La cuisine québécoise dans les restos de Montréal, d'hier à aujourd'hui - Caribou

La cuisine québécoise dans les restos de Montréal, d’hier à aujourd’hui

Publié le

20 juin 2025

Texte de

Amélie Revert

Dans sa thèse, la diplômée de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et nouvelle directrice générale des Lauriers de la gastronomie québécoise, Gwenaëlle Reyt, s’intéresse à ce qui a été écrit dans les journaux et les guides touristiques sur les restaurants montréalais des années 1960 à nos jours. À l’occasion de la fête nationale du Québec, entretien avec la spécialiste, qui propose une définition inédite de la cuisine québécoise, laquelle s’est métamorphosée depuis 65 ans.
cuisine québécoise
Photo: Annik MH de Carufel
Photo d’époque de l’enseigne de la Binerie Mont-Royal, un restaurant marquant de l’identité culinaire québécoise, selon Gwenaëlle Reyt
Dans sa thèse, la diplômée de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et nouvelle directrice générale des Lauriers de la gastronomie québécoise, Gwenaëlle Reyt, s’intéresse à ce qui a été écrit dans les journaux et les guides touristiques sur les restaurants montréalais des années 1960 à nos jours. À l’occasion de la fête nationale du Québec, entretien avec la spécialiste, qui propose une définition inédite de la cuisine québécoise, laquelle s’est métamorphosée depuis 65 ans.
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— Quelles sont les spécificités de la cuisine québécoise à travers la figure du restaurant au fil du temps?

On parle d’abord d’une cuisine canadienne-française jusqu’au début des années 1980, où elle devient québécoise. On y retrouve des classiques emblématiques, comme la tourtière, le ragoût de pattes, le ragoût de boulettes, le jambon à l’érable, la soupe au pois, la tarte au sucre, etc. Ce qui est intéressant, c’est que ces plats vont devenir traditionnels avec l’émergence de la nouvelle cuisine québécoise. Il y a par exemple le poulet barbecue à Montréal ou la poutine, qui n’arrivent qu’en 1990 dans les guides: ça ne veut pas dire que ça n’existait pas avant, mais plutôt que ça devient des spécialités qu’on suggère aux touristes de goûter. Dans les années 2000-2010, Martin Picard fait la transition en revisitant un de ces classiques avec sa poutine au foie gras — plus gastronomique et haut de gamme, dans une forme de modernité.

Photo: Nathalie St-Pierre
Gwenaëlle Reyt, directrice générale des Lauriers de la gastronomie québécoise
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— Comment peut-on dès lors définir la cuisine québécoise moderne?

La cuisine québécoise devient moderne parce qu’elle s’inspire un peu de tout. Et cette modernité va s’incarner non plus avec des plats, mais avec des produits québécois qui ne sont pas spécifiquement définis: c’est l’usage du produit local qui va faire qu’on dit que c’est québécois. On peut faire de la cuisine québécoise avec des carottes, des petits fruits, des oursins, du fromage québécois. Il est donc important d’avoir un discours collectif, écrit ou oral formulé à travers divers supports (livres, articles, balados, guides, documentaires, etc.), pour affirmer et véhiculer la vision que nous avons de nous-mêmes, parce que si on ne le fait pas, ce sont les autres qui vont le faire. Si un touriste souhaite découvrir la cuisine québécoise et qu’aucun Québécois n’est en mesure de lui dire ce que c’est, il va peut-être chercher ailleurs, comme dans un guide de voyage étranger. Sans discours, il n’y a pas de vision.

— À ce propos, quel pourrait être l’effet de l’arrivée en mai dernier du Guide Michelin au Québec sur la définition de sa gastronomie?

Le Guide Michelin est un bon exemple de discours sur la gastronomie au Québec. Bien que cela puisse être contesté, le choix des restaurants impose une vision de notre gastronomie, une hiérarchie avec certains établissements au premier plan. Ce choix est discutable et il a d’ailleurs suscité de nombreuses réactions au Québec. Et alors, est-ce que le regard de l’autre est faux? Je pense qu’on a tout à gagner à se rassembler pour faire émerger notre propre discours, car on a énormément de choses magnifiques à faire découvrir. Les gens qui viennent nous voir sont, en général, complètement séduits par ce qui se passe ici. Parce que ça sort un peu du cadre, parce qu’il y a une créativité qui est rafraîchissante. Il y a des produits magnifiques, qui ne sont pas connus en Europe notamment, comme les têtes de violon, l’hémérocalle, l’acerum…

Les pays nordiques ont fait leur manifeste. Est-ce que ça changerait les choses de faire un manifeste au Québec? Ça pourrait être le point de départ d’une réflexion collective.

— Bien sûr, il y a le contenu de l’assiette, mais vos recherches ont montré une autre facette qui caractérise aussi le restaurant montréalais… Quelle est-elle?

On voit en effet que les plats ressortent, mais on remarque aussi les ambiances, les décors. Dans les années 1960-1970, on retrouve des établissements, surtout dans le Vieux-Montréal et le centre-ville, de vieilles pierres grises avec de vieux meubles qui donnaient un peu dans le folklore «Nouvelle-France», puis à partir des années 1980, on voit émerger dans les quartiers le diner, la binerie, la place à déjeuner — que les Français trouvent d’ailleurs très particuliers — avec un long comptoir, des tabourets. Un peu comme une conséquence de la Révolution tranquille, on n’est plus dans le mythe de l’histoire, mais on s’affirme davantage comme des Nord-Américains francophones et urbains. C’est l’environnement, la clientèle et l’expérience qui font qu’on parle d’ambiance québécoise.

— Enfin, est-ce que la cuisine québécoise est inclusive?

On dit qu’on est multiculturels, mais c’est dur d’intégrer dans l’assiette — au-delà de l’histoire française-anglaise et du bagel et du smoked meat — une synthèse des histoires autochtones et d’immigration. C’est comme si on n’osait pas le faire par peur de s’approprier quelque chose qui ne nous appartient pas.

Des restaurants marquants selon Gwenaëlle Reyt

  • La Binerie Mont-Royal
  • Le Pied de cochon
  • Chez Claudette
  • L’Auberge Saint-Gabriel
  • Le Chalet Bar-B-Q
  • Les Rôtisseries St-Hubert
  • Le Festin du gouverneur
  • Le Laurie Raphaël
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