur sortie du matin.
Nous avons quelques kilomètres à parcourir dans la petite ville avant d’arriver à l’embouchure de la magnifique Baie Brador et au quai du même nom. C’est un port pour petits bateaux, et le débarquement de morues est en train de se faire au bout du quai.
Comme tous les matins, après être venu sur le quai vers 4 ou 5 heures du matin voir les bateaux partir, William Beaudoin – qui le beau-père de Francine – est de retour vers 9h pour assister au débarquement. William est le très jovial propriétaire de la Poissonnerie, un ancien pêcheur qui a accroché ses filets en 1992 après le moratoire sur la morue afin de se recycler en acheteur et transformateur de poissons et fruits de mer. Mais ça se voit, William est toujours un pêcheur dans son cœur.
«J’ai commencé à pêcher à 9 ans. Mon père et mon grand-père étaient pêcheurs!» nous dit-il tout en supervisant le pêcheur, qui, dans son bateau rempli de morues, transfère ses frétillantes prises dans de grands bacs en plastique, qui sont ensuite remontés sur le quai pour être pesés.
Une dame note le tout et la cargaison sera ensuite amenée à la poissonnerie. «On assure toute la chaîne d’approvisionnement, ce qui permet un maximum de qualité et de fraîcheur à nos clients», souligne William avec son grand sourire.
À voir la quantité de poissons qui flottent encore dans la cale alors que plusieurs bacs remplis à rebord ont été déchargés, la pêche semble avoir été bonne.
«Oui, la pêche est bonne mais on aura atteint nos quotas bientôt car ceux de morue ont été coupés de 70% cette année», nous explique-t-il.
Pendant que le débarquement se poursuit, il nous invite à le rejoindre à la poissonnerie pour nous montrer ses installations.
On remonte donc dans notre nouvelle voiture et au rythme du déhanchement de la petite hawaïenne qui trône sur l’habitacle de la voiture, on essaie de trouver la poissonnerie après les indications plus ou moins précises de William.
On y arrive même si, de dehors, l’endroit a plus l’air d’un garage que d’une poissonnerie comme on les connaît à l’ouest de la province.
William est comme un poisson dans l’eau à la poissonnerie, son petit royaume où il est tous les jours de la semaine. «Même le dimanche!»
Dans la partie boutique, on ne retrouve que des congélateurs horizontaux. Tous les produits de la Poissonnerie Blanc-Sablon sont congelés car la plupart d’entre eux seront consommés ailleurs au Québec, transportés par le Bella Desgagnés.
Pour débuter la visite des lieux, on passe par la salle des employés où trois femmes attendent de débuter leur quart de travail, filet sur la tête, tablier en plastique noué à la taille, et couteau à la main.
Elles vont fileter le poisson qui s’en vient et certaines parties, dont les foies qui seront transformés en pâté de foie de morue – produit vedette de la poissonnerie – avant que le tout soit congelé.
Le deuxième produit vedette de la poissonnerie, c’est le saumon fumé. Le poisson arrive de la Nouvelle-Écosse, entier, et il sera ensuite fileté et fumé sur place.
William, trappeur à ses heures, nous partage d’ailleurs sa nouvelle recette pour fumer son saumon. «Je veux essayer les feuilles de graines noires [NDLR: camarines noires]. Les faire sécher 4 ou 5 jours et les rajouter dans mon brin de scie de bois d’érable. Les Amérindiens dans le Nord n’ont pas de brin de scie donc ils font leur fumage avec ça. Ça va donner un petit goût spécial.»
Nous sommes sur notre départ et William nous offre de partir avec ses deux produits vedette. Francine en profite pour nous donner sa recette préférée pour déguster le saumon fumé: sur un mini biscuit Breton tartiné de Boursin. Alors qu’elle nous reconduit au bateau – on leur a redonné leur voiture! – elle insiste même pour arrêter à l’épicerie pour qu’on puisse s’en procurer.
Il n’y a pas à dire, cette dernière escale était bien spéciale!
➤Bella Desgagnés: à la découverte de la Basse-Côte-Nord escale par escale