Trop brève incursion au Sénégal, sur la terre de la Teranga - Caribou

Trop brève incursion au Sénégal, sur la terre de la Teranga

Publié le

18 février 2020

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Notre chroniqueuse Hélène Raymond a participé à une mission de coopération au Sénégal à la fois comme membre du CA de l'UPA Développement international et comme chargée de communication auprès des participantes, une quinzaine d’agricultrices d’un peu partout à travers le Québec. Elle revient sur cette expérience riche en découvertes.

Texte et photos d’Hélène Raymond

Mi-janvier 2020, en mission au Sénégal à titre de coopérante volontaire, ma journée s’achève sur un magazine télé consacré à l’actualité alimentaire africaine. La chef Anto Cocagne décrit avec enthousiasme cette nourriture que je découvre. Si nous nous sommes familiarisés avec plusieurs «cuisines du monde», celles qui caractérisent l’Afrique de l’Ouest, centrale, de l’Est et australe sont le reflet de cultures alimentaires que nous ne connaissons que trop mal. Pendant ce voyage, thiep bou dien, poulet yassa, pastels, allocos, acras, manioc, mil, riz, aubergine amère, piment, garniront nos plats communs, souvent accompagnés d’oignon blanc fondant et du «khogne», le fond caramélisé du chaudron, qu’on ajoute à la toute fin. 

Regroupées autour d’une très grande assiette, le rite veut qu’on mange «devant soi», attendant qu’une ou l’autre, (ce sont généralement des femmes: maîtresse de maison, cuisinière, aînée,) se charge de couper et répartir les aliments. Viande ou poisson trônent au centre. Une fois les estomacs remplis, on reprend le plat pour en offrir le contenu aux proches comme aux inconnus qui patientent, à l’extérieur. Rien ne se perd. La terre de la Teranga (de l’hospitalité) porte fièrement son nom. 

Des plats typiques du Sénégal préparés par des femmes.

Dans cette société aux rôles définis, les femmes se chargent du maraîchage, des petits élevages, de la culture et de la transformation des céréales tout autant que de celle de ces poissons que les hommes rapportent sur les plages des grandes zones de pêche. On les dit «femmes aux mille bras». Portant et transportant leurs enfants, charroyant l’eau et le bois, se penchant des heures durant pour biner la terre, cuisinant patiemment, elles travaillent à assurer la subsistance de leur famille. Une responsabilité qui leur incombe toujours et que Fatou Diome décrit ainsi:

«Féminisme ou pas, nourrir reste une astreinte imposée aux femmes. Ainsi, dans certains endroits du globe, là où les hommes ont renoncé à la chasse et gagnent à peine leur vie, la gamelle des petits est souvent remplie de sacrifices maternels.»

Mais ce monde en changement et cette modernité galopante, plutôt que de les soulager, risquent de compliquer davantage leur vie quotidienne. À Kayar, là où s’alignent des centaines de pirogues colorées qui n’attendent qu’à prendre la mer, on me dira que le poisson se fait plus rare. Capturé au large, bien avant d’atteindre les zones où pêchent ces embarcations de bois, il signifie l’arrêt de travail pour les hommes et les femmes, ces dernières ayant moins à acheter pour la consommation domestique ou la revente. Même situation à Saint-Louis, où elles ont décidé de diversifier l’activité de leur centre de transformation de poisson pour générer des revenus: la mouture des céréales, le pressage de fruits locaux occupent aujourd’hui une part l’activité.

Un peu partout, le réchauffement climatique bouleverse les pratiques. Dans la région du Baol, l’eau manque. Le marigot, asséché, ne peut plus abreuver les animaux des villages et la saison des pluies ne commencera qu’en juin. Des femmes nous racontent leur intention de jardiner, de récolter leurs propres légumes et affirment, du même souffle, que l’eau du puits ne peut arroser toutes les parcelles. Près de Dakar, dans la grande zone maraîchère des Niayes, où l’on produit la majorité des légumes du pays, c’est l’étalement de la capitale qui menace les zones maraîchères et les projets des femmes. 

Photo de famille au Sénégal
«Photo de famille » à l’atelier de transformation de l’arachide de Kaolack. 

La visite d’une mini-rizerie, d’entrepôts de conservation de céréales, d’un verger biologique irrigué au goutte à goutte, d’installations de production de biogaz vont prouver leur ouverture d’esprit et leur volonté d’avancer. Jamais n’avons-nous douté de leur détermination, de leur curiosité, de leur ingéniosité. Révolutionner l’agriculture de subsistance tout en protégeant la terre, privilégier l’accès des femmes au foncier, générer des revenus qui permettront aux enfants de fréquenter l’école, redéfinir les rôles traditionnels, protéger les bases d’une alimentation peu transformée, saine et identitaire représentent un défi colossal. 

Depuis le retour, en multipliant les entrevues dans leurs milieux respectifs, mes compagnes agricultrices témoignent de ces multiples rencontres avec ces femmes et ces hommes croisés au fil des échanges. Chacune, dans ses propres mots, raconte le courage de cette «autre»,  qui n’est plus une inconnue. Une d’entre elles dira être rentrée au pays «avec humilité». Parce que devant autant de travail et de courage, nous ne pouvons que nous incliner. 

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En attendant sa prochaine chronique, vous pouvez suivre Hélène Raymond sur son blogue, ainsi que sur Twitter.

Blogue: heleneraymond.quebec
Twitter: @heleneraymond

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