Personnalité Caribou 2018: Colombe St-Pierre, de calme et de tempêtes
Publié le
15 décembre 2018
C'est toute une année qui se termine pour Colombe St-Pierre. Parce que son talent et son travail acharné pour mettre en valeur et défendre le territoire québécois ont été récompensés et soulignés à maintes reprises. Parce que le grand public a pu découvrir la belle folie de cette cheffe unique et tomber sous son charme, Caribou a choisi Colombe St-Pierre comme personnalité de l’année 2018 et a mandaté sa collaboratrice Hélène Raymond d'aller la rencontrer chez elle, au Bic.
Un texte d'Hélène Raymond
Photos de Marie-Sophie Picard
J’ai utilisé les mots patience et persévérance dans mon texto lui exposant de quoi j’avais envie de discuter avec elle. Colombe, ce feu d’artifice, cette cheffe à l’énergie débordante est-elle patiente, au sens où elle peut attendre que les choses changent avec calme? Persévérante comme qui poursuit son projet à long terme, avec une détermination farouche? J’étais curieuse de le savoir et c’est chez elle, dans son restaurant du village du Bic, les pieds dans l’eau salée du Saint-Laurent et la tête dans les boisés des Appalaches que nous nous sommes attablées, à la toute fin d’une saison marquée par les signes de reconnaissance.
Celle dont Caribou reconnaît le travail exceptionnel a beaucoup voyagé vers Montréal ces derniers temps pour raconter son terroir et le bonheur qu’elle éprouve à le mettre en valeur. En avril, on l’élisait « Cheffe de l’année », lors du gala des Lauriers de la gastronomie québécoise. Suivait une apparition remarquée à Tout le monde en parle. En juin, elle s’assoyait chez Christian Bégin, à Y’a du monde à messe, puis, Jean-François Lisée lui remettait la médaille de l’Assemblée nationale en soulignant sa détermination à défendre sa région. En novembre, Caroline Proulx, ministre québécoise du Tourisme, lui décernait le prix Grand Bâtisseur, lors du gala des Prix excellence tourisme: «Je n’avais rien prévu de ce qui est arrivé. Cette rançon de la gloire, c’est d’abord et avant tout une affaire de gang!» Du même souffle, elle salue Laurent Matte-Boily, son sous-chef, qui s’est rendu en finale de la dernière saison de l’émission Les Chefs.
«Soudainement, on a eu à gérer l’achalandage jusque tard en automne. On n’était pas préparés à autant d’affluence!» Elle a travaillé six jours par semaine, imposant ce rythme à l’équipe. Le carnet de réservations s’est rempli, la saison s’est allongée. L’intensité a grimpé de plus d’un cran. Si cette demi-année a créé une immense provision d’affection et d’appréciation, elle a généré un état de fatigue proportionnel à la fébrilité ambiante: «Je ne veux pas que les gens soient déçus», confie-t-elle. Tout au long de notre entretien, elle accepte, souriante, de se lever pour échanger avec chaque client qui tient à la saluer en partant. Je l’observe du coin de l’œil rire avec eux, se régaler de leurs histoires, retourner le projecteur braqué sur elle pour s’imprégner du récit de l’autre. Elle sourit, rit aux éclats, tisse des liens, reçoit les compliments. «Ça me fait plaisir de servir à quelque chose», avoue-t-elle, simplement. Ce «quelque chose», c’est l’art de créer du bonheur.
La fierté bas-laurentienne
«Si je perds patience, c’est parce que ça va trop loin et que je n’ai plus d’espoir.» Ses sautes d’humeur, Colombe Saint-Pierre les réserve aux nombreux enjeux qui mettent en péril le terroir et la survie des artisans qui bataillent, au jour le jour, en tentant d’en vivre. Elle les voit élever des animaux de boucherie, tendre des filets et descendre des casiers, cultiver des légumes, cueillir en nature: «Je m’inquiète du sort des plantes indigènes, c’est le gros bordel. Il faut des règles de cueillette claires et un respect des régions et des territoires.» On n’a pas de mal à imaginer les batailles et la détermination dont elle fait preuve. Tout ce temps passé à tenter de récupérer dans ses frigos au retour de l’abattoir, des animaux d’élevage qu’elle a elle-même sélectionnés; ces heures à exiger des réseaux de distribution qu’ils répondent à la demande d’un petit établissement planté au cœur d’un village d’un peu plus de 1 000 habitants; ces appels pour obtenir du poisson frais, toutes ces batailles du quotidien représentent une énergie folle. Même en partageant les tâches avec Alexandre Vincenot, son conjoint, copropriétaire du restaurant, le travail est énorme. Ajoutez trois petites filles, une vie de famille, une équipe à gérer, un équilibre financier à maintenir, une saison courte, la pénurie de main-d’œuvre… Quand je lui demande si, dans les tempêtes, elle a du mal à trouver le sommeil, elle avoue ne pas dormir. Ou très peu. Mais, à force de persévérance, il y a des victoires. Préoccupée depuis longtemps par les difficultés des régions maritimes à obtenir des poissons capturés localement, elle a frappé un grand coup et ce sont deux gros thons rouges, pêchés à la ligne et conditionnés dans les règles de l’art, qui ont été mis en valeur au Bas-Saint-Laurent en 2018: «On les a empêchés de partir en Asie et même à Montréal!» dit-elle fièrement.Lire la chronique d’Hélène Raymond à ce sujet: Et si l’on commençait à se réapproprier nos espèces marines, là où on les pêche?