Marie-Josée et Claudette Taillefer: souvenirs retrouvés
Publié le
15 juin 2020
Texte de
Pierre Duchesneau
– Quels souvenirs précis gardez-vous de vos débuts?
Marie-Josée: Les nouvelles de TVA duraient 15 minutes; il se trouvait donc à y avoir un trou de 15 minutes avant la prochaine émission. Alors la chaîne s’est dit: on va faire une recette du jour. C’est comme ça qu’on a été approchées.
Claudette: Mais là, moi, je me suis dit: une émission de 15 minutes, il faut que ça marche; que les producteurs soient contents; que ça coûte le moins cher possible. Alors je faisais moi-même ma commande le matin, le stylisme...
M.-J.: Tu gardais tout ton «stock» dans l’auto! Tes vêtements, en plus de la vaisselle; tu transportais de la vaisselle de la maison pour que ce soit beau! [rires]
C.: Tout de suite après la première saison, ils nous ont offert une demi-heure.
M.-J.: À ce moment-là, c’était un lien direct, dans le moment présent, avec le public. Ce n’était pas des gens qui allaient fouiller trois semaines plus tard dans l'internet pour avoir la recette de spare ribs: c’était le soir même ou le lendemain qu’ils avaient envie d’en manger! C’est ça qui était beau; c’était vraiment un lien très particulier avec le public. Je lisais et décrivais les ingrédients en ondes, et les gens me disaient: « Ralentis, Marie-Josée, tu vas trop vite!» Et je ralentissais pour qu’ils aient le temps de tout noter.
– Qu’est-ce qui vous différenciait des autres à l’époque?
M.-J.: On sentait qu’on faisait tranquillement notre place, en douceur. Et quand on était bien installées, on a eu l’impression que tout le monde nous voyait telles qu’on était. On n’a pas eu vent de commentaires négatifs, mais on savait très bien ce qu’on représentait; ce n’est pas pour rien que les humoristes ont relevé ça, que ce soit Rock et Belles Oreilles, le Bye Bye, les émissions à sketchs... On savait qu’on symbolisait la mère et sa fille; on était très conscientes de ça, mais ça n’a jamais été nuisible pour nous. En même temps, on avait beaucoup d’autodérision nous-mêmes.
C.: Tout de suite, dès le début, les gens riaient avec nous. Faire la cuisine en riant, c’est la meilleure façon de la faire, au fond! C’est toujours ça qu’on espère, quand on cuisine: avoir du plaisir et rire, parce qu’on a l’impression qu’on réussit mieux, qu’on se concentre moins sur la petite cuillerée, la petite touche... Bref, tout le monde nous disait: «Vous êtes donc sympathiques et drôles», et puis bien sûr, Marie-Josée faisait des…
M.-J.: …des gaffes !
C.: Elle échappait des choses, elle ne les mettait pas dans les bonnes assiettes. Une dinde qui ne rentre pas dans le four… Rire, mais rire! Des fois, je pense à ça et je me dis: quelle belle période de vie.
M.-J.: On riait tout le temps!
C.: Aussitôt qu’il se passait quelque chose, Marie-Josée disait: «Hé! Parles-en pas, on garde ça pour l’émission.» Pour vraiment avoir une surprise, une conversation, puis que ce soit…
M.-J.: …vrai. On voulait être vraies; on ne voulait pas être phony [hypocrites]… Je pense vraiment qu’on formait une sorte de triangle avec les téléspectateurs et que c’est ça que les gens ressentent encore aujourd’hui. Ça va au-delà de la cuisine; c’est vraiment la relation mère-fille qui a traversé tout ça.
C.: Y a pas un technicien qui ne nous disait pas: mon Dieu qu’on a ri avec vous. Parce qu’elle me faisait me déguiser, me faisait peur, me faisait faire toutes sortes de niaiseries! [rires]
– De quoi vous sentez-vous particulièrement fières?
M.-J.: Je pense qu’on a procuré une sorte de liberté aux gens. Aussi, les hommes se sont mis à cuisiner autant que les femmes. On était tellement dans le plaisir, et pas juste dans la recette pure; on se racontait tellement d’anecdotes qu’on a accroché les hommes ici et là. Alors ça a libéré les femmes de la corvée de la cuisine.
C.: À part ça, on avait des chroniques qui complétaient la cuisine. Par exemple, les gens à la maison n’avaient pas pris l’habitude de mettre la table, que ce soit agréable, qu’il y ait des fleurs, que ce soit bien présenté... alors on parlait de ça aussi.
M.-J.: Une personne qui nous influençait beaucoup, dans les années 1990, c’était Martha Stewart, avant qu’elle soit connue de la population en général. Dans son magazine, elle touchait à tout ce qu’on aimait: la qualité de vie, les animaux, les plantes, les fleurs, la présentation, la vaisselle… Toute l’équipe, en gang, on regardait son show de Noël comme si c’était le Super Bowl! [rires]