— Comment peut-on dès lors définir la cuisine québécoise moderne?
La cuisine québécoise devient moderne parce qu’elle s’inspire un peu de tout. Et cette modernité va s’incarner non plus avec des plats, mais avec des produits québécois qui ne sont pas spécifiquement définis: c’est l’usage du produit local qui va faire qu’on dit que c’est québécois. On peut faire de la cuisine québécoise avec des carottes, des petits fruits, des oursins, du fromage québécois. Il est donc important d’avoir un discours collectif, écrit ou oral formulé à travers divers supports (livres, articles, balados, guides, documentaires, etc.), pour affirmer et véhiculer la vision que nous avons de nous-mêmes, parce que si on ne le fait pas, ce sont les autres qui vont le faire. Si un touriste souhaite découvrir la cuisine québécoise et qu’aucun Québécois n’est en mesure de lui dire ce que c’est, il va peut-être chercher ailleurs, comme dans un guide de voyage étranger. Sans discours, il n’y a pas de vision.
— À ce propos, quel pourrait être l’effet de l’arrivée en mai dernier du Guide Michelin au Québec sur la définition de sa gastronomie?
Le Guide Michelin est un bon exemple de discours sur la gastronomie au Québec. Bien que cela puisse être contesté, le choix des restaurants impose une vision de notre gastronomie, une hiérarchie avec certains établissements au premier plan. Ce choix est discutable et il a d’ailleurs suscité de nombreuses réactions au Québec. Et alors, est-ce que le regard de l’autre est faux? Je pense qu’on a tout à gagner à se rassembler pour faire émerger notre propre discours, car on a énormément de choses magnifiques à faire découvrir. Les gens qui viennent nous voir sont, en général, complètement séduits par ce qui se passe ici. Parce que ça sort un peu du cadre, parce qu’il y a une créativité qui est rafraîchissante. Il y a des produits magnifiques, qui ne sont pas connus en Europe notamment, comme les têtes de violon, l’hémérocalle, l’acerum…
Les pays nordiques ont fait leur manifeste. Est-ce que ça changerait les choses de faire un manifeste au Québec? Ça pourrait être le point de départ d’une réflexion collective.
— Bien sûr, il y a le contenu de l’assiette, mais vos recherches ont montré une autre facette qui caractérise aussi le restaurant montréalais… Quelle est-elle?
On voit en effet que les plats ressortent, mais on remarque aussi les ambiances, les décors. Dans les années 1960-1970, on retrouve des établissements, surtout dans le Vieux-Montréal et le centre-ville, de vieilles pierres grises avec de vieux meubles qui donnaient un peu dans le folklore «Nouvelle-France», puis à partir des années 1980, on voit émerger dans les quartiers le diner, la binerie, la place à déjeuner — que les Français trouvent d’ailleurs très particuliers — avec un long comptoir, des tabourets. Un peu comme une conséquence de la Révolution tranquille, on n’est plus dans le mythe de l’histoire, mais on s’affirme davantage comme des Nord-Américains francophones et urbains. C’est l’environnement, la clientèle et l’expérience qui font qu’on parle d’ambiance québécoise.
— Enfin, est-ce que la cuisine québécoise est inclusive?
On dit qu’on est multiculturels, mais c’est dur d’intégrer dans l’assiette — au-delà de l’histoire française-anglaise et du bagel et du smoked meat — une synthèse des histoires autochtones et d’immigration. C’est comme si on n’osait pas le faire par peur de s’approprier quelque chose qui ne nous appartient pas.