Johane Despins: La vie après L’épicerie - Caribou

Johane Despins: La vie après L’épicerie

Publié le

28 mars 2024

Texte de

Geneviève Vézina-Montplaisir

Photos de

Maude Chauvin

Depuis 17 ans, Johane Despins aide les consommatrices et consommateurs québécois à mieux comprendre ce qu’il y a dans leur panier d’épicerie et les guide à faire des choix plus éclairés en cuisine. Après s’être promenée partout au Québec pour fouler des champs, visiter des usines et des restaurants, après avoir cuisiné, testé moult produits, épluché les circulaires et discuté avec une foule de passionnés, Johane quittera l’émission L’épicerie en juin. Caribou a rencontré la lumineuse journaliste-animatrice pour discuter avec elle de l’influence que L’épicerie a eu dans sa vie.
Johane Despins
Depuis 17 ans, Johane Despins aide les consommatrices et consommateurs québécois à mieux comprendre ce qu’il y a dans leur panier d’épicerie et les guide à faire des choix plus éclairés en cuisine. Après s’être promenée partout au Québec pour fouler des champs, visiter des usines et des restaurants, après avoir cuisiné, testé moult produits, épluché les circulaires et discuté avec une foule de passionnés, Johane quittera l’émission L’épicerie en juin. Caribou a rencontré la lumineuse journaliste-animatrice pour discuter avec elle de l’influence que L’épicerie a eu dans sa vie.
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— Quel était ton rapport à l’alimentation avant danimer L’épicerie?

Je suis vraiment une gourmande et je baigne dans le milieu de la restauration depuis longtemps. Depuis que j’ai 16 ans, je ramasse de l’argent pour aller essayer des restos. Mon frère aîné a travaillé pendant 10 ans à L’Express. J’ai aussi travaillé en restauration et j’ai même marié un gars de restauration!

Ma mère, comme plein de gens de sa génération, était une excellente cuisinière, mais elle était surtout une aventurière en cuisine. Elle essayait plein d’affaires, elle connaissait tous les nouveaux mouvements. Elle a suivi le régime macrobiotique dans les années 1980. Elle allait même à Montréal pour trouver des produits particuliers qu’elle ne trouvait pas à Trois-Rivières.

Mon père, lui, était agent d’assurances et avait un circuit rural pour faire la collecte de ses polices. Chaque mois, il allait chercher le 12 dollars et 22 sous de la police chez ses clients, et il avait comme principe de s’approvisionner chez eux. Le samedi, on allait donc acheter nos œufs chez M. Beaulieu, qui avait une ferme avicole. On allait chez tel autre qui avait une ferme laitière chercher le lait. On achetait un bœuf entier chez un éleveur de bovins. J’ai grandi dans ces valeurs, mais on n’appelait pas ça de l’achat local dans le temps!

— Depuis que tu coanimes L’épicerie, est-ce que ta façon de faire tes achats alimentaires a changé?

Ce qui a le changé le plus, c’est mon regard sur le panier d’épicerie des autres et sur l’accessibilité et la disponibilité des produits. Je me suis rendu compte qu’avant de coanimer L’épicerie, je ne regardais pas le prix des aliments. Le rédacteur en chef nous disait souvent: «On ne fait pas une émission pour parler de foie gras. On est là pour parler du prix du panier d’épicerie et pour dire aux gens quels produits sont des bons achats.»

Tu peux dire aux gens que ça existe des produits locaux, des produits bio, des produits équitables, que c’est le fun d’encourager ton voisin, mais si les gens n’ont pas les moyens, nous on va leur dire à quel endroit le poulet est le moins cher cette semaine, parce qu’ils ont probablement une famille à nourrir. Et ça va être sûrement dans une grande chaîne car il n’y en a pas d’épiceries Valmont à Sept-Îles.

L’épicerie m'a appris à démocratiser ma façon de voir le panier d'épicerie et à ne pas juger les gens qui achètent des produits transformés ou des produits exportés.
Johane Despins

— Quest-ce qui ta surprise le plus quand tu as commencé à couvrir le «beat» alimentaire?

Je n’avais aucune idée de l’omerta, de la loi du silence qui règne dans le milieu de l’alimentation. Essayer d’entrer dans une usine, essayer de parler à Santé Canada, essayer d’avoir accès à des renseignements auprès du gouvernement: ce n’est pas une mince affaire! On ne veut pas faire une enquête sur la traite humaine, on veut juste savoir pourquoi telle instance a décidé que c’était tel chiffre le pourcentage de plomb qui est acceptable d’avoir dans l’eau! Je ne nommerai pas de nom, mais dernièrement, on a voulu avoir accès à une usine où est fabriqué un produit populaire, qui est fait chez nous, qui est distribué en épicerie. On nous a répondu que c’était impossible, qu’il y avait des secrets d’entreprise. Comme si j’allais donner la recette de fabrication du produit en ondes!

— Est-ce que les gens tabordent quand ils te croisent à l’épicerie?

Oui! C’est ce rapport-là avec les gens dont je vais m’ennuyer le plus quand je vais quitter L’épicerie. Parce que l’alimentation, ça touche tout le monde. Il n’y a pas de classes sociales qui tiennent, il n’y a pas de communautés ethniques qui tiennent, il n’y a pas d’âges qui tiennent. Tout le monde mange. Il y a des enfants qui m’abordent pour me dire qu’ils ont écouté une émission où on faisait des bonbons et qu’ils ont aimé ça! Il y a des parents qui me disent: «J ‘écoutais L’épicerie de force avec mes parents quand j’étais petite, mais maintenant j’ai des enfants et j’aime ça. Je réécoute même des vieux épisodes que j’écoutais quand j’étais petite!» Il y a des gens plus vieux qui me disent: «Je ne me suis jamais préoccupé de ce que je mangeais, mais depuis que j’écoute L’épicerie, je regarde le taux de sodium des produits que j’achète.» Les gens me parlent comme si j’étais un membre de la famille.

