Vignoble Le Chat Botté: le passé le présent et le futur - Caribou

Le passé, le présent et le futur du vignoble Le Chat Botté

Publié le

28 janvier 2025

Texte de

Sébastien Daoust

Photos fournies par

Le Chat Botté

Normand Guénette et Isabelle Ricard sont propriétaires du vignoble Le Chat Botté, dans le sud du Québec. Niché entre le Parc Safari et le village d’Hemmingford, le vignoble qui a fêté ses 20 ans en 2024 s’est notamment fait connaître pour ses vins de paille. Le vigneron et chroniqueur Sébastien Daoust a décidé de commencer sa série de grandes entrevues vigneronnes avec son voisin Normand, pour regarder le passé, le présent et le futur de son vignoble.
Normand Guénette et Isabelle Ricard sont propriétaires du vignoble Le Chat Botté, dans le sud du Québec. Niché entre le Parc Safari et le village d’Hemmingford, le vignoble qui a fêté ses 20 ans en 2024 s’est notamment fait connaître pour ses vins de paille. Le vigneron et chroniqueur Sébastien Daoust a décidé de commencer sa série de grandes entrevues vigneronnes avec son voisin Normand, pour regarder le passé, le présent et le futur de son vignoble.
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Plus grand que la panse

Vous vous souvenez, dans ma dernière chronique, je vous avais confié vouloir tendre le micro à mes collègues vignerons, pour en apprendre plus sur leur histoire? Eh bien, ça commence aujourd’hui avec Normand.

Comme un fin équilibriste, Normand se faufile entre les sacs hétéroclites remplis de bouffe, de cadeaux et de vêtements. C’est le 3 janvier, ma petite famille entame son grand retour vers Montréal, après avoir passé deux semaines tranquilles au vignoble. Pour tous ceux qui ont un chalet et une petite famille, vous savez comment ces grands départs demandent une logistique épuisante en fin de vacances.

Saluant ma conjointe Josée, Normand trouve son chemin vers la salle à dîner. «Le voisin», comme nous l’appelons, n’habite qu’à cinq minutes de notre vignoble. Il connaît bien ma petite demeure, et s’installe paisiblement à la grande table. Je connais l’histoire de Normand et Isabelle, sa conjointe, par petit bout. Nous n’avons jamais eu la chance d’en parler de façon plus structurée, alors en cette fin d’après-midi, je suis content de pouvoir explorer son parcours.

Nous remontons donc dans le temps. Où était-il quand il a pensé, la première fois, à avoir son propre vignoble. L’architecte paysagiste de profession prend un temps pour réfléchir au moment exact, et finalement me répond: «Dans une maison de ville à Laval que j’avais achetée avec ma conjointe précédente […] en 1998. Je faisais déjà la route des vins à l’époque, et ayant travaillé aussi en France, surtout dans la vallée de la Loire, j’avais un intérêt pour le vin.»

La route des vins, et le vignoble québécois en général, était différente à l’époque. Au Québec, le vignoble Dietrich-Jooss, à Iberville en Montérégie, l’inspirait. Il est disparu aujourd’hui à la suite du décès de Victor Dietrich en 2003, mais il se souvient que l’endroit se rapprochait de sa vision. «C’était familial, une moins grosse structure. Ils proposaient aussi de très bons vins. Pour l’époque, ils étaient une coche au-dessus, pour mes goûts personnels.»

Pour le jeune homme qu’il était alors, le défi semblait de taille. «Butter des vignes pour l’hiver, ça me semblait complexe», se rappelle-t-il, mentionnant que nous étions encore bien loin de la venue de cépages rustiques plus qualitatifs (ne demandant pas de protections l’hiver) ou des toiles géotextiles (la forme de protection plus largement utilisée de nos jours pour les cépages non rustiques).

C’est en 2001 qu’il achète son petit lopin de terre dans le canton d’Hemmingford, avec sa nouvelle conjointe, Isabelle Ricard (aujourd’hui copropriétaire du vignoble Le Chat Botté avec lui). Ce canton se retrouve dans la section sud de la Montérégie, et on y réfère de plus en plus comme étant le «Sud-du-Québec» vue la température qui y est recensée. Encore là, le but n’était pas encore d’y établir un vignoble. «On n’a pas magasiné une terre pour un vignoble. En fait, Isabelle cherchait surtout un espace pour sa compagnie produisant des chandelles, pour avoir son atelier. Mais je voyais quand même l’opportunité de faire quelque chose, vu le petit verger qui se retrouvait sur la terre. La plupart des terres qui sont bonnes pour les pommes sont bonnes pour la vigne. On n’a pas fait une grande étude agronomique quand on a acheté, mais c’était l’analyse que j’en faisais.»

