J’essaie de réfléchir, mais y a trop de choses qui m’invitent à pas le faire. J’écris cette chronique, mais j’ai mille choses qui m’passent par la tête. J’vas-tu manger au restaurant ce soir? Où? Ma BFF se d’mande c’qu’a va faire à souper pour ses trois filles. Trois filles, quand t’es monoparentale, c’est-tu trop ou c’est juste les repas qui essoufflent et qui pèsent? Choisir c’qu’on va faire pour souper… Des pâtes? Mettons des pâtes. Google. Recettes de pâtes. Environ 29100000 résultats (0,80 seconde). C’est-tu trop? J’me dis: «On va s’aider un peu.» Ricardo offre de «Délicieuses recettes de pâtes alimentaires». Je l’aime, Ricardo. Le gars. Pour vrai. Anyway… Clique sur le lien. Trois cent quarante-deux délicieuses recettes. C’est moins. Ça aide. C’est-tu trop? Des mezzelunes, des spaghettis, des pappardelles, des rigatonis, des gnocchis, des raviolis, des cheveux d’ange, des pâtes aux œufs sans gluten… C’est-tu trop?
Pour vrai, je sais pas si y a trop de livres de recettes, trop d’humoristes, trop de restaurants. Je constate seulement que des fois, je passe des heures à «scroller» sur Facebook. DES HEURES. «Votre moyenne quotidienne d’utilisation a augmenté de 31% depuis la semaine dernière, pour s’élever à 6 heures 28 minutes.» C’est-tu trop? Qu’est-ce que j’ai fait pendant c’temps-là? J’ai-tu choisi c’que j’allais faire pour souper?
Y a-tu trop d’livres de recettes? Je sais juste que 342 recettes de pâtes, j’trouve ça angoissant, finalement. Je sais juste que l’autre soir, j’ai rien r’gardé. J’ai r’gardé des previews de films ou de séries que j’ai pas r’gardés, pis que je r’garderai probablement jamais, tout occupé à faire autre chose, à chercher autre chose à faire… Y a tellement de choses qu’on peut faire… Pis qu’on fait pas.
L’abondance de choix nous fait miroiter une illusion de liberté. C’est comme l’allée des céréales chez Costco. C’est une prison. Costco, c’est une prison. Vingt-neuf millions cent mille possibilités de recettes de pâtes, c’est une prison.
Pis là, on parle même pas de l’accès à toute cette abondance quand t’as rien. Quand t’en as pas, de choix. Même si on t’en propose mille, pis que la circulaire t’offre six Coke Zéro en format de 710 ml à 5,99$, ce qui revient à 0,14$/100 ml. C’est une information qu’y donnent dans la circulaire. Ça revient à 0,14$/100 ml. C’est-tu trop? J’veux dire, de savoir ça? À combien ça r’vient du 100 ml?
Je sais pas… C’est fou, quand je joue au théâtre, les gens me demandent souvent si c’est difficile d’apprendre mon texte. C’est vrai que c’est beaucoup de mots… Mais j’ai pas tant l’choix des mots que je vais dire. Et plus je les sais, ces mots précis que j’ai pas choisis, plus je suis libre.
Et ça, c’est aussi très confrontant, non? Y a des régimes politiques, des idéologies qui restreignent le choix et/ou l’utilisation des mots, qui choisissent pour nous. Ça pourrait paraître apaisant, mais non.
C’est orwellien soudainement comme vision du monde.
Y a trop de quoi, alors?
Y a trop de tout. Même quand t’as rien. Y a trop d’illusions de tout.
Oui, mais si tu veux vraiment, TOUT est possible. Fuck you!
L’abondance de tout réduit le champ des possibles.
Alors, pour vrai, je crois pas qu’il y ait trop de livres de recettes, les filles…
C’est pas ça qui devrait nous amener à nous remettre en question.
C’est pas de ça qu’on devrait s’inquiéter.
On devrait se demander:
Qui a intérêt à nous en proposer autant? Qui a intérêt à nous dire que le Coke, quand tu l’achètes à 5,99$ pour 6 bouteilles de 710 ml, ça revient à 0,14$/100 ml?
Qui a intérêt à me proposer tant de films, ma foi du Saint Christ…?
À soir, je r’garde Le Parrain.
Ça fait au moins 59 fois que j’le vois…
Pis j’me fais un hamburger. J’aime ça.
C’pas compliqué…