Le grincement de dents d’Anicet et Anne-Virginie: plus de soutien aux apiculteurs, et ça presse!
Publié le
01 août 2018
En juin, Anicet Desrochers et Anne-Virginie Schmidt, apiculteurs et éleveurs de reines abeilles dans les Hautes-Laurentides, ont publié ce message sur la page Facebook de leur entreprise Les Miels d’Anicet: «Le MAPAQ ne soutient en rien les apiculteurs du Québec, ayant très peu de vétérinaires avec une formation actualisée de disponible. Ni aucune autre instance gouvernementale canadienne. Notre industrie nécessite gravement un soutien financier et ce depuis fort longtemps vu son importance dans le maintien de notre alimentation. Nous demandons à être entendus compte tenu de l’importance de cette filière plus qu’essentielle pour notre agriculture et autonomie alimentaire». Caribou leur tend le micro pour mieux comprendre les rouages de la situation qui a mené à cet appel à l'aide sur les médias sociaux.
Un texte de Julie Aubé
Comment l’apiculture est-elle devenue aussi essentielle au maintien de notre alimentation?
Environ les deux tiers des cultures comestibles requièrent de la pollinisation, en particulier les fruits (bleuets, canneberges, pommes…) ainsi que plusieurs plantes oléagineuses (canola, tournesol) et fourragères (trèfle, luzerne) qui nourrissent les animaux. Avant l’agriculture industrielle, la pollinisation était assurée par le vent et une variété de pollinisateurs sauvages. Or, ces derniers sont mis à mal par l’agriculture moderne et ses grandes surfaces monoculturales, les pertes d’habitats et les pesticides. L’apis mellifera (soit l’abeille domestique ou l’abeille à miel) élevée par les apiculteurs est devenue essentielle au maintien d’une alimentation variée, colorée et nutritive.
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Pourquoi l’apiculture a-t-elle un si grand besoin d'être soutenue financièrement?
La mortalité des abeilles fait la manchette depuis plusieurs années, et ça a encore été le cas au printemps, à la suite des taux élevés chez bon nombre d’apiculteurs au Québec et ailleurs au Canada. Imaginez un agriculteur qui a 100 vaches, qui rentre dans sa grange et qui voit 25 vaches mortes par terre; ça frappe! C’est pourtant ce qu’il nous est arrivé avec des pertes post-hivernales de 25% (par rapport à 10-15% habituellement). Certains collègues ont eu jusqu’à 60 à 80% de mortalité. Les causes sont multiples et leur importance relative variable d’un apiculteur à l’autre : intoxication aux pesticides, manque de diversité alimentaire, impact des changements climatiques avec un automne prolongé (les abeilles puisent dans leurs réserves avant l’hiver), printemps pluvieux et tardif, affaiblissement relié aux parasites et pathogènes, etc.
«Une chose est certaine: si les agriculteurs récoltent ou maintiennent leur rendement dans les cultures pollinisées aujourd’hui, c’est parce que des apiculteurs ont le courage de remonter leur cheptel année après année, sans aide digne de ce nom. Sachant que notre industrie est essentielle au maintien d’une alimentation variée de qualité, il ne faut pas attendre que les apiculteurs se découragent!»Quel type de soutien souhaitez-vous? Une aide financière par ruche reconstruite, par exemple. On avait une assurance-récolte avant, mais la plupart des apiculteurs n’y souscrivent plus, car elle n’est plus adaptée aux réalités d’aujourd’hui et trop chère pour ce qu’elle couvre. Une aide à la reconstitution du cheptel n’est pas un souhait qui sort de nulle part; on voyage et on sait que ça existe ailleurs. Par ailleurs, il n’y a à peu près pas de vétérinaires spécialisés pour l’ensemble de la province. Ça aiderait d’avoir plus d’expertise en apiculture au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l' Alimentation du Québec. Ils comprendraient mieux l’industrie et pourraient mieux nous accompagner. C’est insensé qu’un métier si crucial pour tout le secteur agroalimentaire soit complètement laissé à lui-même, sans support ni surveillance. À Ferme-Neuve par exemple, nous élevons 8000 reines pour les apiculteurs au Québec, mais nous n’avons aucun soutien technique ni financier, alors que chaque reine permet de créer une colonie. Parlant d’élevage, une aide financière serait pertinente pour structurer un réseau d’élevage-vente de reines locales, donc plus rustiques et mieux adaptées à notre territoire. Les éleveurs locaux ne suffisant pas à la demande, on importe des abeilles de l’extérieur pour rebâtir les cheptels, mais la qualité de ce matériel génétique n’est à peu près pas contrôlée. Il faudrait que plus d’apiculteurs locaux en élèvent, mais c’est un métier complexe pour lequel il est difficile d’être formé : déjà qu’il n’y a pas d’école en apiculture (seulement un cours à distance), imaginez le défi de développer un savoir-faire hyperspécialisé comme l’élevage! Financer la mise sur pied d’une formation sérieuse, détaillée et actualisée en apiculture, puis subventionner des cohortes pour former une relève, serait une bonne façon pour le gouvernement d’aider la filière apicole. Aujourd’hui, ça prend de l’expertise pour maintenir ses ruches en vie, et il y a nécessité à développer cette expertise au Québec. Il serait également utile de financer davantage les recherches en apiculture menées au Centre de recherche en santé animale de Deschambault afin de perfectionner nos connaissances sur les défis d’aujourd’hui et ainsi pouvoir mieux prendre soin de nos abeilles et mieux valoriser leur travail. On est conscient que ce n’est pas simple de mettre en place des aides financières adaptées, structurantes et vraiment aidantes, tout en évitant les abus. Mais il faut s’y mettre puisqu’il est question d’accès à une alimentation variée et nutritive. En attendant, chaque citoyen peut privilégier les aliments de base provenant de petites fermes écologiques locales, réduire le gaspillage, planter des fleurs… et faire des pressions auprès des élus!