La ruée vers la camerise
Publié le
04 novembre 2016
Mine de rien, plus d’un million de plants de camerise ont été plantés au Québec depuis 2007. Si bien que la Belle Province pourrait devenir le plus gros producteur mondial du petit fruit bleu. Comment expliquer l’intérêt pour ce fruit qui est encore méconnu mais dont les propriétés antioxydantes attirent l’attention?
Texte et photos de Guillaume Roy
Dans un champ qui borde le rang Simple, à Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean, des petits arbustes plantés en rangée sur un paillis de plastique attirent l’attention des passants, mais surtout celle des agriculteurs du voisinage qui ont entendu parler de l’émergence d’un petit fruit nordique fort prometteur, la camerise.
C’est dans ce champ, qu’au début du mois de septembre, Alexandre Paradis et son associé ont planté 5000 plants de camerise. Ayant tous deux travaillé sur des fermes dans leur jeunesse, ils ont décidé d’investir dans ce petit fruit émergent plutôt que dans l’immobilier. «On ne voulait pas investir juste pour l’argent. Quand on vient dans le champ, on s’amuse, on ne travaille pas», lance Alexandre, 34 ans.
N’empêche qu’ils ont quand même dû faire un investissement majeur de plus de 100 000$ pour louer la terre, préparer le sol, installer le système d’irrigation, acheter les plants et les mettre en terre. Une somme qu’ils comptent rembourser en sept ans, ou moins.
C’est que la culture de la camerise est l’une des plus rentables sur le marché en ce moment. Cette année, les producteurs ont reçu 7$ le kilogramme pour les fruits destinés à la congélation et jusqu’à 20$/kg pour les fruits livrés aux restaurateurs. «Le prix est bon à l’heure actuelle, mais quand l’offre va augmenter, les prix vont baisser. On a fait nos prévisions avec un prix de 3,50$/kg», note Alexandre.
L’offre devrait en effet exploser au cours des prochaines années, car plus d’un million de plants ont été mis en terre depuis 2007, dont 750 000 au cours des trois dernières années.
Mais comme il faut attendre au moins trois ans avant de faire une première récolte commerciale, les récoltes sont encore minimes au Québec. À l’été 2015, à peine 50 000 kg ont été récoltés. «D’ici 10 ans, on devra produire au moins 5 millions de livres», espère André Gagnon, un des pionniers de la camerise au Québec.
Jadis agronome au ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation (MAPAQ), il avait été charmé par la plante qui peut tolérer des températures de -47°C lors d’une visite exploratoire en Saskatchewan, où les cultivars ont été développés en 2006.
Dénommé «haskap» en anglais, le petit fruit au goût sucré et acidulé, mêlant des saveurs de bleuet, cassis et framboise, n’avait toujours pas de nom populaire en français. Avec le groupe de professionnels et de producteurs qui l’accompagnaient, il l’ont alors baptisé «camerise», un nom désormais reconnu.
De retour au Québec, André Gagnon plantait ses premiers plants à Roberval l’année suivante. Il en a aujourd’hui 10 000 et se consacre à plein temps à la camerise. Président de Camerise Québec, un regroupement de producteurs de camerise, et de Boréa, le plus gros acheteur de camerise au Québec, il veut maintenant convaincre le maximum de producteurs de se lancer dans cette culture pour produire de gros volumes, ce qu’aucun pays au monde n’est capable de faire.
Pourtant, la demande, qui provient aussi bien de Nouvelle-Écosse, d’Europe, du Japon, que de transformateurs locaux comme Lassonde – qui utilise le fruit dans ses jus – est énorme, soutient André Gagnon.
Pourquoi le Québec est-il en bonne position pour devenir le leader mondial de la camerise? Toutes les infrastructures et le réseau de mise en marché existent déjà pour le traitement du bleuet. Comme on récolte la camerise quelques semaines avant le bleuet, les usines de congélation sont disponibles pour traiter les fruits. Il ne reste qu’à produire de plus gros volumes pour rentabiliser l’aventure.
Pour récolter la future manne de petits fruits, les producteurs misent sur la mécanisation de la récolte. Certains achètent des récolteuses, alors qu’une nouvelle génération de patenteux, comme Alexandre Paradis, veulent construire la machine qui permettra de récolter l’or bleu. Et si les fruits sont au rendez-vous, Alexandre pense déjà à prendre de l’expansion dans les champs voisins.
La camerise en bref
Apparence: fruit bleu de couleur similaire au bleuet, de forme allongé. Chair de couleur pourpre.
Période de récolte: de la fin juin à la mi-juillet.
Longévité: le plant devient mature après 7 ans et peut vivre 35 ans.
Productivité: Entre 2 et 4 kilogrammes de fruits par plant mature
Fruit nordique: les plants résistent à des températures de -47°C, alors que la fleur tolère -7°C.
Propriétés: riche en antioxydants, en fibres et en vitamines
Goût: à la fois, sucré, acidulé et amer. C’est un mélange de bleuet, de mûre, de framboise, de rhubarbe, de cassis et de prune*.
Utilisation: idéal pour la transformation (congélation, confiture, jus, restauration)
Compagnon idéal: la crème glacée*
Meilleure recette: la croustade*
* selon André Gagnon.