C’est très drôle, car des fois les gens font leur épicerie en même temps que moi et ils me parlent comme si j’étais leur conjoint ou leur conjointe. Ils me disent : «Cette semaine, on va manger ça, parce que…» ou, «Ça n’a pas de bon sens, je ne peux pas prendre ça dans mon panier, t’es d’accord?» Je fais partie de leur quotidien. C’est merveilleux parce que je me sens utile, et en même temps, ils comprennent que je suis dans le même bateau qu’eux. Je ne suis pas une nutritionniste, je suis une journaliste qui n’est pas parfaite, j’ai le même panier d’épicerie qu’eux, je me pose les mêmes questions qu’eux.

— Depuis que tu animes L’épicerie, est-ce que ta façon de cuisiner a changé?

C’est sûr que ma façon de cuisiner a changé, j’essaie de manger plus local, mais je dois avouer qu’avec les fruits, j’ai plus de misère! Je ne suis aucun dogme. Je ne mange pas 100% bio, je ne mange pas 100% local. Mais c’est sûr que j’y pense quand je cuisine. J’utilise moins de beurre, ou moins d’huile d’olive maintenant qu’on a de bonnes huiles produites au Québec. Ma façon de cuisiner a évolué grâce à L’épicerie, mais aussi grâce à l’évolution de la société.

— Tu as été journaliste culturelle avant d’être à L’épicerie. Est-ce que tu vois un lien entre la culture avec un grand C et la culture culinaire?

Oui! Il est énorme! Je ne m’en étais jamais rendu compte avant. L’alimentation, c ‘est notre culture, au même titre que la chanson, que l’art visuel, que la danse. Notre alimentation est très représentative de qui l’on est. On a une façon de cultiver différente d’ailleurs dans le monde, on a une façon de s’alimenter différente, on a une curiosité différente face à l’alimentation qui est propre à notre culture.

Quand j’ai cessé d’être journaliste culturelle, je me suis retrouvée dans un champ à parler avec un producteur, dans une cuisine avec un cuisinier, avec un fabricant de biscuits québécois. Ils me parlent tous de la même façon que les artistes me parlaient de leur œuvre. C’est-à-dire qu’ils me parlent tous de leur produit comme étant la plus grande merveille du monde. Ils ont travaillé pendant des années à faire pousser un produit ou à essayer de le commercialiser. Ils sont fiers que tu y goûtes, ils veulent que tu en parles, que tu adhères à leur vision du monde.

Pour moi, la culture et l’alimentation sont vraiment très proches. Les chefs sont des artistes. Les producteurs sont des artistes. Les femmes et hommes d’affaires du Québec sont des rêveurs comme les artistes. Ça prend du courage pour te lancer, par exemple, dans le marché des pizzas congelées. Il y a 280 sortes de pizzas congelées que tu peux acheter dans les épiceries du Québec et certains entrepreneurs se disent: «Moi, je vais compétitionner avec des Dr. Oetker de ce monde». Ça prend de la volonté!

— Est-ce que tu considères que tu as été témoin de l’évolution de la place des aliments locaux dans notre panier d’épicerie ces 17 dernières années?

Oui, vraiment. C’est sûr qu’avec la pandémie, ça a explosé, mais nous, on en parlait dès le début de l’émission.  C’est un mouvement qui était déjà en place. Avec la mondialisation, le libre-échange, à un moment donné, les gens ont eu besoin de retrouver quelque chose qui leur appartenait, sur lequel ils avaient du contrôle. À force d’être informés, les gens ont été conscientisés à adopter l’achat local pour des raisons éthiques, économiques, climatiques. La pandémie a amené une conscience, mais elle est fragile pour la simple et bonne raison que la première chose qui va dicter ce que tu vas mettre dans ton panier, c’est ton budget. L’achat local, tant que ça ne sera pas supporté différemment par nos gouvernements, ça va stagner. On subventionne encore beaucoup l’exportation avant de supporter l’accessibilité des produits locaux chez nous.

Johane Despins

— Quelle sera ta vie après L’épicerie?

Je n’ai aucune idée de ce que l’avenir me réserve! Je n’ai fait aucune démarche, je me jette vraiment dans le vide. Je sais que ça va être un deuil immense. L’équipe va vraiment me manquer. Mais je sais que mon expérience en alimentation va rester un bagage important.

Je fais du bénévolat en francisation et puis l’alimentation m’ouvre déjà des portes extraordinaires. Si tu veux faire parler des gens à propos de leur vie, tu leur parles du plat qu’ils préfèrent, de celui dont ils s’ennuient le plus de leur pays d’origine. Quand je demande à des étudiants «quelle est la recette préférée que ta mère faisait», ils se mettent à pleurer, mais étonnamment, ils me la décrivent en français. Je me dis tout le temps, à un moment donné, ils vont «switcher» dans leur langue d’origine. Mais non, ils se forcent, pour transmettre eux aussi leur culture. L’alimentation, c’est culturel, c’est viscéral.

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