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Sur l’île d’Orléans, Alexandre Faille, appuyé par une équipe de trois maraîchers, a la responsabilité de combler une grande partie des besoins en légumes des cuisines de L’Auberge Saint-Antoine, à Québec. Amorcée il y a quinze ans, cette aventure discrète à laquelle il s’est greffé en 2009 lui laisse la liberté de pousser très loin la recherche de variétés, pour stimuler la créativité des chefs et faire en sorte que dans la salle à manger, «on ait des histoires à raconter».
Chronique d’Hélène Raymond Photos de Charles Fleury
Dans des carnets imperméables, Alexandre note le retour des hirondelles, la floraison des arbres fruitiers, la cueillette des premières tomates. Il met chaque jour ces faits à l’abri des intempéries et de l’oubli. Il collectionne les ouvrages historiques, les témoignages anciens, dans lesquels il retrace les gestes du quotidien. Sa quête porte d’abord sur ce que nous avons cultivé, récolté, conservé: «Grâce à l’historien Jean Provencher, je sais l’importance et les différences des sarriettes d'hiver et d'été; j’ai suivi les formations de Michel Lambert, qui explore la cuisine familiale du Québec; le livre de Paul-Louis Martin, Les Fruits du Québec, m’a profondément marqué. Je mène mes enquêtes. Par exemple, quand le père d’un ami producteur m’a raconté qu’enfant, on lui servait tout l’hiver une soupe de haricots rouges, j’ai longuement parlé avec lui pour enfin retracer la variété ancienne «Charlevoix». Nous effectuons actuellement des tests et verrons ensuite si les chefs ont envie de l’apprêter.»
Curieux, passionné par toutes les cuisines, il se procure des semences un peu partout. Il y a quelques années, il travaillait à connaître et retrouver des variétés méconnues de maïs, héritage des cultures autochtones et voulait ainsi permettre au restaurant de moudre sa propre farine. Surprise! Dans les rangs, au travers des plants géants d’une variété trouvée en Arizona, il voit le huitlacoche, une excroissance qui se développe quand le charbon du maïs transforme les grains. Le chef pourra donc utiliser ce que les Mexicains considèrent comme leur caviar. Il parle avec autant de plaisir de la culture d’une parcelle de 600 plants de fraisiers des bois «Yellow Wonder», dont la saveur des fruits minuscules est incomparable. En poursuivant cette quête, quasiment infinie, il s’adapte aux préférences des cuisiniers: «Je travaille en amont avec eux dès janvier. On revient sur la saison précédente. Auparavant, ils ont fait leurs recherches et moi les miennes. Cette année, à leur demande, j’ai remplacé les tomates-cerises par des standards. Nous en aurons une vingtaine à leur proposer.» Le potager de l’île d’Orléans produit plusieurs dizaines de légumes, en plusieurs variétés.
Pour l’ail par exemple, il recherche des caïeux faciles à peler et hacher, comme ceux qui se conserveront, en hiver. Il cultive beaucoup de petits pois qu'il faudra écosser en cuisine, parce que rien ne bat la saveur des petits pois fraîchement cueillis.
«J’adore la relation avec les chefs. Ils sont enthousiastes, veulent de la nouveauté, ce lien direct. En été, on se parle régulièrement, je peux prévoir ce qui s’en vient pour qu’ils puissent réagir et ajuster leur menu.»
Alexandre Faille
Evan Price, copropriétaire de l’Auberge Saint-Antoine, garde en mémoire l’image d’une fin d’après-midi. Le camion du jardin est stationné, chargé des récoltes. Le chef et le jardinier sont assis sur le panneau arrière et jasent. Le contraste? Les vêtements de celui qui a passé la journée penché sur le sol frôlent le blanc immaculé de la veste du cuisinier. Il a sous les yeux le début et la fin d’une chaîne de découvertes et de créations. «Ma famille aime l’agriculture et la terre. Nous vivons à l’île d’Orléans depuis 1960, sur la ferme du Coteau. Ce potager, commencé sans bruit, fait partie de l’entreprise. Je ne connais pas un chef pour qui ce n’est pas une motivation que d’avoir à disposition toute cette variété», dit-il. Un budget d’exploitation est établi chaque année: «En fin de compte, chaque pièce du casse-tête d’un projet comme le nôtre en nourrit une autre. Et ça fonctionne!»
Cela fonctionne si bien qu’en 2020, au début de la pandémie les Price ne se sont pas demandé très longtemps s’il fallait continuer. «Si les choses vont bien, nous aurons besoin de légumes et si elles vont mal, au point où sont interrompues les importations américaines, nous aurons aussi besoin de légumes.» Alexandre a donc replongé dans ses livres et ses catalogues pour nourrir son imaginaire et, dès le printemps, il est retourné sur la terre, cultiver des légumes et des fruits.