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Micheline Mongrain-Dontigny: gardienne du patrimoine culinaire québécois
Publié le
23 janvier 2023
Texte de
Virginie Landry
Son nom ne vous dit sûrement rien, et pourtant. Micheline Mongrain-Dontigny, qui a aujourd’hui 72 ans, se dévoue à la transmission de notre culture culinaire depuis les années 1980. Rien de moins.
Son nom ne vous dit sûrement rien, et pourtant. Micheline Mongrain-Dontigny, qui a aujourd’hui 72 ans, se dévoue à la transmission de notre culture culinaire depuis les années 1980. Rien de moins.
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Diplômée de l’Institut d’hôtellerie et de tourisme du Québec (ITHQ) en 1980, Micheline a toujours œuvré derrière les fourneaux, que ce soit lorsqu’elle donnait des cours d’art culinaire, qu’elle travaillait dans un resto de cuisine française ou qu’elle donnait des démonstrations culinaires un peu partout au Québec.
Dans ses temps libres, elle s’affairait à cuisiner puis retranscrire des recettes familiales, les siennes, celles d’amis, de voisins. Ce qui n’était au départ qu’une démarche personnelle est devenue une réelle vocation.
En effet, depuis 1988, elle a publié 14 livres de cuisine, dont Les grands classiques de la cuisine d’ici, Délices traditionnels du Québec, La cuisine traditionnelle de Charlevoix (ainsi qu’un sur la Mauricie, un sur les Cantons-de-l’Est et un sur le Saguenay–Lac-Saint-Jean), entre autres parutions.
Encore active dans le monde culinaire, l’autrice et conférencière, qui habite maintenant à Sainte-Irénée, dans la région de Charlevoix, alimente fréquemment son fort populaire blogue (qu’elle tient depuis 1998!) de recettes familiales québécoises. Des petits «secrets de famille», selon elle. Rencontre.
Comment expliquer qu’on vous connaît si peu, vous qui avez pourtant grandement contribué à la culture culinaire québécoise?
Ce n’est pas rare qu’on me dise que je ne suis pas connue! Je pense que c’est parce que je n’ai jamais fait de télé que mon visage est moins connu. Ça n’a juste jamais adonné. Cependant, je sais que beaucoup de monde me suit sur les réseaux sociaux ou a mes livres à la maison.
D’où vous viennent votre amour et votre fascination pour les livres de recettes?
C’est une bonne question à laquelle je ne saurais trop répondre. Je ne sais pas d’où cela vient, mais je me souviens que j’ai toujours aimé les livres de cuisine. Jeune, lorsque j’avais des sous, c’était ça que je m’achetais. J’en ai lu énormément, en français comme en anglais. Et des magazines aussi.
Je me suis vite rendu compte que je n’aimais pas que réaliser des recettes, mais que j’étais aussi fascinée par l’histoire des aliments, des cultures culinaires, d’ici et d’ailleurs, des différentes méthodes de production et de transformation des aliments.
Quels ont été les premiers livres de recettes que vous avez possédés?
Quand je me suis mariée, ma mère m’avait proposé de copier quelques recettes de son petit cahier à elle. Elle m’avait aussi donné en cadeau le premier livre de poche de Jehane Benoit. Je me souviens qu’avant de l’avoir, je n’avais jamais fait de pâte à tarte et que sa recette, je l’avais réussie du premier coup.
Puis plus tard, quand mon mari, Daniel, partait en voyage d’affaires, je lui demandais toujours de me rapporter un livre de recettes de l’endroit qu’il visitait. Je lui disais, «demande à la librairie celui qui est le plus intéressant, pas le plus beau!». Un livre de recettes, pour moi, devrait aussi raconter l’histoire des gens qui les cuisinent.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire votre premier livre, à l’époque?
C’était un projet personnel, il était destiné à mes enfants. J’ai eu l’idée de leur faire un livre avec mes recettes maison, que j’ai nommé La cuisine renouvelée. Visuellement, il n’était pas beau! (rires) Mais mon idée, c’était de faire le livre idéal. C’était plus de 450 recettes faciles à réaliser, qui avait été testées avant d’être rédigées (ce n’est pas toujours le cas) certaines au micro-ondes, d’autres au robot culinaire (des innovations à l’époque) et plusieurs à congeler. Quand c’est venu aux oreilles des gens à qui je donnais des cours de cuisine, ils voulaient tous en avoir une copie. On me dit souvent qu’on s’en sert encore et il n’y a rien qui me fait plus plaisir que ça.
Est-ce que ça existe, une recette typiquement québécoise?
C’est difficile, parce que beaucoup des plats dits québécois sont inspirés de la cuisine française, anglaise, américaine et amérindienne. Parfois, c’est tout simplement la même recette, mais sous un nom différent. Je dirais qu’une recette québécoise, c’est bien souvent une recette d’ailleurs, mais réinventée au goût du Québec. C’est de la nourriture du cœur.
Et comment cela varie d’une région à l’autre?
Il y a plusieurs mets qu’on cuisine partout au Québec et certains qui sont réellement typiques à une région en particulier. Le meilleur exemple? La tourtière ou pâté à la viande. Elle existe à plusieurs endroits, sous plusieurs noms et avec quelques variantes de recettes. (Lire son blogue complet ici.)
