Maison de Soma, à la recherche d’une identité culinaire laurentienne
Publié le
19 octobre 2023
Texte de
Sophie Mediavilla-Rivard
Photos de
Catherine Marois
— Avant Maison de Soma, vous travailliez notamment dans les mondes de l’édition, du marketing et de la publicité. Comment avez-vous fait le saut dans le domaine agroalimentaire?
Didier: Un moment donné sont arrivés les enfants, la crise de la trentaine, le désir de faire quelque chose d’un peu différent… Je suis donc allé étudier en agronomie à McGill. Ça nous a permis d’opérer la transition vers le monde agricole. On a décidé de réaliser un rêve de longue date, celui d’avoir une ferme ensemble.
— Ça vous a pris trois ans pour monter votre projet. Comment ça s’est déroulé?
Didier: Ça a vraiment été une longue aventure. On a commencé par trouver une terre, on voulait principalement une ferme. Mais quand on est arrivé ici, il y avait un bâtiment qui servait déjà de table champêtre. De là, les idées se sont mises en place, et on a bâti un plan d’affaires et on a commencé en même temps à préparer la terre, qui était en friche.
Edith: J’ai travaillé l’implantation du projet dans sa structure, tandis que Didier était du côté de l’implantation sur le terrain. On a irrigué, préparé les sols pour recevoir plusieurs vergers, implanté deux serres et ouvert des jardins maraîchers pour l’équivalent d’environ un hectare. On a fait de la construction, de la planification, le design des cuisines et des espaces de transformation. Il fallait rénover des bâtiments, créer le menu, engager de la main-d’œuvre. Six ou sept mois avant d’ouvrir, on s’assurait de mettre tout en place pour communiquer le projet. En parallèle, on avait une production d’abeilles et de poulets de grain, et on avait les jardins à opérer pour s’assurer d’avoir une quantité de légumes suffisante pour nourrir tout le monde pour l’été. C’était un bon défi!
— Depuis le 1er juillet, vous avez ouvert une buvette, qui propose une formule pique-nique aux visiteurs. Êtes-vous satisfaits du bilan de cette première saison?
Edith: La réponse a été vraiment superbe! C’était une belle année, on sentait que tout le monde repartait ébloui, comme vraiment intéressé par notre projet et notre démarche. On a eu des fins de semaine où on était complètement plein.
Didier: Ça a été à la hauteur de nos attentes, absolument. C’est sûr qu’il y a certains petits éléments qu’on veut modifier au niveau de l’expérience client, puisqu’on n’avait pas d’expérience en restauration. On apprend beaucoup!
— Depuis quelques semaines, on peut réserver pour vivre l’expérience de votre table gastronomique. À quoi s’attendre?
Edith: On offre deux types de services : le «cinq temps» et «l’immersion complète». Le cinq temps, c’est l’expérience abrégée de notre table gastronomique en cinq services. Dans l’immersion complète, on vous transporte à travers notre projet. On a fait toutes les rénovations du bâtiment pour s’assurer que les gens soient très près de la nature durant leur expérience.
Didier: Quand les gens arrivent, ils sont pris en charge. C’est comme si tu achètes un billet de spectacle. Ici, il n’y a pas de menu, tu fais confiance à l’institution. Après un petit cocktail d’entrée, on vous invite à prendre place à l’intérieur. Tout le monde mange en même temps. Le temps est un concept pivot à Maison de Soma, parce que c’est un outil qu’on utilise autant à travers la transformation alimentaire qu’à la table.
Dans une chorégraphie où on joue beaucoup avec le timing entre les plats, il y a des petites surprises qui arrivent à travers les services. C’est une expérience intime, parce qu’on est limité à 20 places assises pour la soirée. En ce moment, comme il fait beau, on invite les gens sur le bord d’un feu à l’extérieur à prendre un digestif et une bouchée finale. C’est le fun de voir des gens qui ne se connaissaient pas à priori et se ramasser autour d’un feu de camp ensemble en fin de soirée.
À travers les saisons, on veut faire vivre la saisonnalité à travers les menus, par exemple avec les carottes d’hiver. On se sert vraiment des éléments qui nous entourent pour donner une saveur spécifique.
— Quelles sont les valeurs qui guident le projet de Maison de Soma?
Edith: La mission de Maison de Soma, c’est de faire découvrir et d’explorer le territoire laurentien. On veut valoriser l’agriculture de proximité, parce qu’il y a une richesse dans la production d’aliments qui n’est pas faite en masse. L’objectif, c’est de voir émerger une identité à la cuisine laurentienne, de prouver qu’il existe une gastronomie locale et indépendante de l’importation et de la mondialisation.
— Vous aspirez à être totalement autosuffisants. Comment est-ce qu’une telle entreprise prend forme au Québec?
Didier: En ce moment, ce qui rentre sur la ferme, c’est principalement de la farine, de l’huile, du sel et du lait. On fait affaire avec des producteurs locaux pour les protéines, parce qu’on n’en produit pas encore assez pour le menu. On aimerait ça à terme, mais pour le moment, on a déjà trop de projets pour nos 22 petites mains.
Edith: On a décidé de commencer avec les légumes parce que c’est la base de l’alimentation qu’on fait ici. On a nos poulets parce que c’était assez facile à implanter, et on voulait planter nos petits fruits tout de suite parce que ça prend un certain temps à pousser.
Éventuellement, l’objectif est d’aller chercher les manques à gagner. Rajouter de la protéine, faire une production de champignons, produire plus de grains, créer des alcools, aller chercher plus de sucres. On en a avec les abeilles, mais on aimerait produire notre sirop d’érable. Tranquillement, on diversifie les opérations pour ne plus avoir besoin de sources extérieures.
— Derrière Maison de Soma, il y a aussi d’excellents chefs. Comment est-ce que ça se transpose dans les plats?
Didier: Jérôme Bigot et Édouard Lacouture font une belle magie pour traduire notre vision, et ça rend la chose vraiment excitante au niveau du développement. C’est très chouette de voir ces gens qui ont une expertise et une créativité en cuisine qui est au-delà de ce qu’on avait imaginé quand on a commencé, et qui nous suivent dans notre folie.
Edith: Ils ont revu leur manière d’aborder la créativité dans les plats, de partir from scratch puis de se demander: «C’est quoi notre terrain de jeu? Comment on va mettre en valeur les produits qu’on trouve dans notre jardin, au lieu d’essayer de reproduire quelque chose?» Ils sont vraiment ouverts à ce défi, à repousser la limite de ce qu’ils ont toujours fait en cuisine.
— Maison de Soma n’en est encore qu’à ses débuts. Quels sont vos projets pour la suite?
Edith: Un projet, ça se transforme au fur et à mesure. Au début, nos plans étaient d’ouvrir pendant la saison estivale et de faire du développement et de la recherche l’hiver. Finalement, avec l’équipe qu’on a en place, on est capable de poursuivre nos opérations à l’année et de faire notre développement au fur et à mesure.
On voulait aussi trouver une façon de faire perdurer la buvette durant l’hiver, donc on va créer des brunchs de fin de semaine, du vendredi au dimanche. Par la suite, les brunchs vont se transformer en cabane à sucre pendant la période des sucres.
Didier: À plus long terme, on a plein de projets pour Maison de Soma. Outre le fait de diversifier les opérations, éventuellement, on aimerait faire de l’hébergement. On est dans la région de Mont-Tremblant, beaucoup de gens viennent de Montréal, ce n’est pas à la porte!