Le modèle Desbois, un circuit court pour la pêche - Caribou

Le modèle Desbois, un circuit court pour la pêche

Publié le

20 mai 2021

peche locale crabe des neiges
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J’ai parlé à Bertrand Desbois un vendredi, à l’heure où l’on décrète l’avènement de la fin de semaine, un apéro à la main. Il était quelque part dans l’estuaire du Saint-Laurent, entre Matane et l’île d’Anticosti, sur son homardier aussi rempli qu’à son arrivée à quai, le matin même. Sa nuit s’annonçait belle et calme. 

Texte d’Hélène Raymond

En moins de 12 heures, pendant son court passage à Matane, il avait déchargé quelques dizaines de milliers de livres de homard; refait le plein de mazout; embarqué 900 livres d’appât pour ses 300 casiers; chargé l’épicerie et les provisions de l’équipage pour un autre voyage d’une semaine. Il envisageait d’arriver près d’Anticosti avant le lever du soleil. Alors que certains pêcheurs qui y détiennent des permis dorment dans des camps de fortune, son «gros bateau» de 50 pieds est équipé de cabines et d’installations confortables. Il peut même conserver les homards en cale, dans de l’eau salée qui se renouvelle.  

Jusque-là, son histoire peut ressembler à celle d’autres pêcheurs professionnels. La différence? C’est que chez les Desbois, on commerce les captures familiales dans les établissements familiaux, avant de desservir d’autres boutiques spécialisées et des usines. Le modèle est unique dans l’industrie québécoise. 

Bertrand Desbois est sans doute un des Gaspésiens les plus connus dans la capitale québécoise. L’entreprise Pêcheries Raymond Desbois porte le nom de son père. Il y a environ quinze ans, Bertrand cherchait un débouché pour écouler ses crevettes nordiques d’automne, quand les usines de transformation ont fermé leurs portes. Un ami pêcheur, qui les vend à Baie-Comeau sans passer par un intermédiaire, lui suggère de tenter le coup au marché du Vieux-Port de Québec. Les choses s’organisent facilement. Il paie des publicités à la radio, les premiers clients se pointent: «Au début, les gens ne connaissaient pas le produit. Ils achetaient ça par sacs d’une livre! Puis, on a commencé à préparer des sacs de trois livres pour qu’ils aient quelque chose à manger une fois les crevettes nordiques décortiquées!»  Les ventes et l’équipe grossissent, on forme les clients un à un. Puis, Myriam et Katherine, ses filles, commencent à écouler le crabe des neiges, à expliquer comment le cuire. Myriam organise même des repas au marché. On achète des frigos et on recrée presque la frénésie éprouvée sur un quai au retour des bateaux. Mais cette fois, ce sont des camions de livraison que l’on attend. 

Quand on leur propose de déménager au Grand Marché, ils déclinent l’offre «parce que le site est plus difficile d’accès pour nous». Leur première poissonnerie après celle de Matane ouvre ses portes à Québec sur le Chemin Saint-Louis en 2017, elle sera suivie d’un restaurant, la Gaspésienne no.51. Myriam Cyr-Desbois constate que l’appétit des clients pour les produits d’ici grandit au premier confinement du printemps 2020. J’ai moi-même patienté pour le premier crabe de cette saison, sous une pluie battante et glaciale en avril dernier. Dans les files d’attente, on jase fièrement de ses origines gaspésiennes et nord-côtières! Et on accepte de prendre son temps! Il faut parfois jusqu’à deux heures avant d’entrer dans la boutique. Devant autant d’enthousiasme, les Desbois ouvrent un deuxième établissement à Québec: «On pensait que la clientèle allait se diviser, elle a juste doublé!» raconte Myriam dans un éclat de rire. 

Ce qui les rend aussi uniques c’est cette mise en marché de proximité, qui favorise le lien direct entre le Saint-Laurent et la table. Pour les autres produits, ils privilégient l’approvisionnement québécois et néo-brunswickois. Leurs propres captures donnent une belle idée de la saisonnalité: crevette nordique (cuite à bord du bateau), crabe des neiges, homard, flétan de l’Atlantique et poisson de fond, pétoncle, thon, tous annoncés en grandes pompes sur les réseaux sociaux. 

Les Desbois innovent. Ils ont compris que les consommateurs ne désirent pas que du poisson ou des crustacés, mais des espèces locales et les histoires qui viennent avec. Myriam affirme que les mentalités sont en train de changer. Bertrand complète, quelque part au milieu du fleuve, avant que je perde la communication: «En mer, si tu veux que ça marche, c’est plus facile d’aller avec le courant! Dans la vie aussi c’est pas mal ça!»


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