En 2003, ils s’essaient avec quelques plants de vignes dans son potager. Il rejoint Alain Breault, grand pépiniériste pour le raisin de cuve au Québec, et le visite. «Ça a duré près de six heures, on a goûté à des cuvées «tests» de différents cépages, et j’ai trouvé ça impressionnant. En peu de temps, les profils avaient complètement changé par rapport à ce que je goûtais auparavant.» En 2004, il commence avec quelques vignes, 3500 plus exactement, dont certaines qui font encore sa marque de commerce de nos jours, notamment le frontenac, le swenson white et l’adalmiina.

Avec un sourire en coin, il se rappelle cette effervescence avec Alain Breault, mais aussi avec Gilles Benoit (du vignoble des Pins, repris aujourd’hui sous le nom du Clos des Cigales) et Robert Le Royer (vignoble Le Royer St-Pierre, à Napierville). Avec peu d’œnologues conseils à l’époque, le partage des techniques se faisait d’un vigneron à l’autre. Pour Normand, ce vigneron qui l’a accompagné en démarrage, ce fut Robert Le Royer. «Robert, avec Alain [Breault] et Gilles [Benoit] avaient mis sur pied l’EVVQ, l’École de vitiviniculture du Québec. Appeler ça une école était un bien grand mot, mais ça facilitait le transfert des connaissances. Alain donnait des cours sur la vigne, sur la taille, par exemple. Et Robert, c’était plus sur le côté vinification. Mais c’était une autre époque: les cours se donnaient avec de petites touries, et ça ressemblait plus à un cours de vin fait maison qu’un cours formel de vinification.»

Il reste qu’il se rappelle ces échanges avec nostalgie. Les partages étaient très riches, et tout le monde apprenait tout en même temps. «Les vignobles n’avaient pas la même échelle à l’époque. C’était de petites productions. C’était plus exploratoire qu’aujourd’hui. Mais la culture d’échange est restée.»

Les moments marquants

Comme n’importe quel propriétaire d’entreprise, il y a des moments qui nous frappent plus, où on a l’impression que notre projet vient de passer à la vitesse supérieure. Normand s’étire sur sa chaise, en pensant aux 20 dernières années. «Il y en a deux. En 2013, au Salon des vins du Québec. Nous aimions bien notre rouge 2012, mais on est toujours un peu mauvais juge. Jessica Harnois remettait les médailles d’argent et nous étions un peu déçus de ne rien avoir reçu. À la fin, elle annonce qu’il n’y a qu’une seule médaille d’or, et c’était notre vin. Un rouge, en plus!

Mon deuxième moment est en 2016, quand on a pu commencer à vendre dans les épiceries. Avant ça, on vendait chez nous seulement. Certains vendaient à la SAQ, mais de notre côté, on était vraiment axé sur l’œnotourisme. En 2016, avec les épiceries, on avait le choix, on pouvait dire: «On n’a plus besoin de vendre au vignoble». Avant ça, pour ceux qui étaient à la SAQ, on avait l’impression qu’on était en compétition un contre l’autre. Avec les épiceries, tout a changé. Le problème n’était plus de vendre, c’était de produire. Ça a décloisonné le vignoble.»

J’ai eu la chance d’arriver sur le marché en 2017, et il est vrai que tout à coup, les vignerons se retrouvaient avec tout un marché de plus à couvrir sans avoir augmenter leur production. Ça a permis à certains vignobles de transférer leur production vers les épiceries, et donc de libérer de la place sur les tablettes de la SAQ. Mais comme mes vieux cours de macroéconomie me l’ont rappelé, comptez toujours sur une forte demande de se résorber d’elle-même à moyen terme.

Normand et Isabelle, il y a une vingtaine d'années

Où en est-il aujourd’hui?

L’horloge suisse sur le mur continue son lent tic-tac, s’assurant qu’elle sera à l’heure au moins une fois aujourd’hui. Elle nous rappelle que nous avons déjà passé 40 minutes à parler du passé. Et ce qui m’intéresse, c’est le présent et l’avenir.

