Fou du Cochon, la folle histoire - Caribou

La savante folle derrière Fou du Cochon

Publié le

27 octobre 2024

Texte de

Sophie Mediavilla-Rivard

Pour son tout premier magazine, Caribou s’était entretenu avec Nathalie Joannette, la fondatrice de la charcuterie kamouraskoise Fou du Cochon. Dix ans plus tard, cette pionnière fait le point sur le chemin parcouru – et sur les prochaines destinations.
fou du cochon nathalie joannette
Pour son tout premier magazine, Caribou s’était entretenu avec Nathalie Joannette, la fondatrice de la charcuterie kamouraskoise Fou du Cochon. Dix ans plus tard, cette pionnière fait le point sur le chemin parcouru – et sur les prochaines destinations.
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Lancée en 2005, l’entreprise soufflera ses 20 bougies dans quelques mois. Durant ces deux décennies, à la fois beaucoup et peu de chose ont changé. Les saucissons sont toujours produits avec la même passion, une flore bactérienne du Bas-Saint-Laurent et très peu d’intervention. Aujourd’hui, Fou du Cochon est toujours la seule entreprise québécoise à ne pas utiliser de nitrite dans ses charcuteries au porc.

Le projet a toutefois gagné en envergure et en reconnaissance. Après tout, qui d’autre que Nathalie Joannette peut se targuer d’avoir remporté à maintes reprises le Concours International du Meilleur Saucisson, d’avoir été nommée Artisane de l’année aux Lauriers de la gastronomie québécoise et d’ouvrir prochainement le premier Économusée de la charcuterie classique au Canada?

Une scientifique…

La dernière fois que nous avons discuté avec la charcutière, elle était toujours en train d’explorer la science des micro-organismes derrière la «fleur» des saucissons. Bien qu’elle arbore toujours le même sarrau blanc aujourd’hui, l’experte ne joue plus dans la même ligue. «Il n’y a plus de surprises quand je tranche une saucisse, un saucisson ou un jambon, je peux tout te dire comment ça a été fait», lance-t-elle.

La femme au parcours atypique (elle a aussi étudié en psychosociologie de la communication, en littérature et en électrotechnique!) a développé une signature bien personnelle. «On dit qu’avec l’âge, on se complexifie. C’est la même chose pour Fou du Cochon.» Inspirée par la nature, Nathalie Joannette vise un minimum d’intervention dans ses produits: moins de sel, plus longue maturation en cellule de sèche, fleur indigène. Le résultat? Des saucissons-œuvres d’art aux teintes allant du bleu, au rosâtre, en passant par le gris, le beige et le verdâtre, selon les ingrédients, les levures et les champignons qui effectuent leur travail sur la viande.

«Les clients pensent qu’un “beau” saucisson doit être blanc, mais ils ne savent pas que c’est une méthode industrielle qui donne cette couleur, explique-t-elle. Ce n’est pas naturel, c’est de l’intervention. Le charcutier a décidé de vaporiser une fleur blanche partout. Moi, j’ai décidé que je me mettais dans le trouble en utilisant une fleur multicolore.»

Cette palette, qui crée pourtant toute la richesse des produits de Fou du Cochon, donne bien des maux de tête à la PDG. «On reçoit des courriels sans fin, des appels, des plaintes de clients qui nous disent: “J’ai jeté mon produit parce que quand j’ai ouvert mon sachet, il était bleu.” Alors que la meilleure chose au monde que tu peux mettre dans ton estomac, c’est de la fleur indigène!», s’écrit la charcutière. Elle souhaite d’ailleurs lancer un nouveau projet de recherche sur les bienfaits de ce microbiote pour les intestins.

«Je connais du bout des doigts les réactions chimiques du sel, de la viande, du gras, du maigre, des épices.»
Nathalie Joannette

… une femme d’affaires…

Fou du Cochon, c’est un petit écosystème qui n’a pas fini de prospérer et autour duquel gravite désormais une fidèle équipe. «Mes filles s’impliquent dans l’entreprise et j’ai des employés qui vont devenir actionnaires, donc c’est sûr que ce ne sera pas vendu!» Parce que oui, en plus d’assumer depuis 20 ans ses nombreux chapeaux d’entrepreneure, Nathalie Joannette est aussi maman de deux enfants et grand-maman de quatre petits-enfants!

Son instinct féminin a d’ailleurs teinté sa façon de diriger Fou du Cochon, qui pour elle est comme une famille. L’entreprise est en santé économique, oui, mais «n’est pas une machine à cash», soutient Nathalie. «Parce que les choix qui sont faits ne sont pas seulement axés sur l’argent, ils sont axés sur le développement durable!»

Et comme être une femme dans un milieu traditionnellement masculin ne vient pas sans son lot de défis, la charcutière a souvent dû défendre ses idées et aller au-devant des préjugés. «Ces revers-là me font aussi beaucoup grandir, partage-t-elle. Ça m’oblige à m’arrêter, à questionner mes valeurs, à me repositionner.»

Nathalie Joannette, dans le premier numéro de Caribou | Maude Chauvin, archives Caribou

… une éducatrice.

Durant sa carrière, Nathalie Joannette a non seulement vu le milieu agroalimentaire changer, mais a contribué à son évolution. Si elle connaît aussi bien les agents du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) aujourd’hui, c’est qu’elle en a mis de l’énergie pour les sensibiliser. «Maintenant, le MAPAQ est beaucoup plus ouvert et beaucoup moins interventionniste», remarque-t-elle, en se remémorant l’époque où ce ministère avait fait une razzia dans les épiceries pour jeter tous les fromages de lait cru.

Cet esprit pédagogue, la femme d’affaires le met aussi à profit auprès du public. Par exemple, elle s’échine à expliquer – de plus en plus fréquemment – à monsieur et madame Tout-le-Monde que la qualité d’un aliment ne se mesure pas à sa date de péremption. «La population n’est plus capable de savoir par elle-même si un aliment est bon ou pas», déplore-t-elle.

Pour poursuivre cette mission d’éducation qu’elle s’est donnée, la charcutière inaugurera dans les prochains mois un Économusée signé Fou du Cochon à Saint-Pascal au Kamouraska. «C’est important de recevoir les gens chez nous, qu’ils puissent faire le parcours pour voir comment on fabrique nos charcuteries», souligne Nathalie Joannette, qui prévoit déjà des repas gastronomiques, des conférences et, bien évidemment, une boutique spécialisée.

Qui sait, peut-être ouvrira-t-elle sa propre école de charcuterie éventuellement? Chose certaine, la lauréate du Laurier de l’Artisane de l’année au printemps 2024 n’a aucune intention de se reposer dessus.

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