Journal d'un vigneron: l’école à la maison à l’ancienne - Caribou

Journal d’un vigneron: l’école à la maison à l’ancienne

Publié le

15 avril 2021

Texte de

Sébastien Daoust

Il est cinq heures du matin. Le camion-embouteilleur est arrivé tard hier soir. Pendant la journée, ma collègue Geneviève, ainsi que notre stagiaire de l’ITHQ, Nicholas-Alexis, ont dû non seulement faire une ultime filtration de certains de nos vins, mais en plus fournir à l’embouteilleur des échantillons de bouteilles vides, d’étiquettes, de bouchons et de capsules. Tout ça pour s’assurer qu’aujourd’hui, la ligne d’embouteillage roule rondement, et que nous ne perdions pas de temps en problèmes techniques.
les baccantes aide des enfants
Il est cinq heures du matin. Le camion-embouteilleur est arrivé tard hier soir. Pendant la journée, ma collègue Geneviève, ainsi que notre stagiaire de l’ITHQ, Nicholas-Alexis, ont dû non seulement faire une ultime filtration de certains de nos vins, mais en plus fournir à l’embouteilleur des échantillons de bouteilles vides, d’étiquettes, de bouchons et de capsules. Tout ça pour s’assurer qu’aujourd’hui, la ligne d’embouteillage roule rondement, et que nous ne perdions pas de temps en problèmes techniques.
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Plus grand que la panse

1er avril 2021. Le soleil n’est pas présent, on annonce cinq centimètres de neige. Un peu problématique, il faudra éviter que de la neige s’insère entre la porte de l’entrepôt et la plateforme du camion-embouteilleur. L’eau donne un fini un peu moche sur nos caisses de vin.

Le chai est un vrai jeu de «Traffic». Chaque palette de bouteilles vides est séquencée dans l’ordre d’embouteillage: 4500 bouteilles vertes, puis 4500 bouteilles «blanches» (transparentes, si vous voulez) pour le rosé, et on revient à 2500 bouteilles vertes. Les fûts sont tous dans un coin, empilés l’un à côté de l’autre, près du pressoir, du fouloir, de quelques cuves vides. Tout ça est inaccessible, mon grand chai est soudainement tout petit. À la fin de la journée, tout ça sera un beau bordel. Des palettes à demi- terminées, des palettes de vins embouteillés, quelques boyaux ici et là, et on va essayer de nettoyer les cuves en même temps. Il faut que les boyaux des cuves se frayent un chemin facile d’accès dans tout ça. Le temps passe vite.

Et là, j’ai une petite tête pâle, les cheveux grichoux, qui me dit: «Bonjour papa!»

Plan embouteillage récoltes vin
Sophie, en 2019, qui explique à sa sœur Émilie le plan d’embouteillage.

C’est ma Sophie, l’aînée de mes deux filles. Onze ans maintenant. Elle, qui demande tous les efforts du monde pour se lever à 7h un jour d’école, est déjà habillée, dans le chai, à 5h30. Elle s’assoit sur une table en acier inoxydable, papier quadrillé et crayon à la main. Elle dessine.

Elle ne dessine pas n’importe quoi. Pas de Zelda ou de chibi. Elle dessine, de mémoire, le plan de la zone d’embouteillage. Elle se rappelle des huit rôles autour du camion (dépalettiseur, liftier, encaisseur, etc). Elle m’a demandé d’écrire le nom des 12 personnes qui seront sur place. Mélanie, Benoit, Nicolas, Audrey, Ghislaine, et Léo, bien sûr, un garçon de son âge, avec qui elle partage une passion incroyable pour Minecraft. Elle se rappelle de certains noms. «Mélanie nous a aidé l’année dernière, ça ne devrait pas être compliqué avec elle.»

Elle poursuit: «Penses-tu que nous aurons assez de monde?»

«Oui, en fait, on aura trop de monde, ma grande.»

Sophie a pris congé d’école. Il faut comprendre que je viens d’une famille où manquer une seule journée d’école était un sacrilège sans nom. L’une des choses les plus importantes dans ma famille était l’éducation scolaire. Et je ne pense pas être bien loin d’y accorder la même importance.

Mais voilà, aujourd’hui, dans son cours, Sophie aurait probablement répété quelque chose qu’elle sait déjà. Un participe passé, ou un verbe irrégulier dans son cours d’anglais. Quelque chose d’important, certes.

vignoble les bacchantes aide des enfants
Sophie et Émilie qui participent à l’embouteillage en juin 2020.

Mais ici, aujourd’hui, elle sent qu’elle a un rôle. Elle sent qu’elle accompli quelque chose de différent, qui la passionne. Elle voit, de visu, un moment important dans la vie du vignoble.

Mon père était banquier, et cet emploi se portait mal à la participation des enfants dans l’évaluation d’un portefeuille d’actions, la rencontre d’un client important, ou une réunion de la haute direction.

famille et vignoble
Cette année, Sophie explique le rôle de dépalettiseur à des bénévoles.

Au vignoble, elle voit le travail. Et elle le voit avec des gens qui ont du plaisir à faire ce qu’ils font. C’est plus facile de voir ça quand c’est un moment important comme l’embouteillage. Me voir remplir un document de la Régie des Alcools aurait plus tendance à la décourager.

«On va faire des rotations, les gens vont changer de place après une heure, comme ça personne ne va s’ennuyer, et tout le monde pourra dire qu’ils ont tout fait!» Elle me regarde avec un grand sourire. Elle veut que les gens aient du plaisir.

Dans le temps, les écoles fermaient dans les rangs de campagne pour que les enfants puissent aller aider aux récoltes. Nous sommes passés ce stade, aujourd’hui, mais il y avait quand même une logique dans ça où les enfants apprenaient ce qu’était de travailler, et d’être passionné par ce qu’on fait.

Là est peut-être la clé à cette réappropriation de la terre que l’on souhaite pour notre société, dans ce lien que les enfants avaient eux-mêmes avec la terre de leurs parents. Pas tous les enfants, bien sûr. Mais certains d’entre eux. Être vigneron étant quatre ou cinq métiers en un, l’expérience qu’elle acquiert, et le désir de participer qu’elle y met, lui montre au moins ce que ça veut dire d’être agriculteur, transformateur, entrepreneur.

Elle met la main sur son plan, visiblement satisfaite. Elle me le rend, et me l’explique. Elle termine ainsi: «Bon, c’est du bon travail ça, il me semble que je suis dû pour un jus et toi, un café?» Elle me donne une tape dans le dos, et se dirige, triomphante, vers la maison.

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