Charles-Henri de Coussergues: 40 ans à confondre les sceptiques
Publié le
30 juin 2022
Texte de
Benoit Valois-Nadeau
Photos de
DAPH & NICO, archives Caribou
Le parcours de Charles-Henri de Coussergues se confond avec celui du vignoble québécois. Arrivé au pays au début des années 1980, alors que le vin québécois n’en était qu’à ses premiers balbutiements, le Français amenait dans ses bagages un diplôme en viticulture-œnologie, mais aussi l’expérience d’une famille vigneronne depuis quatre générations.
Dans ce nouveau monde vinicole où tout restait à faire, le jeune homme de 22 ans avait un rêve: non seulement faire pousser des raisins (et des bons) sur une terre réputée hostile, mais aussi vendre ses produits directement aux clients, sans intermédiaire. Quarante ans plus tard, on peut dire que son rêve est devenu réalité, et même plus.
Premier de classe
Véritable modèle de stabilité, l’Orpailleur est entre les mains des mêmes quatre partenaires, dont Charles-Henri, depuis la plantation des premières vignes à Dunham, en Estrie, en 1982. C’est aujourd’hui le plus grand vignoble québécois avec 40 hectares de vigne et 300 000 bouteilles par année. Il fut aussi le premier à voir ses bouteilles atterrir sur les tablettes de la SAQ en 1996, en plus de devenir un incontournable sur la route du tourisme gourmand.
On est maintenant loin des premières dégustations organisées en 1985, trois ans après la plantation des premières vignes, dans un garage de Dunham, avec «deux barriques posées sur une planche de plywood recouverte d’une nappe en plastique»!
«J’ai rapidement été dépassé par le nombre de gens présents, se souvient avec le sourire le vigneron aujourd’hui âgé de 62 ans. Tellement que j’ai dû appeler des voisins en renfort!»
Si l’intérêt des consommateurs était présent dès le départ, il aura fallu se retrousser les manches pour faire durer ce projet, qui, à l’époque, paraissait un peu fou.
«On a fait face à énormément de scepticisme sur la pérennité de notre industrie et la qualité de nos produits, se rappelle le vigneron. On nous disait qu’on n’avait pas le climat pour ça, que ce ne serait qu’une mode passagère. D’autres faisaient un X sur le vin québécois parce qu’ils avaient gouté un vin qu’ils n’avaient pas aimé. Quand je rencontrais les restaurateurs pour présenter mes produits, j’étais souvent reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Et les gens du ministère du Tourisme sourcillaient quand on leur disait qu’on voulait amener des citadins en campagne visiter nos installations. On confond les sceptiques depuis 40 ans!»
De tous les combats
En plus de participer à la naissance de l’Orpailleur et de faire prospérer le vignoble, Charles-Henri aura été de tous les combats pour que le travail des artisans de la province atterrisse enfin sur la table des consommateurs d’ici. Ventes en SAQ (1996), en restaurant (1998), en épicerie (2016), adoption d’une indication géographique protégée (2018): autant de normes qui semblent aujourd’hui évidentes, mais pour lesquelles Charles-Henri, avec ses collègues, a travaillé d’arrache-pied auprès du gouvernement.
Infatigable travailleur, il a aussi participé à la fondation de l’Association des vignerons du Québec (devenu depuis le Conseil des vins du Québec), en plus d’en être le président de 2008 à 2016. Aujourd’hui, il est président de l’Association de l’Agrotourisme et du Tourisme Gourmand du Québec.
«Des cinq premiers permis attribués pour produire et vendre du vin de façon commerciale en 1985, il ne reste que deux entreprises en activité: le Domaine des Côtes d’Ardoise et nous. Le domaine de la vigne, c’est très bucolique. Mais les gens ne voient pas nécessairement les longues heures de travail derrière. C’est du long terme, la vigne. Il faut être passionné, mais aussi patient.»
Ce quarantième anniversaire est d’autant plus significatif pour la famille de l’Orpailleur qu’il survient alors que les vins québécois sont populaires comme jamais.
«Ça arrive dans un contexte qu’on a longtemps espéré, où la demande est beaucoup plus forte que l’offre. Partout où je vais, il y a des oreilles attentives qui veulent en savoir plus sur mes vins», constate le viticulteur.
Cet engouement, il l’attribue en grande partie au travail de la confrérie des vignerons québécois.
«On a fait évoluer cette industrie en échangeant nos bons et nos mauvais coups sur la culture, le choix des cépages, la vinification, la protection hivernale, etc. Les vins d’aujourd’hui ne sont plus ceux qu’on faisait à l’époque, à l’Orpailleur comme ailleurs au Québec.»
Celui qui agit également comme mentor pour des vignobles en démarrage peut ainsi envisager l’avenir avec optimisme. Non seulement la relève de l’Orpailleur est assurée (deux de ses filles et un de ses gendres ont intégré l’entreprise), mais l’avenir du milieu vinicole québécois s’annonce également très prometteur.
«Les projets qui démarrent aujourd’hui sont beaucoup plus planifiés et travaillés qu’à une certaine époque où les gens ne savaient même pas quels cépages planter. Aujourd’hui, on a affaire à des gens plus préparés, sans que ce soit nécessairement des professionnels de l’agriculture. Ils savent aussi que des gens sont passés avant eux, et utilisent leur savoir pour éviter de répéter les erreurs du passé. Ça fait plaisir à voir.»
Si l’Orpailleur et la viniculture québécoise ont trouvé leur erre d’aller, pas question pour Charles-Henri de Coussergues de songer à la retraite pour autant.
«Mon défi pour les prochaines années, c’est de savoir laisser la place aux jeunes, tout en leur transmettant mon savoir. Je veux aussi me libérer de l’administration pour retourner aux sources et faire ce que j’aime: rencontrer les gens et travailler dans les champs.»
«Gilles Vigneault [qui a donné son nom à l’Orpailleur] nous a déjà dit que son souhait était de mourir avec un micro dans les mains. Moi, je veux mourir avec un sécateur dans les mains, dans mes vignes! dit le vigneron en riant. J’ai tellement de plaisir. Depuis 40 ans, il n’y pas eu un matin, même dans les années plus difficiles, où je suis allé au travail de reculons. Je ne vois pas le moment où j’arrêterai.»