L’art de recevoir vu par Josée di Stasio, Lesley Chesterman et Kim Thúy
Publié le
09 novembre 2023
Texte de
Geneviève Vézina-Montplaisir
Photos de
Maude Chauvin
Le résultat final de cette conversation se trouve dans notre numéro Recevoir. Mais elles avaient tant à dire, qu’on a décidé de continuer la discussion sur le web. Voici donc la suite du party de cuisine entre Josée di Stasio, Lesley Chesterman et Kim Thúy.
— Qu’est-ce que le geste de recevoir représente pour vous?
Kim: Pour moi, recevoir, c’est partager du plaisir. Quand on trouve un bon produit, on veut que tout le monde y goûte en même temps!
Lesley: Je trouve que c’est très excitant d’inviter des gens chez moi… jusqu’au dernier moment, où ça devient très stressant. Une demi-heure avant que les invités arrivent, je m’énerve. Souvent, je ne me suis pas encore lavé les cheveux, je suis en robe de chambre… Et puis, je planifie régulièrement trop de plats. Sans compter que j’essaie toujours de nouvelles recettes au lieu de suivre mes propres conseils: je dis aux gens de préparer quelque chose qu’ils ont déjà fait ou de cuisiner des plats à l’avance, mais moi, je ne le fais pas! Malgré tout, j’aime recevoir et je le fais une fois par semaine. Chaque fois, c’est comme une chorégraphie, une mise en scène que je construis. Quel vin vais-je servir? Quelle musique vais-je choisir? Quelle bougie vais-je allumer? Les enfants seront-ils là? J’espère que non! (rires) Recevoir, ça demande de s’adapter constamment.
Josée: Pour moi, recevoir, c’est synonyme de chaleur humaine. C’est d’abord être ensemble; ça veut dire qu’on fait entrer des gens dans son intimité. Je trouve aussi que ça tisse des liens, que ça nourrit les relations. Ce qu’on mange n’est pas important: recevoir, ce n’est pas une question de performance.
Kim: Je suis d’accord. J’ai déjà reçu quatre personnes avec un demi-concombre! Je n’avais rien d’autre dans le frigidaire… Je l’ai coupé en tranches très fines, pour que ça dure longtemps!
Josée: J’ai vécu le même genre d’expérience. J’avais six personnes à la maison, mais je n’avais pas grand-chose à leur offrir, à peine un reste de soupe aux lentilles, dont j’ai étiré le bouillon. J’ai ajouté à ça un bout de fromage, des haricots, et tout le monde était content.
Lesley: C’est intéressant, vos expériences. Ça prouve que quand on fait trop d’efforts, on est souvent déçus, car on a des attentes. Tout le monde profite de la soirée, mais nous, on est crevés parce qu’on s’est donné trop de mal.
Kim: Mon voisin me reçoit parfois en me servant des restants, et je trouve ça parfait.
— Lesley et Josée, vous, pourriez-vous recevoir aux concombres?
Josée: Moi oui!
Lesley: Moi, je ne pourrais pas. Comme j’ai été critique de restaurant, la première personne que je vais critiquer quand je reçois, c’est moi-même! J’ai déjà fait des repas où tout le monde disait que c’était bon et que moi je ne trouvais pas ça bon. La première personne que je veux satisfaire, quand je reçois, c’est moi. J’aime recevoir pour créer des plats, et à la fin, je veux que ça soit beau et bon, et que tout le monde aime ça. Si tout le monde dit que c’est bon mais que je sais que ce n’est pas bon, ça m’énerve!
Kim: Les mamans asiatiques, elles disent tout le temps par rapport aux plats qu’elles servent: «Ah, c’est trop salé!», mais c’est parce qu’elles veulent seulement que tu leur dises: «Mais non, c’est bon!»
Josée: Ma mère disait toujours: «Il me semble que c’était meilleur la dernière fois!» Moi aussi je me demande toujours: est-ce que j’aurais pu faire cuire ceci ou cela un petit peu moins. Quand les gens viennent chez nous, si je les connais, je ne sens aucune pression à bien performer en cuisine, mais si je ne les connais pas, là, j’en ressens une petite.
— Croyez-vous que de par votre statut, certaines personnes sont intimidées de vous recevoir chez elles?
