Guillaume Cantin en guerre contre le gaspillage alimentaire
Publié le
12 octobre 2017
Le chef Guillaume Cantin, qui s'est fait connaître à l'émission Les Chefs! avant d'officier au restaurant Les 400 Coups, a décidé il y a un peu plus d’un an de quitter le monde de la restauration pour se concentrer sur d’autres projets. La Transformerie est née de ses réflexions des derniers mois et de son envie de «donner du sens à l’acte de cuisiner».
Un texte de Véronique Leduc
Photo de Guillaume Lépine
Comment est née l’idée de La Transformerie?
L’automne dernier, je buvais un café avec mon ami Thibault Renouf. Nous étions en grande réflexion et nous nous demandions comment jumeler nos compétences afin de les mettre en valeur. Ça fait quelque temps déjà que j’ai envie de me dédier à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Je trouve que c’est une aberration et une injustice totale. Il y a des gens dans le monde qui ne mangent pas à leur faim, entre autres parce qu’on gaspille ici. Pour nous familiariser avec le gaspillage alimentaire, nous avons fait du déchétarisme en allant dans les poubelles de plusieurs commerces pour constater que la quantité de nourriture jetée est énorme! Des données datant de 2014 du Value Chain Management Center, en Ontario, disent d’ailleurs qu’au sein du système alimentaire canadien, 40% de la nourriture est jetée. Peu à peu, l’idée de La Transformerie nous est venue.
Est-ce que ces démarches ont modifié ton opinion sur le gaspillage?
En tant que cuisinier, j’étais convaincu que si autant de nourriture était jetée, c’était parce qu’elle n’était plus bonne. Mais en fouillant les poubelles, nous nous sommes vite rendus compte que la qualité des produits était excellente. Le problème, c’est que la plupart des gens font leur épicerie pour la semaine et se procurent donc des aliments qui ne sont pas mûrs dans l’idée de les manger plus tard. Cela fait que sur les étagères, les fruits et légumes mûrs ne trouvent pas souvent preneur.
Pourquoi est-ce que ces produits sont jetés?
Premièrement, les commerçants ont des standards de qualité établis et se disent que s’ils vendent des produits de moindre qualité, cela va avoir un impact sur leur réputation. Ensuite, quand vient le temps de donner, les commerçants font face à une problématique: les organismes sont souvent de type communautaire et n’ont pas les ressources suffisantes pour aller chercher la nourriture de façon assidue. Quand l’organisme ne peut pas passer, le commerçant ne veut pas se casser la tête et jette. Ce n’est pas si simple de donner ses surplus...
Quelle est la solution que vous souhaitez proposer?
L’idée, c’est de transformer ces produits destinés à être jetés. Mais au lieu d’aller fouiller dans les poubelles, nous avons décidé d’approcher les commerçants pour leur demander simplement de nous donner les produits qui seraient autrement gaspillés.
Comment réagissent les commerçants à votre proposition?
Pour le moment, nous travaillons avec les petits et moyens commerces de détails, c’est à dire des fruiteries et des épiceries de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie. Nous avons déjà pris contact avec plusieurs commerçants pour la récupération des fruits et légumes et la réponse est hyper positive. Le MAPAQ (Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) ne permet pas de toucher à la viande et aux poissons mais nous essayons de voir si nous ne pourrions pas congeler ces denrées afin de les acheminer aux banques alimentaires. Nous explorons aussi l’idée de collecter les produits laitiers. Avec ces produits récupérés, nous comptons faire des conserves que nous allons revendre aux mêmes commerçants. C’est de l’économie circulaire.
«Notre but c’est d’intégrer les commerçants dans la démarche afin qu’ils soient fiers d’en faire partie et qu’autant les propriétaires des entreprises que les employés deviennent des ambassadeurs de La Transformerie et de la lutte contre le gaspillage alimentaire.»Qu’est-ce qui différencie La Transformerie des autres initiatives contre le gaspillage? Je crois que notre force, c’est d’amener une solution positive à un problème. Notre but c’est que le changement passe par le plaisir. Nous ne voulons pas culpabiliser: nous souhaitons juste proposer une solution. Déjà, si nous nous occupons des fruits et légumes, c’est le tiers des déchets des commerçants qui est retiré. Ça réduit de leur côté les coûts pour la collecte des déchets en plus de redonner une valeur marchande à leurs pertes. Ça leur donne aussi la possibilité de mettre de l’avant une stratégie de communication positive. De plus, c’est très avantageux pour les employés qui ont à jeter la nourriture et pour qui ça ne fait aucun sens de faire ça. À cause de ces raisons, notre projet parle aux gens concernés. Quelles sont les prochaines étapes? Présentement, nous sommes en train de chercher à faire des partenariats avec des organismes qui auraient des camions ou des cuisines qui sont en dormance pendant quelques jours dans la semaine. Nous pourrions créer des échanges de service puisque ce que nous souhaitons, c’est aussi de faire de l’antigaspillage de ressources. Le but n’est pas de créer du nouveau matériel, mais bien d’utiliser ce qui est déjà existant. Dans le futur, nous voulons extraire une partie des revenus pour faire de la recherche et du développement, ainsi que de l’accompagnement auprès des commerces afin d’aider à réduire à la source. Les commerçants font déjà de gros efforts mais avec notre solution, on se rend compte qu’on amène une perspective différente. Le projet devrait être officiellement lancé vers la fin de 2017 ou le début de 2018. Infos: facebook.com/latransformerie