Simon Mathys: être son propre chef
Publié le
10 novembre 2020
Au fil des années, le chef Simon Mathys, dont la signature culinaire, à la fois minimaliste et patrimoniale, a marqué les esprits au défunt Racines, puis au Accords et au Manitoba, a plusieurs fois réussi à nous surprendre. Mais il nous a littéralement stupéfaits en annonçant le 3 novembre qu’il allait ouvrir son tout premier restaurant, Mastard, qui signifie «personne costaude» dans le dictionnaire, au début du mois de décembre. Pourquoi a-t-il pris une telle décision alors qu’une deuxième vague pandémique frappe de plein fouet un milieu de la restauration devenu famélique? Pour le savoir, nous sommes allés à sa rencontre sur la rue Bélanger, dans le local qu’occupait auparavant l’institution Chez Chose et qu’il bichonne déjà à coups de marteaux, heureux et étonnamment serein de se lancer dans cette nouvelle aventure.
Texte de Sophie Ginoux
Photos de Maude Chauvin
Allons droit au but! Pourquoi ouvrez-vous votre premier restaurant à cette période des plus particulières?
Pour ceux qui se poseraient la question : «Est-il devenu fou?», je vais les rassurer. Non, je ne suis pas fou, juste fébrile, excité et ultra motivé par ce nouveau projet. Je crois que tout cuisinier rêve d’ouvrir un jour son propre restaurant. Du moins, c’était le mien. Et cela faisait déjà une bonne année que je recherchais plus concrètement un local pour le réaliser. Cela aurait peut-être été un peu plus long sans la COVID, mais elle a agi dans mon cas comme un accélérateur et m’a poussé à saisir une belle opportunité.
Tiens, c’est surprenant. Considérez-vous que la pandémie vous a été profitable?
Absolument! Elle m’a permis pendant le confinement de passer plus de temps avec ma famille qu’en l’espace de six ans. Cela m’a fait un bien fou. Je me suis entraîné, j’ai perdu 20 livres, et j’ai pu faire le point sur ma vie professionnelle. Je me suis rendu compte que j’étais vraiment mûr pour avoir ma propre affaire et je n’ai pas hésité à aller visiter le local de Chez Chose dès que j’ai vu l’annonce de sa vente. Tout s’est passé très vite ensuite.
Pourquoi un chef disposant déjà d’une belle autonomie décide-t-il de s’investir personnellement et financièrement dans un projet somme toute risqué?
Je jouissais effectivement d’une certaine liberté au Manitoba, mais ce n’était pas chez moi. J’ai envie à présent de travailler près de mon domicile (le chef habite à moins de 10 minutes à pied de son futur restaurant) et de prendre des décisions. Des décisions bonnes ou mauvaises, mais de les assumer. Et je me sens très zen, très en phase avec ce changement. Je m’implique à toutes les étapes du projet, je vois le processus de A à Z. Et tout cela m’excite beaucoup! Le logo, le choix des banquettes, la pose d’un nouveau plancher avec mon père. J’apprends un peu plus chaque jour et j’adore ça, c’est très motivant! Je déchanterai peut-être lorsque le resto sera ouvert, mais pour l’instant, j’ai de l’énergie à revendre.
À quoi ressemblera le Mastard? Quelle est votre vision pour cet établissement?
Je vais assurer une continuité avec ce que je faisais déjà, mais avec l’approche plus conviviale et familiale d’un restaurant de quartier. Ma passion pour les produits locaux et pour la cuisine patrimoniale est intacte, bien sûr. Comme je l’ai déjà démontré par le passé, je crois fermement que chaque plat a une histoire, quelque chose à raconter. C’est ce que j’ai compris auprès de Michel Lambert, dont les cours d’histoire de la gastronomie québécoise ont nourri mon inspiration et dont les livres sont toujours mes références. Ce savoir et l’interprétation que j’en ferai seront simplement plus accessibles, à l’intérieur d’un espace que je veux simple et funky. Un espace où on aura envie d’aller sans se casser la tête.
Concrètement, comment votre petit «Costaud» va-t-il opérer au cours des prochains mois, alors que les restrictions qui touchent la restauration sont sévères?
Eh bien, comme tous les restaurateurs, je suis à la merci des décisions gouvernementales. J’ai néanmoins choisi le local de Chez Chose en fonction des contraintes qui étaient déjà là avant le mois d’octobre et qui seront selon moi en place pour un bon moment, puisque je peux y asseoir 26 personnes en tenant compte de la distanciation physique. Je suis également en train de réfléchir à un menu de livraison, même si c’est un gros challenge, j’en conviens. Cette crise nous force à penser différemment, à sortir de notre zone de confort. Et je n’ai jamais été aussi prêt à le faire, croyez moi!