Avec une production entre 25 000 à 40 000 bouteilles, Normand n’hésite pas un instant quand je lui demande ce qu’il voit comme son plus grand défi, qu’il attache au vignoble québécois en général. «C’est un défi de commercialisation, un défi de notoriété. Pendant la pandémie, ça allait bien, les gens adoptaient les produits locaux. Mais avec un simple ralentissement économique, on rencontre des défis à ce niveau-là. Il y a une volonté de revenir aux valeurs sûres.» Je le confronte, en lui mentionnant que pourtant, les vins du Québec ne sont pas plus chers que la vaste majorité des vins sur les tablettes à la SAQ. «On revient à la notion de notoriété. Il faut que les consommateurs se disent que pour un même prix, ils auront la même qualité. Je ne parle pas de goût. Quand tu achètes un vin du Québec, tu ne t’attends pas à ce que tu goûtes un Côtes du Rhône. Il faut que les gens aient l’impression que si tu payes 23$ pour un vin, que tu en auras pour 23$. C’est ce que je veux dire par notoriété. Le 1% ou 2% des consommateurs des vins du Québec, ils sont convaincus. Mais les autres, il faut leur montrer la qualité de nos vins. On fait des super bons vins, il faut le montrer maintenant.»

Il fait un lien avec la nouvelle image de ses étiquettes, une transition qui a eu lieu depuis trois ans maintenant. «C’était une question d’image de marque, qui correspond à notre conversion bio. On voulait une image plus contemporaine. Je trouve qu’il y a encore un côté très artisanal aux étiquettes de plusieurs vins du Québec, surtout à la SAQ. Quand tu es aux côtés de produits mondiaux, tu ne peux pas avoir l’air TROP artisanal, et c’est ce que je voyais avec nos anciennes étiquettes. On vendait toutes nos bouteilles quand même. Mais il faut que tu regardes quelques années en avant.»

Les nouvelles étiquettes du vignoble

Parlant d’image, il y en a une qui me frappe toujours avec mon voisin. Dans un monde de vins de soif au Québec, Normand s’amuse à explorer des vins plus riches et corsés, utilisant une source variée de fûts. Qu’est-ce qui l’a amené à explorer des élevages en fûts de bourbon et cognac, qui font la notoriété de ses rouges. «C’est quelque chose qui se fait depuis longtemps en Californie, et [en Colombie-Britannique], et je trouvais que ça donnait des résultats intéressants. C’est vrai qu’au Québec, en terme de rouges, on entend plus parler des vins de soif, et moins des vins boisés. Ma vision – j’en reviens à ce 1% des ventes des vins au Québec – il y a des clients qui veulent ça plus boisé, Mais bon, un moment donné, ça n’a plus de sens: je pense qu’on a 21 cuvées cette année! On explore pas mal!»

Et le futur?

Dans les 10 prochaines années, que voit Normand pour le vignoble Le Chat Botté et les vins du Québec en général. Le tic-tac de l’horloge revient, et il hésite à devenir un Nostradamus pour l’industrie. «Pour notre vignoble, c’est une question de maturité de notre modèle d’affaire. Stabiliser tout ça: la production de raisin, notre gamme de vins, nos ventes. On ne veut pas grossir, mais exceller dans ce qu’on fait. On a la terre pour grandir, mais c’est moins l’objectif. 50 000 bouteilles par année, c’est un beau chiffre me semble-t-il pour notre 5 hectares. On veut remplacer certaines vignes, surtout celles fragilisées par notre manque de connaissance en début de parcours.»

Et pour les vins du Québec? Il soupire. Il semble avoir beaucoup à dire. Le défi pour celui qui est maintenant sur le conseil d’administration du Conseil des vins du Québec semble complexe. «Il faut stabiliser les acquis et mettre en marché tout ce qu’on a planté depuis les quatre dernières années. On y est allé fort pendant la pandémie. Et je ne sais pas si tout le monde a réfléchi à la mise en marché de tout ça. Dans 10 ans, ce que j’espère, c’est qu’on aura réussi à faire progresser cette notoriété dont je parlais pour les vins du Québec. Au même titre que les microbrasseries.»

«Dans la bière artisanale, je connais bien peu de gens qui me disent: "Je ne bois que des bières grand marché." ou "J’achète des bières artisanales américaines." Non, dans le fond, on boit de la bière locale. C’est normal, c’est logique. Et c’est bon.»
Normand Guénette

La discussion aurait pu durer bien plus longtemps que les 90 minutes que nous avons passées ensemble. N’importe qui nous connaissant sait très bien qu’on aurait pu y passer la soirée! Je laisse mon voisin partir, entre quelques potins sur notre petit village d’Hemmingford. Je me surprends à penser que dans tout ça, je n’ai jamais eu le sentiment que Normand et Isabelle ont trouvé ça difficile. Ce n’est pas dans leurs mots, dans leur histoire. Pourtant, on se doute de tous les défis qu’ils ont rencontrés. Et c’est peut-être pour ça que j’aime parler avec «le voisin», parce qu’il me fait toujours un peu oublier les défis auxquels nous faisons face.

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