L’homme qui plantait des asperges
Publié le
04 juillet 2020
Comment se sent-on quand, après des décennies de culture d’asperges aussi réjouissantes qu’éreintantes, le printemps ne s’écoule pas les deux pieds dans le champ? Discussion sur la fin d’une époque – et le début d’une autre – avec Guy-Louis Poncelet, l’homme qui plantait des asperges.
Texte de Julie Aubé
Photo de Marie des neiges Magnan
Enfant, il aimait déjà la nature et parcourait avec joie les campagnes de sa Belgique natale. Plus tard, devenu technicien forestier, il entreprend une grande migration vers la Petite-Nation, en Outaouais, où il prend racine. Il y fonde, en 1980, une ferme où se côtoient agriculture et poésie, avec l’asperge comme produit vedette. Il en a cultivé tellement dans sa vie que, bout à bout, cela représente l’équivalent d’un aller-retour Montréal-Bruxelles, affirme Guy-Louis Poncelet d’un ton fort sérieux, mais les yeux espiègles.
En 2014, quand je l’ai rencontré pour la première fois, l’agriculteur de Papineauville me révélait déjà, malgré son énergie contagieuse, être à la recherche d’une relève pour sa ferme. Ou, dans ses mots: d’un «disciple inconditionnel artisan de l’asperge écopoétique». En 2020, c’est maintenant chose faite. Une transition s’est opérée, la ferme a été vendue à une équipe de jeunes maraîchers.
C’est en 2019 que s’est amorcée la transition entre Guy-Louis Poncelet, de la ferme La Macédoine, et une équipe de quatre maraîchers organisés en coopérative prêts à lancer la Ferme Agricola. Pour le nouveau retraité qui a adopté la Petite-Nation dès son arrivée au Québec en 1978, pas question de quitter sa terre d’accueil; il s’est déniché un petit logis au village voisin afin de laisser sa belle maison de ferme aux nouveaux propriétaires, Hannah, Heather, Caleb et Nathalie.
La Macédoine, c’était non seulement une ferme en production, mais aussi l’univers écopoétique d’un homme mi-agriculteur mi-artiste, parsemé de sculptures, vitraux et autres œuvres d’art inspirées du légume vedette des lieux. «C’était un jardin réel, mais on y pénétrait dans un monde surréaliste, onirique et fantastique! On vendait de l’asperge, mais on distribuait aussi de la poésie, du rêve, du beau. L’art n’est-il pas porteur d’espoir?»
Personnage pour le moins coloré, l’heureux fermier accueillait fréquemment ses clients grimpés sur ses «échasperges». L’équipe de la Ferme Agricola, qu’il appelle affectueusement «les jeunes», poursuit la culture de l’asperge tout en la diversifiant pour remplir les paniers bios de leurs abonnés ainsi que les kiosques des trois marchés publics auxquels ils participent en Outaouais. Maîtriseront-ils l’art de l’«échasperge»? Prendront-ils leur douche matinale à l’eau de rosée d’asperge, en août, comme leur prédécesseur? La suite de l’histoire leur appartient, dorénavant. Mais ce printemps, la poésie – et l’humour! – n’a pas déserté les lieux: la sculpture du «charmeur d’asperges», positionnée près de l’entrée de la ferme sur la route 323, est fidèle au poste, affublée cette année... d’un masque!
La transition du charmeur d’asperges
On en parle peu, du brassage d’émotions qui vient avec la passation d’une ferme. Pour Guy-Louis Poncelet, après 40 saisons de récoltes, attentif à son corps et au poids des années, le temps était venu. Or vendre une ferme – même quand les choses se passent dans l’harmonie –, c’est plus qu’une retraite; c’est changer à la fois de demeure, de paysage, de rythme, de raison de se lever le matin. C’est une transition que le charmeur d’asperge – parce qu’on fond, ce titre lui revient – n’a pas traversée sans tiraillement. «Ça a été difficile de me résoudre à vendre cette terre qui a nourri ma famille et mes rêves, alors qu’à mes yeux la ferme était à son meilleur, et que ma mission n’était pas encore terminée». Avec le temps, le pincement au cœur a doucement fait place à la fierté de voir sa ferme servir de terreau à de nouveaux projets écologiques et nourriciers. «Avec la relève, c’est facile, dans la tendresse et la délicatesse. Le respect est bien présent.»
Si on sort l’homme de la ferme (ou presque, puisqu’il y passe pratiquement chaque jour faire son tour), on ne sort pas l’artiste de l’homme. Le nouveau retraité aux yeux rieurs a troqué la gouge à asperge pour la plume, rédigeant notamment un manuscrit autobiographique en attente d’un éditeur. «Écrire m’a aidé à tourner la page, ça a été thérapeutique! Cet ouvrage laissera des empreintes et, j’espère, une fierté régionale!»
Cette année, le temps froid a retardé le début de la saison, mais l’asperge a fini par se pointer le bout du nez et abonde. Vivace, si on en prend soin, elle reviendra tous les printemps, à quelques centimètres d’où elle a poussé l’an précédent. Comme la vie, elle est en mouvement. Vivre. Avancer. Vivre encore, différemment. «Mais toujours la célébrer avec “aspergitude”!» d’ajouter Guy-Louis Poncelet.
Chaque semaine, Caribou fait découvrir dans les pages du quotidien Le Devoir, un homme ou une femme, qui, à sa façon, nourrit le Québec .