Lesley: Oui, il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas me recevoir! Mais ils n’ont pas de raison. J’aime les choses simples. Le pire, c’est quand il y a trop de travail dans l’assiette et que ce n’est pas bon, tu te dis: «Tout ça pour ça!»
Josée: Moi, mes amies ne sont pas intimidées par moi.
Kim: Non, je ne pense pas que les gens pensent à moi en tant que chef, je ne le suis pas, donc je ne pense pas qu’ils sont intimidés de me recevoir.
Lesley: Non, mais attendez! Elles sont trop modestes! Je sais, avec vos personnalités, que si je vais manger chez vous, ça va être bon. Parce que je sais quelle est votre philosophie en cuisine.
— Est-ce que vous trouvez que les Québécois sont bien élevés à table?
Lesley: Moi l’étiquette à table, j’ai appris ça à l’école, au couvent, et pas à la maison. Aujourd’hui, il y a beaucoup de règles de l’étiquette que les gens ne savent plus comme quelle fourchette utiliser pour tel plat par exemple.
Kim: Pour moi, l’étiquette, c’est culturel. En Asie, il faut que tu exprimes ton appréciation de la soupe en faisant du bruit en la mangeant. Au Québec, c’est mal vu de faire ça. À table, il y a énormément d’informations culturelles qui transparaissent.
Lesley: L’étiquette c’est aussi une question de classe. Il y a des gens qui ont été élevés dans des familles plus aisées pour qui l’étiquette était une priorité. C’est assez snob en fait!
— Est-ce que quand vous êtes reçues, vous amenez toujours un cadeau d’hôte?
Lesley: Oui et j’amène toujours le dessert!
Josée: Moi quand je vais manger quelque part, jamais je n’arrive les mains vides. Mais ce n’est pas toujours besoin d’être un cadeau classique qu’on amène. J’ai déjà amené un énorme bouquet d’asperges auquel j’avais mis un beau petit ruban comme cadeau d’hôte.
Kim: Moi, j’ai tellement donné de pots de tartinades Allo Simonne comme cadeaux d’hôte – plus d’une centaine –, que les propriétaires m’ont appelé. Ils pensaient que j’avais une boutique!
— Qu’est-ce que ça prend comme qualité pour être un bon hôte?
Kim: Je dirais qu’il faut être à l’écoute.
Josée: Je suis d’accord! Il faut s’assurer que tout le monde est bien.
Lesley: Les gens qui ne parlent pas, c’est mauvais signe. Si quelqu’un ne parle pas il faut essayer d’entrer en conversation avec lui ou elle.
Pour ou contre les potlucks?
Lesley: Je suis contre, mais je pourrais être pour si c’est bien planifié et avec des gens qui savent faire la cuisine. Je n’ai eu que des expériences désastreuses de potluck.
Josée: Je dirais: pour. Dans ma famille, on en fait beaucoup, mais ça prend un coordinateur sinon tu te retrouves au brunch qu’avec du sucré et à l’apéro qu’avec des fromages et des chips. Et mémo à ceux et celles qui participent à des potlucks: n’apportez pas un plat qui n’est pas terminé et que vous devez compléter chez vos hôtes. Le plat doit arriver terminé, et si possible, avec le plat de service.
Kim: Tu ne peux pas monopoliser la cuisine!
Les invitées
Née d’un père italien et d’une mère québécoise, Josée di Stasio a été styliste culinaire avant de passer devant la caméra aux côtés de Daniel Pinard, pour ensuite être à la barre de sa propre émission de cuisine pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de sept livres de recettes et continue de partager ses créations sur joseedistasio.ca.
Lesley Chesterman a fait ses classes à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec avant de travailler comme pâtissière au Québec et en France. Elle a aussi été critique de restaurants et chroniqueuse gastronomique à la radio, sur les ondes d’ICI Première, ainsi que dans les pages du quotidien The Gazette de 1998 à 2018. Elle a publié deux livres de recettes, Chez Lesley et Un week-end chez Lesley.
D’origine vietnamienne, Kim Thúy est arrivée au Québec à l’âge de dix ans. Auteure de plusieurs romans et du livre de recettes Le secret des Vietnamiennes, elle a travaillé comme couturière, interprète, avocate et propriétaire de restaurant. Elle est à la barre de l’émission La table de Kim.
Pour la suite de la discussion entre nos trois invités, mettez la main sur notre 18e numéro Recevoir.