Distillation: une nouvelle présidente au front - Caribou

Crise dans le milieu de la distillation: une nouvelle présidente au front

Publié le

03 septembre 2024

Texte de

Geneviève Quessy

Photos de

C'est beau studio

L’industrie québécoise de la microdistillerie est en crise. Après un essor fulgurant dans les dernières années, plusieurs distilleries doivent aujourd’hui fermer leur porte. Madeleine Dufour occupe depuis juin 2024 la présidence de l’Union québécoise des microdistilleries. Comment voit-elle ce dossier chaud?
crise distillation
L’industrie québécoise de la microdistillerie est en crise. Après un essor fulgurant dans les dernières années, plusieurs distilleries doivent aujourd’hui fermer leur porte. Madeleine Dufour occupe depuis juin 2024 la présidence de l’Union québécoise des microdistilleries. Comment voit-elle ce dossier chaud?
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Pour les distilleries du Québec, la conjoncture est difficile. Les spiritueux du Québec sont de plus en plus nombreux sur les tablettes de la SAQ – seul canal de distribution possible autorisé par l’état pour les distilleries industrielles – ce qui raréfie les places disponibles et crée un goulot d’étranglement qui étouffe le milieu. De plus, les redevances devant être payées à l’État sont très élevées, ce qui diminue la marge de profit des entreprises. L’industrie lance des cris d’alarme depuis quelques années déjà. Le dernier président de l’Union québécoise des microdistilleries (UQMD) a quitté son poste en même temps que sa distillerie fermait, laissant la place à une nouvelle présidence.

Qui est Madeleine Dufour?

Madeleine Dufour a baigné dans la transformation alimentaire toute sa vie. En 1994, année de sa naissance, ses parents créaient le fromage Migneron, puis quelques années plus tard plantaient leurs premières vignes. Aujourd'hui à la direction générale de la Famille Migneron de Charlevoix avec son frère, Madeleine Dufour est en voie de racheter l'entreprise familiale, dont la production s'étend des fromages fins, aux vins et spiritueux. La marque Charlevoyou, connue pour ses alcools tirés de la distillation du lactosérum, sous-produit de leur fromage, inclut également des grappas, parmi d'autres alcools. Entrée sur le conseil d'administration (CA) de l’UQMD en 2022, Madeleine Dufour en occupe la présidence depuis l'été 2024.

— Madeleine, pourquoi cette envie de t’impliquer au niveau de lindustrie?

Je fais partie de ceux qui ont du mal à regarder passer la parade. Ça aurait été difficile pour moi de rester observatrice face à la crise actuelle. Ailleurs dans le monde, la distillation fait partie intégrante du paysage agroalimentaire, de la gastronomie. L’industrie mondiale est foisonnante, imparfaite, certes, mais bien vivante.

«On a le droit de croire à un Québec de demain qui fera rayonner ses alcools issus de l’agriculture québécoise.»
Madeleine Dufour

— L’industrie de la distillation semble en difficulté au Québec, qu’est-ce qui bloque? Quels sont les irritants?

L’alcool et le monopole d’État sur l’alcool sont des sujets très complexes et délicats au Québec. L’alcool n’est pas traité sur le même pied d’égalité que le reste de la transformation alimentaire. Le problème part de là. Que l’on fasse du fromage, du pain, des légumes, ou des barres de granola, au Québec, on est régie par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), et au Canada par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Dès qu’on fait de l’alcool, on est soudainement régis par quatre instances gouvernementales: la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), la santé publique, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEI) et plus particulièrement le ministère des Finances. Les lois sur les alcools ont été rédigées il y a très longtemps. Il serait peut-être temps de les rendre aussi contemporaines et dynamiques que notre industrie.

— Quels sont tes objectifs comme présidente?

L’angle qui guide ma vision en tant que présidente de l’UQMD, est celui du développement durable et de l’agriculture québécoise. Je pense que dans l’ère alimentaire dans laquelle nous évoluons, l’avenir est à la consommation de proximité. Dans notre assiette, dans nos verres, dans nos paniers d’épicerie, dans nos marchés, nous devons prioriser l’agriculture québécoise. Il y aura toujours de l’importation, mais nous devons garder une place au chaud pour l’agriculture québécoise. Parmi les enjeux principaux de l’UQMD, les plus centraux sont la cohabitation avec notre unique distributeur, la SAQ, ainsi que les changements réglementaires. Par exemple, on suggère d’ouvrir les canaux alternatifs de distribution, soit de légaliser la vente de spiritueux dans les marchés publics, permettre la vente directe de spiritueux dans les restaurants, et plus encore.

