Derrière l’œil du drone - Caribou

Derrière l’œil du drone

Publié le

24 octobre 2022

Texte de

Véronique Leduc

Photos de

Mériol Lehmann

Les images de l’artiste Mériol Lehmann frappent l’imaginaire et font voir le territoire nourricier québécois d’un œil nouveau. Ce n’est pas pour rien que l’équipe de Caribou a donné toute la place à ses photos prises avec un drone dans le projet artistique de son numéro à propos du CLIMAT, en plus de choisir une de ses œuvres pour la page couverture de cette édition. Rencontre avec un artiste curieux et engagé.
Les images de l’artiste Mériol Lehmann frappent l’imaginaire et font voir le territoire nourricier québécois d’un œil nouveau. Ce n’est pas pour rien que l’équipe de Caribou a donné toute la place à ses photos prises avec un drone dans le projet artistique de son numéro à propos du CLIMAT, en plus de choisir une de ses œuvres pour la page couverture de cette édition. Rencontre avec un artiste curieux et engagé.
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D’où te vient cet intérêt pour le territoire?

Je suis d’origine suisse et je suis arrivé au Québec quand j’avais 10 ans, il y a de cela presque 40 ans. Déjà, enfant, je me suis beaucoup intéressé à l’histoire et à la géographie du Québec, comme si j’avais besoin de comprendre ce nouveau monde dans lequel j’étais arrivé. Ça ne m’a jamais quitté. Ma démarche artistique est intimement liée à mon statut d’immigré.

Et cette idée de photographier le territoire agricole?

À mon avis, on présente encore beaucoup l’agriculture comme étant bucolique et pittoresque alors qu’au fond, de nos jours, elle est surtout ancrée dans le productivisme, c’est-à-dire dans l’idée de produire des aliments en quantité et à prix raisonnable. Je trouve qu’on est dans la négation de ce qu’est devenue l’agriculture, comme si on était resté accroché au passé. J’ai eu envie de présenter le «clash» entre la représentation de la ruralité et sa réalité. 

climat
arbres, chemin saint-jaques, saint-pierre

Selon moi, nos images de la ruralité sont dictées par le monde agroalimentaire qui a des choses à vendre et qui montre aux urbains ce qu’ils veulent bien voir. Ça explique qu’on navigue dans les clichés quand il est question d’agriculture. Je trouve important d’aller au-delà de ces clichés dans lesquels beaucoup d’agriculteurs ne se reconnaissent pas.

D’ailleurs, je fais une collaboration depuis 2018 avec un producteur de grandes cultures bio de Lanaudière. Il cultive avec des moyens technologiques très avancés qui sont bien éloignés de ce qu’on met de l’avant lorsqu’on parle d’agriculture biologique.

Il n’y a jamais d’humains sur tes photos. Pourquoi?

Il n’y a en effet presque jamais d’humains et pourtant, je m’intéresse principalement aux liens qui existent entre l’humain et l’espace géographique qu’il occupe. Depuis quelques années, mon travail porte plus précisément sur la ruralité. Je m’intéresse à la manière dont elle se métamorphose à cause des humains, et j’espère offrir une vision proche du vécu des gens qui occupent ces territoires.

On voit très rarement des êtres humains sur mes photos mais toutes mes images montrent des traces de l’humain. Alors au final, l’humain est tout de même omniprésent dans mon œuvre et c’est cette influence qu’il exerce sur son territoire qui m’intéresse.

Pourquoi travailler avec un drone?

Ça fait environ deux ans que j’ai commencé à faire de la photo avec un drone. Je m’intéresse à la topographie alors naturellement, quand il s’est mis à y avoir des drones commerciaux, j’ai été attiré par cette vision qui permet de mieux voir un territoire de haut. Je voulais aller chercher un point de vue qu’on n’a pas l’habitude de voir. Une vue d’oiseau. De haut, des lieux qu’on pense très bien connaitre ne ressemblent souvent pas à ce qu’on s’était imaginé. J’avais envie que mes photos disent: «Vous pensez que vous connaissez ces lieux, mais regardez tout ce qu’on y voit. Les connaissiez-vous vraiment?»

En tant qu’artiste visuel, quel est ton lien avec les saisons?

Je suis fils et petit-fils d’agriculteurs et quand on est agriculteur, on a un lien très fort avec les saisons parce que le rythme de vie change au fil de l’année. Je suis resté très proche de ça grâce à mes ancêtres. Je vis à Montréal mais je vais encore régulièrement sur la ferme familiale au Lac-Saint-Jean.

saisons
labours, rang saint-henri, saint-pierre-de-véronne-à-pike-river

La photographie avec drone met très clairement en relief cette différence entre les saisons. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je trouve que l’été, c’est la saison la plus difficile pour travailler à cause de la lumière qui est très forte en journée et qui créé des ombres longues en soirée. L’espace temps pour faire des photos intéressantes l’été est donc très court. Ma saison préférée, c’est l’automne à cause de la variété de couleurs, bien sûr, mais aussi à cause de la lumière riche. Il y a également moyen de travailler l’hiver avec le drone, même par temps froid, et ça offre de belles possibilités.

Je suis attaché aux saisons et ça permet des photos très différentes, des nuances fascinantes. J’aime aller dans les mêmes lieux à différentes saisons pour avoir des photos qui permettent de comparer les paysages.

Comme tu ne peux pas prévoir quelle sera la vue de haut, quelle est ta façon de travailler avec le drone?

Dans la photographie classique, on voit tout de suite ce qu’on va photographier alors que là, il y a un peu plus de travail de préparation. Je fais beaucoup de route et j’observe. Puis, je vais regarder des images satellite d’une région ou d’un emplacement que j’ai remarqué pour voir si des éléments pourraient être intéressants. Mais je me laisse surprendre: ce qu’on dit d’un artiste, c’est qu’il voit les choses différemment. C’est pourquoi j’apprends à ouvrir l’œil. Et à me laisser porter par des éléments qui n’étaient pas mon objectif premier.

Est-ce que tu donnes un titre à chacune de tes photos? 

Oui! Pour moi, le titre est une partie de l’œuvre parce que ça permet de la localiser. Ça fait partie de mon travail de donner des titres qui évoquent la route, le mouvement, le territoire. Dans mes titres, il y a donc toujours une description sommaire, le nom de la rue ou du rang et le nom du lieu (si possible de l’ancien patronyme pour illustrer un lieu plus petit). J’utilise aussi toujours des minuscules pour l'ensemble du titre. Pour moi, les majuscules, ça veut dire que l’humain qui a donné ce nom à l’endroit a préséance sur le lieu lui-même. Les minuscules, c’est donc pour moi une façon de mettre nature et culture sur un pied d’égalité au lieu d’avoir toujours cette domination de l’être humain sur la nature qu’il occupe.


Pour voir le travail de Mériol Lehmann, rendez-vous sur www.mlehmann.ca
Pour voir le projet artistique de Mériol Lehmann en lien avec le Climat, procurez-vous-le.

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