Vignoble Rivière du Chêne: 25 ans à toujours vouloir faire mieux
Publié le
14 septembre 2023
Texte de
Geneviève Vézina-Montplaisir
— Comment le projet du Vignoble Rivière du Chêne est-il né?
C’est un hasard! Pendant mes études, j’ai fait un stage dans le sud de la France où j’ai visité plusieurs vignobles, mais je n’aurais jamais pensé à cette époque avoir le mien un jour!
Je suis fils d’agriculteur, j’ai passé mes étés sur la terre qui accueille aujourd’hui le vignoble, à cultiver des choux, des choux-fleurs, et du maïs avec mes parents. Au printemps, on opérait une érablière.
J’évoluais déjà dans le milieu agricole quand j’ai rencontré mon ex-femme, la mère de mes enfants. En 1996, est arrivé le moment où on pensait s’acheter une maison ensemble. On a fait une visite d’un terrain au bord de l’eau, à Saint-Eustache, et quand j’ai partagé à mon père le prix de vente il m’a dit: «Vous êtes fous de vouloir payer ce prix-là, je pourrais vous vendre ma terre pour le même prix!» On a ensuite fait une visite du Vignoble de l’Orpailleur et j’ai rencontré Charles-Henri [ndlr: de Coussergues] et il était tellement passionné! C’est là que ça a fait un plus un dans ma tête. J’ai commencé à réfléchir au projet d’acheter la terre de mon père pour y faire pousser de la vigne. J’ai passé deux ans à construire le projet et j’ai planté mes premières vignes en 1998.
— Comment était l’industrie viticole québécoise à l’époque et comment a-t-elle évoluée?
Il y a 25 ans, il n’y avait pas vraiment d’industrie. Il y avait des vignobles ici et là, mais on nous ne prenait vraiment pas au sérieux. Le gens nous disaient que l’on n’avait pas le climat pour faire du vin. Mais à cette époque, c’est plutôt le climat politique qu’on n’avait pas pour produire du vin!
En réalité, le climat était déjà très adéquat pour faire pousser certaines variétés de vignes. Les recherches sur les protections hivernales n’étaient cependant pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Quand Yvan Quirion du Domaine St-Jacques est arrivé avec son bon coup des toiles hivernales, il nous a dit: «Vous devriez essayer ça!» Il y avait vraiment une différence de rendement. Ça a changé la donne pour le vignoble québécois. En 2013, j’ai donc commencé à couvrir mes vitis viniferas, mon pinot noir et mon chardonnay.
Ce n’est pas parce que je ne croyais pas à nos hybrides que j’ai choisi du planter aussi des vitis viniferas, c’est parce que je voulais prouver qu’on avait un climat pour cultiver des viniferas au Québec. Aussi, le profil d’un vinifera est connu, donc quand les gens goûtaient un chardonnay d’ici, ils pouvaient avoir des points de référence. Mais c’est sûr qu’il y a un côté nordique et plus de fraîcheur dans un chardonnay d’ici versus un chardonnay de la Californie ou du Chili.
J’ai joint le conseil d’administration du Conseil des vins du Québec en 1998 et j’y ai été pendant 19 ans! J’ai travaillé sur plusieurs dossiers et j’ai rencontré plusieurs vignerons, ce qui m’a permis d’apprendre énormément sur le métier, car entre nous, on ne se compétitionne pas. Notre compétition: ce sont les vins étrangers!
Au fil du temps, les vignerons québécois se sont pris en main et ont mis en place l’Indication géographique protégée (IGP) Vin du Québec. Cette certification a amené des retombées au niveau de la presse et au niveau des sommeliers. Le cahier de charges nous a aidé nous a donné une constance, une rigueur. Ce qui également eu un effet qualitatif sur les vins produits. Pour moi, l’IGP, c’est un gage environnemental, de traçabilité et de qualité.
Si on regarde le portrait de l’industrie aujourd’hui, il a bien changé. Il y a 7-8 ans, on était à 500 hectares de vignes pour tout le vignoble québécois. Aujourd’hui, ça a plus que doublé avec 1100-1200 hectares de vignes. Et on a dépassé les 3 millions de bouteilles de vins québécois vendues par année.
Chez nous, avec nos deux sites, nous sommes à 56 hectares, et à près à de 400 000 bouteilles vendues par années.
Un petit mot sur La Cantina
La Cantina est le deuxième bébé de Daniel Lalande. Il a planté les premiers 9 hectares de ce vignoble situé à Oka en 2015. Aujourd’hui, le domaine, qui compte plus de 30 hectares, vient tout juste d’ouvrir une boutique au public. La Cantina possède deux gammes de vins. L’empreinte distinctive du vigneron est une petite production de vins issus de cépages vitis viniferas et la gamme La Cantina classique propose des vins destinés aux épiceries du Québec, faits de vitis viniferas et de cépages hybrides. «Cet automne, nous allons sortir deux nouveaux produits, un blanc et un rouge, dont les prix vont se situer entre ceux de la gamme classique et de la gamme distinctive. On ne peut pas en dire plus pour le moment!»— Quel conseil donneriez-vous à un jeune vigneron qui souhaiterait se lancer dans le métier?