— Qu’attendez-vous du gouvernement?

À l’heure actuelle, nous sentons que le gouvernement a le pied sur la pédale de frein concernant tout le dossier des alcools. Si cette énergie de résistance et de contrôle était dirigée à essayer de dénouer les problèmes, on aurait déjà réglé le dossier des alcools au Québec. Des solutions, il y en a, et des gens motivés à faire avancer le dossier, aussi. Beaucoup d’individus au sein du gouvernement nous soutiennent avec ferveur, mais se voient freinés dans leur volonté.

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— Étant productrice de spiritueux, mais également de fromages et de vins, ta perspective te permet d’observer ces différentes filières. Vois-tu des façons de faire qui pourraient être appliquées dans l’industrie de la distillation?

Oh oui, je dirais même que c’est ce qui nourrit mon espoir. Chaque industrie a ses avantages et ses inconvénients, aucune n’est parfaite. Ce que le vin et le fromage ont en commun, c’est que c’est viable de commencer avec un projet à petite échelle. Quelqu’un peut commencer son projet en vendant ses produits chez lui ou dans différents points de vente, selon ses termes et conditions, à son rythme. Cette formule n’est pas possible pour une distillerie qui opère sous permis industriel. Quand on opère une distillerie sous permis industriel, la rentabilité du projet est basée sur des marges microscopiques puisque la SAQ prend une marge sur chacune des bouteilles vendues, qu’elles soient vendues à la propriété, dans un restaurant, ou dans une succursale. Ce qui signifie que le modèle d’affaires qui est théoriquement «intéressant», c’est celui de maximiser son profit en faisant le plus de volume possible.

«Plus de volume, quand tu n'as aucun contrôle sur la distribution, que toute l’industrie doit elle aussi faire du volume pour maximiser son profit, et que le nombre d’espaces tablette à la SAQ reste le même, eh bien ça donne ce que l’on voit aujourd’hui: une industrie prise dans un goulot d’étranglement.»
Madeleine Dufour

— Y a-t-il des modèles ailleurs dans le monde desquels l’industrie de la distillation québécoise pourrait s’inspirer?

Par rapport à la production, on pourrait s’inspirer des permis de distillateurs de la Colombie-Britannique, ou de certains permis de producteurs d’alcools en France. Pour la distribution, on pourrait s’inspirer de l’État de New York entre autres, qui favorise la place des cavistes et de la distribution indépendante.

— Comment feras-tu pour défendre à la fois les distillateurs artisans et les industriels, ceux qui produisent leur matière première, et les autres?

En essayant d’obtenir des gains pour tous. Tous forts au sein d’une même industrie.

Notre législation manque de nuances. Il devrait y avoir différents permis de producteurs d’alcool, différents chemins qui résonnent avec différents privilèges. À l’heure actuelle, le permis industriel est une catégorie «fourre-tout» qui ne prend pas en considération l’achat de matière première agricole québécoise. Ça signifie qu’une petite distillerie qui fermente les céréales de son voisin et qui souhaite faire des petits lots à son échelle va avoir les mêmes obligations et les mêmes contraintes qu’une plus grosse distillerie qui fait seulement de l’embouteillage. Tout le monde a le droit d’exister, mais il faut avoir différents permis et cadres législatifs différenciant les opérations, et donc les privilèges.

— Quels sont les trois souhaits que tu souhaites voir se réaliser durant ton mandat?

Soyons fous ! J’élargis ma réponse à ce que je souhaite pour l’industrie des alcools au Québec pour les prochaines années. D’abord, l’UQMD souhaite une refonte complète sur la loi des alcools au Québec. Ensuite, je souhaite que l’industrie survive à la tempête que nous traversons et qu’on continue d’aller visiter de magnifiques projets de distillerie sur tout le territoire québécois. Je rêverais aussi que l’industrie de la distillation au Québec devienne chef de file en termes de distillation durable, notamment en distillant davantage de sous-produits de notre transformation alimentaire. C’est notamment la direction que nous avons empruntée avec nos spiritueux Charlevoyou en distillant notre lactosérum et nos marcs de raisin.

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