La pêche miraculeuse de l'Anse-au-Sac - Caribou

La pêche miraculeuse de l’Anse-au-Sac

Publié le

21 novembre 2020

Texte de

Émélie Bernier

Photo de

Émélie Bernier

Enfant, Julie Gauthier adorait se lever aux aurores et accompagner sa famille sur la grève pendant que des milliers de capelans gigotaient entre les filets de la pêche à la fascine. Si l’intensité particulière des premières sorties de l’année l’anime toujours autant, une chose a changé: c’est elle qui, désormais, est détentrice des permis de pêche à la fascine des Gauthier de L’Anse-au-Sac, dans Charlevoix.
Julie Gauthier Anse au Sac
Consciente de la valeur du legs, Julie Gauthier s’affaire à mémoriser chaque geste posé lors du montage de la fascine installée chaque printemps.
Enfant, Julie Gauthier adorait se lever aux aurores et accompagner sa famille sur la grève pendant que des milliers de capelans gigotaient entre les filets de la pêche à la fascine. Si l’intensité particulière des premières sorties de l’année l’anime toujours autant, une chose a changé: c’est elle qui, désormais, est détentrice des permis de pêche à la fascine des Gauthier de L’Anse-au-Sac, dans Charlevoix.
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Les derniers permis fédéraux délivrés pour le type de pêche que pratique Julie Gauthier grâce à cette imposante structure composée de poteaux entre lesquels courent de hauts filets se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main au pays. «J’ai dû prendre une décision. Mon oncle avait repris le permis de son père qui l’avait eu de son père… Si je ne reprenais pas le permis à mon tour, on l’aurait perdu et ça en aurait été fini de la pêche à la fascine dans le secteur. Il n’y avait pas d’autre volontaire! Pour moi, l’aspect patrimonial de la chose est vraiment important», lance-t-elle. Son père, Renel, pas peu fier de voir sa fille prendre le relais, n’a pas connu un printemps sans fascine. «D’après moi, il y a 100 ans, tout le monde avait une pêche le long du Saint-Laurent!» raconte le patriarche, encore solide. Les prises servaient à varier l’alimentation des familles, et les surplus de poissons étaient utilisés pour amender les potagers.

Consciente de la valeur du legs, Julie Gauthier s’affaire à mémoriser chaque geste posé lors du montage de la structure installée chaque printemps à la faveur des marées basses d’avril. Cette étape, fastidieuse, s’étale sur environ trois jours et toute la famille met la main à la pâte. Une fois plantée dans le lit du fleuve, la fascine reste en place pour six mois. Elle a été démontée le 31 octobre.

De la terre à la mer

L’horticultrice devenue pêcheuse est dans son élément. «J’aime tout de la pêche. Il y a la fébrilité du printemps, les moments qu’on vit en gang, les levers de soleil, les bélugas…»

Une journée typique de pêche n’est pas de tout repos, surtout lorsque la marée «adonne» en pleine nuit.

«Mes oncles se relaient pour faire le guetteur à la cabane sur la grève et vérifier s’il y a du capelan. Les autres dorment, mais tout est prêt pour qu’on puisse descendre rapidement. Quand la cage est très pleine, on appelle les cousins en renfort. C’est fou comment on passe en quelques secondes du sommeil à l’adrénaline dans le piton!»
Julie Gauthier

Le principe de la fascine, un héritage des Premières Nations, est simple: on capture les poissons grâce à un entonnoir créé par l’emplacement des filets et encouragé par les marées. Grands corégones, harengs, anguilles, éperlans se retrouvent ainsi coincés, mais le capelan est l’ultime pêche miraculeuse. Une impressionnante quantité de ces petits poissons argentés et frétillants est capturée dans la fascine, souvent plusieurs jours par semaine, mais la pêcheuse ne récolte que ce dont elle a besoin. Les autres prises sont gardées captives jusqu’au lendemain ou libérées si la marée trop basse ne permet pas de les maintenir dans l’eau.

Les pêcheurs remplissent les bacs qui sont chargés à bord d’une remorque puis déchargés à l’atelier de transformation des Pêcheries Charlevoix, qui a été construit à l’intérieur des murs de la grange familiale. Les capelans y sont triés à la main par les femmes de la famille dans une pièce froide. «Pendant que ça trie d’un côté, on se met sur le téléphone pour appeler les clients. C’est une partie du travail que j’aime parce que les gens sont vraiment contents qu’on ait du poisson à leur vendre! Ce sont des particuliers qui viennent de la région, bien sûr, mais aussi de Québec, Lévis, Montréal, Victoriaville…»

Les poissons d’ici aux Québécois

Une partie de la production est transformée. Des capelans sont éviscérés avant d’être ensachés sous vide, prêts à être cuisinés. «L’an dernier, on en a vidé 19 700… et on en a manqué!» Depuis deux ans, la pêcheuse prépare un délicieux hareng mariné qu’elle souhaite faire goûter au plus grand nombre. Pour ce faire, elle travaille à obtenir un permis de vente en gros qui lui permettra de distribuer ses produits dans les restaurants, épiceries et dépanneurs. Des discussions sont aussi en cours pour offrir ses petits capelans frits sur la plateforme de vente en ligne Maturin. Sinon, pour l’instant, les restaurateurs, comme les Faux Bergers, à Baie-Saint-Paul, qui se sont entichés des prises des Pêcheries Charlevoix peuvent acheter des poissons entiers, mais non transformés.

«On sent que l’intérêt pour les poissons du fleuve grandit! Il y a de belles initiatives, mais on doit encore faire de l’éducation. Et si on pouvait simplifier les structures pour que le consommateurs ait accès aux produits, ça faciliterai les choses!» estime Julie Gauthier, qui espère que les Québécois seront nombreux à savourer les produits issus de la pêche responsable du Saint-Laurent.

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