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Personnalité Caribou 2022: Sandra Gauthier, du musée à l’assiette
Publié le
08 décembre 2022
Texte de
Hélène Raymond
Photos de
Marie-Eve Campbell, Atelier Camion
Elle fait naître des idées et les réalise. Son ambition? Glisser le Saint-Laurent jusque dans le cœur des Québécoises et des Québécois par le biais d’Exploramer, le musée de Sciences qu’elle dirige à Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, et par la publication de la liste annuelle Fourchette bleue, le programme qui encourage à intégrer algues, fruits de mer et poissons méconnus dans nos assiettes. En faisant de Sandra Gauthier sa personnalité 2022, Caribou reconnaît sa contribution exceptionnelle à la mise en valeur du Saint-Laurent marin. Celui qui goûte le sel.
Elle fait naître des idées et les réalise. Son ambition? Glisser le Saint-Laurent jusque dans le cœur des Québécoises et des Québécois par le biais d’Exploramer, le musée de Sciences qu’elle dirige à Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, et par la publication de la liste annuelle Fourchette bleue, le programme qui encourage à intégrer algues, fruits de mer et poissons méconnus dans nos assiettes. En faisant de Sandra Gauthier sa personnalité 2022, Caribou reconnaît sa contribution exceptionnelle à la mise en valeur du Saint-Laurent marin. Celui qui goûte le sel.
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Je la connais depuis assez longtemps pour savoir qu’un projet n’attend pas l’autre et que l’amatrice de vin qu’elle est qualifierait 2022 de grand cru! Février marque la tenue du premier Salon Fourchette bleue. Vendeurs et acheteurs de produits marins qui souhaitent entreprendre ou bonifier leurs partenariats au Québec sont manifestement heureux de se croiser à Rivière-du-Loup, quelques semaines avant un important rendez-vous de l’industrie, à Boston. L’idée étant de desservir le marché domestique avant celui de l’étranger.
Mai ramène la publication annuelle de la 13e liste Fourchette bleue pour rappeler aux individus et aux professionnels de la mise en marché de la diversité de l’approvisionnement local. Juin amorce la collaboration avec la chaîne Metro qui certifie cinq de ses épiceries de l’Est au programme Fourchette bleue et qui annonce son intention de poursuivre à l’échelle du Québec, en 2023. Août lui permet de lancer «l’opération crabe commun» auprès des chefs pour les inciter à le cuisiner. Septembre met l’oursin vert à l’honneur.
À quelques jours de l'automne, le collectif de chefs de La Table ronde s'affilie à son tour: «Depuis le début de Fourchette bleue, j’ai le sentiment de courir derrière le projet, tant l’intérêt est grand. Cette année, c’est encore pire… ou encore mieux!» corrige-t-elle rapidement. Ce programme qui proposait initialement de faire connaître les poissons gaspésiens en Gaspésie et qui s’est déployé à tout le Québec après sa mise en place en 2009, regroupe maintenant 200 adhérents.
Et ce n’est pas tout! Notons au passage son engagement comme présidente de l'association Tourisme durable Québec. En fait, toute son action repose sur Exploramer. Avec ses 32 000 visiteurs, 32 employés en pleine saison, le musée est devenu un des attraits touristiques majeurs de la Gaspésie. Elle retient de 2022 la mise en chantier du pavillon des requins du Saint-Laurent, l’aménagement d’un aquarium écosystémique et la refonte de l’exposition permanente; des investissements de plusieurs millions qui se boucleront avec l’inauguration des nouvelles installations, en 2024.
La mission de Sandra tient en un mot: éducation. «Le premier outil d’Exploramer c’est d’instruire les jeunes, leurs parents et la communauté aux particularités du Saint-Laurent marin. À toute sa richesse. Plus on diffusera la connaissance, plus on aura de gens conscientisés, plus on aura envie de protéger l’environnement. Dans le logo de Fourchette bleue, il y a celui d’Exploramer et les deux sont indissociables. Notre méthodologie rejoint l'esprit de la certification Mr Goodfish, lancée de concert en 2010 par trois aquariums européens. Sans qu'on se soit parlé au départ, nos propositions privilégient la découverte plutôt que le bannissement de certaines espèces et notre réflexion englobe toute la pêche commerciale en considérant son impact sur l’ensemble d’une société. Pour nous, c'est un tout.»
Un tout, au point où l’action s’étend maintenant à la chasse. Au creux de novembre, depuis cinq ans, une trentaine de résidents des régions côtières se retrouvent à Sainte-Anne-des-Monts pour connaître les règles qui régissent la chasse aux phoques «pour usage personnel». À la session obligatoire pour l’obtention du permis, s’ajoute une formation en dépeçage, boucherie et cuisine. Sandra persiste et signe: «C’est encore une question d’éducation. Il faut rappeler qu’actuellement, le déclin de huit espèces de poissons de fond est lié à la population de phoques gris et répéter qu’on ne va pas tuer pour le plaisir, mais pour se nourrir. Les gens comprennent.»
