Nathalie Joannette: charcutière pionnière - Caribou

Nathalie Joannette: charcutière pionnière

Publié le

02 mars 2016

Texte de

Geneviève Vézina-Montplaisir

Photo de

Maude Chauvin

Vous ne verrez jamais une photo de Nathalie Joannette posant dans un champ avec un cochonnet tout rose dans les bras et un fichu à carreaux sur la tête. L’image romantique de l’artisan et la notion bucolique du retour à la terre, très peu pour elle!
Vous ne verrez jamais une photo de Nathalie Joannette posant dans un champ avec un cochonnet tout rose dans les bras et un fichu à carreaux sur la tête. L’image romantique de l’artisan et la notion bucolique du retour à la terre, très peu pour elle!
publicité
Plus grand que la panse

«Je travaille tous les jours en sarrau blanc avec un filet sur la tête, dit-elle en enfilant son habit quotidien. Les gens sont toujours surpris de voir qu’une artisane peut travailler dans un espace qui ressemble à un laboratoire. Mais en raison des normes d’hygiène qui régissent mon travail, c’est blanc, c’est froid… C’est ça, ma réalité!»

La charcutière m’accueille au Centre de développement bioalimentaire du Québec (CDBQ), à La Pocatière, un centre de recherche et un incubateur qui abrite des entreprises souhaitant mettre au point des projets d’innovation et de recherche dans les domaines agroalimentaire et biotechnologique. C’est là, depuis 2006, que sa TPE (très petite entreprise) de charcuterie artisanale, Fou du Cochon, fondée avec Samuel Gaudet, a ses locaux.

Rien ne prédestinait Nathalie Joannette à la charcuterie artisanale bio. Si ce n’est peut-être un père français et le désir de mettre de l’avant ses valeurs éthiques et environnementales.

En 2002, avec Samuel, «un petit gars du Témiscouata», son copain d’alors, l’intervenante sociale quitte Montréal pour la région de Kamouraska. Elle souhaite retrouver les grands espaces, elle qui a passé les premières années de sa vie en Acadie et sur la Côte-Nord.

Les premiers temps dans son petit coin de paradis sont par contre loin d’être idylliques. Nathalie, comme Samuel, cuisinier de formation, doivent se rabattre sur des contrats temporaires ou des emplois saisonniers. «Il n’y a pas beaucoup de jobs à la campagne», se désole la brunette qui ne fait pas ses 46 ans.

«Parfois, on se retrouvait tous les deux au chômage. Le premier hiver, ça allait, le deuxième aussi, mais après ça, on s’est mis à chercher des façons de créer notre propre emploi. On a d’abord voulu faire du fromage, mais quand on a découvert que lorsqu’on a un petit cheptel, on doit vendre son lait à l’Union des producteurs agricoles et le racheter ensuite, on s’est dit: ouache!»

En mai 2005, lors d’une soirée de «jouage de cartes et de buvage de bière», un couple d’amis belges fait remarquer à Samuel et à Nathalie qu’il n’existe pas de bonnes charcuteries au Québec. Il n’en faut pas plus pour que ces derniers commencent à faire des saucissons secs dans leur sous-sol. Ceux-ci seront bios, ne contiendront pas de nitrites et seront fabriqués avec des boyaux naturels.

Depuis, l’entreprise a ajouté à son offre une gamme traditionnelle. Plus profitable, celle-ci permet à l’entreprise de continuer à faire du bio. «Si on ne faisait que du bio, on serait morts!» assure Nathalie.

Bien vite, le sous-sol du couple devient trop petit pour accueillir tous ses saucissons. Samuel et Nathalie vont donc cogner à la porte de Charles Marois, producteur de viande bio, afin de louer quelques jours par semaine son local de boucherie de Saint-André-de-Kamouraska, qui leur servira aussi d’endroit pour vendre leurs créations.

«Il faut dire qu’il y a 10 ans, le saucisson sec artisanal québécois n’était pas hot comme aujourd’hui. On a démarré bien avant que les plateaux de charcuteries soient à la mode. Les gens ne savaient même pas quoi faire avec un saucisson! Mais les passants s’arrêtaient toujours plus nombreux sur la 132 pour acheter nos Grelots et nos Bâtons [gammes de saucissons bios de Fou du Cochon]. On s’est alors rendu compte que les Québécois en voulaient!» s’exclame Nathalie, les yeux brillants.

La popularité grandissante de Fou du Cochon oblige bientôt l’entreprise à chercher un autre endroit pour s’épanouir. Elle le trouve au CDBQ.

Nathalie me fait visiter l’endroit. Il est vrai que c’est assez immaculé. Mais lorsque l’artisane charcutière ouvre les portes des cellules de séchage de ses saucissons, qui reproduisent les conditions fraîches et humides des maisons de pierre et des grottes de la Corse – la mecque du saucisson sec –, c’est tout un monde de couleurs et d’odeurs qui s’offre à nous.

Des centaines de saucissons sont suspendus: des petits (les Grelots des battures au pesto de persil de mer recueilli sur les berges du fleuve) et des plus dodus (les Coppatières faites d’échine de porc mise au sel puis séchée). Il y a là tout un univers de moisissures, de spores, de champignons et de bactéries abandonnés à un mystérieux ballet chimique afin de proliférer et de créer la «fleur». Celle-ci désigne l’ensemble des micro-organismes qui se multiplient à la surface des saucissons secs et qui leur confèrent un goût et une odeur uniques rappelant le fromage.

À Fou du Cochon, on laisse la magie opérer sans s’en mêler, comme c’était la coutume autrefois. Une flore bactérienne indigène se développe donc d’elle-même dans l’air et sur la matière première, le cochon. La fleur, de couleur blanche, prend ainsi de subtiles teintes de bleu et de vert. «Regarde comme c’est beau, regarde comme la fleur est magnifique», me dit Nathalie en tenant un saucisson entre ses doigts comme si c’était la huitième merveille du monde. L’artisane voit ses saucissons comme de véritables petits bijoux.

Elle rêvait d’ailleurs depuis longtemps de s’en faire un collier, voeu qui a été exaucé par notre photographe, l’instant d’un cliché.

Nathalie apporte un brin de folie et sa touche féminine à un produit généralement conçu et fabriqué par des hommes. Ainsi, elle propose un saucisson de porc pour les «végétariens» à la luzerne, le Si Pousse bio de Kamouraska.

Dans les prochains mois, Fou du Cochon souhaite ouvrir un atelier boutique. L’entreprise aura également sa ferme d’élevage bio «avec des cochons de races rustiques. Ils seront dehors à l’année!» Peut-être alors, et alors seulement, acceptera-t-elle de prendre la pose avec un petit cochonnet sous le bras.

 

Cet article est paru initialement dans le numéro 1, Les origines, en octobre 2014.

publicité

Grandes entrevues

Tous les articles

Plus de contenu pour vous nourrir