Aussi, il y a des ingrédients que je qualifierais de «tendance», comme l’érable, par exemple. Il fait beaucoup plus partie du patrimoine culinaire des gens au sud de la province que de ceux de la Côte-Nord, par exemple. [Puisqu’il n’y a pas d’érable à sucre dans ces parties du Québec, l’érable est moins utilisé dans les recettes.]
Ma méthode était celle-ci: j’allais dans les centres de jour jaser avec des aînés. Je n’allais pas là pour récupérer des recettes, je voulais juste leur parler. Mon but était d’apprendre, de découvrir. J’arrivais avec un questionnaire et une enveloppe dans laquelle je leur demandais, à la fin de notre rencontre, de laisser des recettes s’ils en avaient à me partager. J’allais la récupérer quelques jours plus tard. Je pouvais en avoir une dizaine par groupe. Je leur demandais aussi leur numéro de téléphone, parce que si je faisais leur recette et que j’avais des questions, je voulais pouvoir leur demander des détails. J’ai fait ça pour tous mes livres des régions.
Il m’est aussi arrivé d’aller chez les gens apprendre à cuisiner leurs recettes familiales, à leur invitation. Par exemple, alors que j’habitais à La Tuque, un jour, une femme m’avait dit que sa maman venait la visiter de la Gaspésie. Elle m’avait offert d’aller apprendre à cuisiner le cipâte gaspésien avec elle. J’y suis allée!
Les livres de recettes sont toujours parmi les meilleurs vendeurs au Québec chaque année. À votre avis, quel est l’avenir du livre de recettes?
L’avenir, selon moi, est sur le web. J’ai mon blogue depuis 1998. C’était très avant-gardiste, je le réalise maintenant. La première mouture du blogue, je l’avais faite moi-même. Et je n’étais tellement pas techno! C’est mon mari, Daniel, qui m’avait montré comment faire du traitement de texte. Maintenant, mon garçon est webmestre, et il m’a donné un coup de main pour actualiser mon site web parce que les visites augmentent chaque année. Les lecteurs de mon blogue sont âgés entre 25 et 35 ans. Je sais qu’ils consultent mes recettes sur leur téléphone, c’est plus pratique pour eux que d’avoir des livres papier, même s’ils aiment encore en acheter.
Moi, j’en achète encore. Je passe mon temps à me débarrasser de livres accumulés au fil du temps, cependant! J’en lis aussi beaucoup sur ma tablette.
Y a-t-il une personne inspirante qui a influencé votre parcours?
Mon idole, c’était la chef d’origine française Madeleine Kamman. Je l’ai aimée la première fois que je l’ai vue à la télévision, dans les années 1980. Cette femme était une révolutionnaire, elle a transformé la cuisine. Elle était pleine de bon sens et toujours si bien informée sur les produits et les différentes cultures culinaires du monde. C’est surtout ça que j’aimais d’elle.
Un jour, j’ai donné quelques-unes de mes recettes à Julian Armstrong pour son livre Taste of Quebec, dont celle de mon rôti de porc et patates jaunes. Eh bien, Madeleine Kamman a mis la main dessus et l’a essayée. Elle avait dit que c’était la recette exacte que sa maman faisait quand elle était jeune et qu’elle habitait en France. Elle avait pris le temps d’envoyer une petite note à Julian lui disant ça! Cette dernière m’a offert cette petite carte de remerciements que je garde encore à ce jour très précieusement.
Quelle est votre recette québécoise fétiche, celle qui représente le mieux votre travail?
Ce serait sûrement la perdrix à la crème. Elle est d’une simplicité incroyable. Pour la petite histoire, mon mari allait à la chasse dans le coin de Hawkesbury. Une fois, il avait rencontré un garde-chasse qui avait partagé cette recette avec lui. Je l’ai cuisinée une première fois et elle est rapidement devenue la préférée dans la famille. Au fil du temps, j’ai essayé d’améliorer la recette, en ajoutant du vin blanc, par exemple, mais ce n’était jamais aussi bon que l’originale!
Le cas du pâté croche
S’il y a quelque chose que j’ai appris avec toutes mes recherches, c’est qu’il faut lire toute la recette pour la comprendre. Pas juste le titre, les ingrédients et les instructions. C’est comme ça qu’on peut savoir exactement d’où elle vient. Je vous donne l’exemple du fameux pâté croche de L’Isle-aux-Coudres, dans la région de Charlevoix. J’ai fait bien des recherches sur cette recette-là, parce qu’ils se vantent d’être les créateurs de ce petit pâté farci au porc en forme de demi-lune. Pourquoi ce nom? Ce serait parce que la pâte molle deviendrait un peu croche quand on la met sur la plaque avant de passer au four.
Ceci dit, un jour, je suis en vacances en Angleterre avec Daniel. Sur la route, on croise un gros panneau d’affichage faisant la promotion des «Cornish Pasties». Je lui dis, Daniel, ce sont des pâtés croches! On est allés à l’épicerie en acheter et on les a goûtés. Texture, goût, allure générale: pas de doute, ce sont comme des pâtés croches! Donc est-ce bien une recette québécoise ou est-ce qu’un jour, un expatrié anglais aurait rapporté cette recette avec lui dans ses bagages? Est-ce que le mot «croche» ne serait pas un dérivé de «cornish»? Je n’ai jamais réussi à le prouver, mais c’est mon hypothèse.