À la différence du grand gibier terrestre, la vente de «loup-marin», issu d’une capture commerciale, est autorisée. Le phoque du Groenland apparaissait, dès la publication de la première liste Fourchette bleue; le phoque gris s’est ajouté plus récemment. Et il est de plus en plus fréquent d’en trouver dans les boutiques spécialisées et sur certains menus.
Matane, Montréal, Bruxelles et Sainte-Anne-des-Monts
D’où vient son intérêt pour le milieu marin? Sandra est née et a grandi à Matane. De son père, chef cuisinier, elle a hérité de l’amour pour la gastronomie: «Mon plat préféré, à cinq ou six ans, c’était son turbot sauté au curry, qu’il servait avec des légumes. Il était curieux de nous faire découvrir de nouvelles saveurs. On mangeait du crabe des neiges à mon anniversaire, du homard, des palourdes, des coques, des bourgots, des couteaux. Si ça n’avait pas été de ça, je ne serais pas où je suis.»
À Montréal, où elle débarque après le cégep, sa culture alimentaire s’enrichit. Elle goûte aux poissons crus, aux sushis et à ces plats issus des cuisines d’ailleurs, en tout cas, à ceux que son budget d'étudiante lui permet de s'offrir. La vie l'entraîne ensuite en Belgique, où elle travaille en tourisme après l'obtention de son diplôme. En rentrant dans sa ville d’adoption après des vacances au Québec, elle glisse des crevettes nordiques dans ses bagages. «J’ai organisé une dégustation avec mes amis belges pour les comparer à leurs crevettes grises. Elles sont arrivées ex æquo!»
Mais c’est en devenant directrice d’Exploramer en 2005 que la réalité la rattrape. Si les touristes expriment leur admiration devant les paysages de la péninsule, ils se disent déçus de ne pas pouvoir trouver du poisson gaspésien sur les tables régionales. Exception faite du saumon d’élevage et de quelques «poissons blancs» non identifiés, ils sont invisibles.
Elle constate également qu’après s’être penchés au-dessus des bassins du musée pour y observer ce qui nage, plusieurs visiteurs posent la même question: «Est-ce que ça se mange?» Conclusion? La curiosité est manifeste, reste à la nourrir. Littéralement. Plusieurs des actions qu'elle entreprendra lui permettront de rappeler sans se lasser que les campagnes de promotion de la consommation locale doivent aussi s’étendre à ce qu’on tire de nos eaux.
Un garde-manger marin pérenne
Convaincue qu’on pourra pêcher encore longtemps nos espèces sauvages, elle affirme: «Il importe de restreindre la pression des grandes captures ciblées, revenir à ce qu’on faisait au départ: partir en bateau, jeter le filet à l’eau, le remonter pour rapporter et transformer chaque spécimen attrapé, sans gaspiller. On a fondé le pays sur l’exportation de nos ressources marines, c'est le moment de se renouveler. Nous devons nourrir le Québec d’abord, le Canada ensuite et enfin vendre l’excédent, comme il faut réduire l’achat de produits étrangers issus de pratiques douteuses.»
Pour arriver à diversifier l’offre et faire découvrir l’hémitriptère atlantique, la loquette d’Amérique et d’autres trésors dont on espère apprendre le nom en les goûtant, Sandra s'apprête à lancer une plateforme virtuelle destinée aux chefs et aux poissonniers qui seront avisés des débarquements et pourront s’approvisionner en conséquence. L’annonce officielle est prévue en février 2023, lors de la deuxième édition du Salon Fourchette bleue. La mise en œuvre devrait marquer le début de la prochaine saison de capture.
Une de ses forces est d’insuffler de l’air frais dans un système établi: «Ce n’est pas toujours synonyme de succès. J’ai une forte intuition, je ne suis pas plus brillante qu’une autre, mais vaillante. Quand mon sixième sens me dit d’y aller, je fonce», reconnaît-elle humblement. J’ajouterais qu’elle fait preuve d’une détermination peu commune et que si elle parvient à tisser des liens avec la pêche, la science et la politique c’est qu’elle n’a pas compté les heures pour apprivoiser les êtres et comprendre leurs réalités.
Quand je lui demande de se projeter, elle me dit, rieuse: «2023 ne sera pas plus plate que 2022! En fait, je suis un peu étonnée par tout ça. Je suis surprise de constater qu’on attire l’attention des milieux urbains à partir de la Haute-Gaspésie. On verra la suite, si la curiosité se maintient, je serai contente.» Puis elle fait une pause, réfléchit quelques secondes à ma question avant d'ajouter: «J’aimerais que les gens goûtent au concombre de mer l’année prochaine!»
En attendant d’en manger, elle se rappelle ces Noëls d’avant la pandémie où elle cuisinait un festin pour sa famille en ajoutant une espèce Fourchette bleue, à l’entrée, au potage ou au plat principal. Là encore, les idées fusent: feuilleté de bourgots à la crème au parfum d’anis, garni de ciboulette. Ou un potage onctueux aux moules, assaisonné d’épices maghrébines. Sandra est toujours prête à se régaler de ce qu’offre le Saint-Laurent marin. Et vous?