Je lui dirais de multiplier les échanges avec d’autres vignerons, de devenir membre du Conseil des vin Québec au plus vite et de participer aux événements. Je lui dirais de rencontrer plein de monde, mais d’établir son plan à lui. De se questionner sur le choix du site où il veut établir son vignoble, sur les cépages qu’il veut planter, et sur le type de vin il veut faire.
On veut voir de nouveaux vignerons s’installer, être forts, ne pas faire les mêmes erreurs que nous. On a avantage à avoir des nouveaux qui réussissent!
— Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans ces 25 ans parcourus?
Quand je regarde la terre où j’ai travaillée avec mon père et ce qu’elle est devenue, ça me rend fier. Notre contribution à la communauté de Saint-Eustache me rend fier aussi.
Je peux dire que j’ai le sentiment du devoir accompli. Je suis capable de reconnaître qu’on a fait des bons coups. Mais on en a fait un paquet d’erreurs aussi! C’est cliché de dire ça mais des erreurs, ce sont des occasions de faire mieux la prochaine fois.
— Et durer 25 ans, ce n’est pas rien!
C’est vrai! Tu ne pas peux durer 25 ans si tu ne fais pas une bonne job. Il faut que tu sois audacieux pour te lancer en affaires. Il faut que tu te battes et que tu t’ajustes constamment. Le chemin n’est jamais fait de lignes droites. Il faut que tu te mettes en doute constamment. Mon produit, est-il bon? Comment je peux l’améliorer ? Comment le consommateur va-t-il le recevoir? C’est lui, au final, qui a le dernier mot.
— Et ce consommateur de vin justement, a-t-il changé en 25 ans?
Oui, énormément! Quand on a commencé, les gens venaient au vignoble pour «nous encourager». Aujourd’hui, les gens nous visitent et achètent nos vins pour se faire plaisir. Et c’est la même chose pour mes collègues vignerons. On est plus à quatre pattes à dire: «achetez nos produits s’il vous plaît, faut payer nos factures!»
Aujourd’hui, nos produits sont dans plus de 300 succursales SAQ. Quand je vois les commandes chaque semaine, je me dis qu’on est en train de compétitionner les 14 000 vins étrangers! Avec les données du programme SAQ Inspire, on se rend compte que les gens achètent nos produits une première fois et qu’ils en rachètent. Ça veut dire qu’ils ont adopté le produit.
Aujourd’hui, on est à environ 300 000 à 400 000 personnes qui achètent des vins québécois par année. C’est l’fun, mais en même temps, il y a encore énormément de consommateur à aller chercher.
C’est en faisant de la qualité, qu’on va créer le deuxième rendez-vous avec la bouteille. La première bouteille achetée, c’est souvent à cause d’une promotion, ou suite à une dégustation, mais la deuxième bouteille, c’est la qualité du produit qui va donner le go au client de l’acheter. Il faut investir là-dedans et dans les ressources humaines, car le client a toujours le choix d’acheter des importations privées, des vins en épiceries, etc.
— Comment célébrez-vous vos 25 ans au vignoble?
On a procédé à un rafraîchissement des étiquettes de nos vins. On a lancé deux cuvées anniversaires: le Chardonnay et l’Origine Cuvée Spéciale, fait de pinot noir et de petite perle. Ce sont deux produits dont je suis pas mal fier!
Au Bistro VRDC, on propose, le week-end, de 14 h à 16 h, la planche du 25e. Pour 25$, on offre une planche de charcuteries avec 3 verres de vin. Ce n’est vraiment pas cher!
Il va aussi y avoir les vendanges ouvertes au public pendant lesquelles on va réserver quelques surprises…
J’espère que les gens vont venir nous visiter! Les gens prennent l’avion pour aller visiter des vignobles à travers le monde, pourquoi ne pas venir nous voir pour nos 25 ans? Avec les aménagements sur notre site, notre volet musical, le bar extérieur, le bistro, on a beaucoup à offrir et la région aussi!
— Comment entrevoyez-vous l’avenir du Vignoble Rivière du Chêne?
Comme je n’ai pas de relève, c’est certain que dans les prochaines 5 à 10 années, il va falloir que j’y pense…
Mais pour l’avenir, ce que je souhaite, c’est qu’on soit reconnu comme un leader auprès de nos pairs et de la clientèle. Je souhaite qu’on continu à être des horlogers en termes de qualité et de rigueur. Avec mon équipe, je nous vois continuer à créer un endroit où il fait bon venir et revenir.
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