La proximité au menu selon Julie Aubé - Caribou

La proximité au menu selon Julie Aubé

Publié le

16 juin 2020

Texte de

Audrey Lavoie

L’alimentation locale, la nutritionniste Julie Aubé en a fait le cœur de son travail, voire de sa vie. On la connaît pour ses collaborations à Caribou, mais surtout pour ses évènements Prenez le champ!, qui nous amènent directement à la ferme à la rencontre des producteurs et de leurs produits. Pour elle, manger n’est pas anodin et prend tout son sens quand on «mange près». Dans son plus récent livre, Mangez local!, elle explique sa vision de l’alimentation, en plus de proposer aux mangeurs des solutions concrètes pour manger des aliments d’ici toute l’année sans se casser la tête.
L’alimentation locale, la nutritionniste Julie Aubé en a fait le cœur de son travail, voire de sa vie. On la connaît pour ses collaborations à Caribou, mais surtout pour ses évènements Prenez le champ!, qui nous amènent directement à la ferme à la rencontre des producteurs et de leurs produits. Pour elle, manger n’est pas anodin et prend tout son sens quand on «mange près». Dans son plus récent livre, Mangez local!, elle explique sa vision de l’alimentation, en plus de proposer aux mangeurs des solutions concrètes pour manger des aliments d’ici toute l’année sans se casser la tête.
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Plus grand que la panse

— Dans ton livre, tu utilises le terme «manger près» plutôt que manger local. Pour toi, où est la distinction?

Manger près, c’est comme une précision supplémentaire que j’ajoute à l’idée de manger local, qui est comme la grande idée fondatrice. Manger local, ça se réfère à un aspect plus géographique. Pour certains, manger local ça va être de s’approvisionner dans leur région, pour d’autres c’est de manger des produits du Québec. L’idée de manger près implique plusieurs volets, qui ne sont pas que du kilométrage. C’est la proximité avec la nature. C’est de savoir d’où viennent nos aliments, par qui ils ont été produits et de quelle façon. C’est aussi la proximité des aliments avec leur propre nature, donc des aliments peu transformés, qui ne sont pas dénaturés.  Et finalement, c’est la proximité affective avec les gens qui ont produit les aliments, avec le territoire. D’apprendre à aimer nos saisons, nos aliments, les gens qui les ont produits fait qu’on mange avec gratitude. Plus rien n’est anodin dans notre alimentation parce que plus rien n’est anonyme quand on peut associer des histoires, des paysages, des villages à nos aliments. Ça change notre rapport à l’alimentation parce que ça devient précieux.

— J’ai l’impression que ton livre trouve toute sa pertinence entre autres parce que cette démarche que tu expliques dans ton livre, tu l’as vécue. Tu es passée par ce chemin-là…

Tout à fait. Je suis tombée en amour avec les agriculteurs, l’agriculture durable, le territoire agricole nourricier. Je veux mettre de la proximité dans chacun de mes repas, donc je m’approvisionne par toutes les façons qui sont proposées dans le livre: je vais dans les marchés, je commande des paniers, je visite les kiosques à la ferme, etc. Mais ça prend des petits trucs pour gérer du volume et j’en ai développés plusieurs au fil des années. À un certain moment de l’année, tu as les laitues, les épinards, le kale et en plus, les fanes de betteraves, de radis, de carottes… ça en fait de la verdure! Les gens qui ont des paniers bios vont tous un jour ou l’autre vivre la culpabilité d’avoir beaucoup d’un légume au même moment. C’est ça la nature: il y a des petits pics de récoltes à certains moments et c’est le temps de les célébrer frais, quand c’est la période, et de bien valoriser ces aliments-là pour en profiter tout au long de l’année. Pendant six mois, c’est le temps de manger les aliments frais quand c’est la saison et d’en faire des provisions, mais pendant les autres six mois, c’est le temps de les manger ces provisions-là, en complément des légumes d’hiver (les légumes de conservation comme les carottes, les pommes de terre, les betteraves, etc.). Le but, c’est d’arriver au mois d’avril d’après et de ne plus avoir de provisions, afin d’être prêts à recommencer à en faire de nouvelles.

«Dans mon livre, j'ai beaucoup axé sur les fruits et légumes parce que ce sont les aliments de proximité les plus passagers dans nos assiettes. Tout ce qui est viande, oeufs, produits laitiers, poissons, huiles, farines peuvent être trouvés en mode «manger près» à l’année.»
Julie Aubé

— Pour monsieur et madame tout-le-monde, qui n’est pas du tout dans ce processus, que conseillerais-tu de faire pour commencer à «manger plus près»?

Plutôt que de partir d’une recette et d’aller acheter les produits dont on a besoin pour la cuisiner, je propose de faire l’inverse. Ma proposition c’est de partir du produit qui est de saison et de chercher des recettes qui nous inspirent avec ce produit-là. En mettant le produit comme point de départ, on s’assure que la vedette de notre repas sera un produit local de saison. Par exemple, on choisit l’asperge et on cherche des recettes pour la mettre en valeur: une quiche, une salade, un potage… En tapant «asperge» dans un moteur de recherche, ce n’est pas l’inspiration qui manque pour les cuisiner.

— Es-tu locavore à 100%?

Il y a des aliments que je ne peux pas remplacer. Par exemple, le café. Et je ne couperai pas le café parce que ce n’est pas un aliment qui pousse ici. Même chose pour le chocolat ou le beurre d’arachides. Ça fait partie du plaisir de manger et je ne peux pas les remplacer. Est-ce que c’est nécessaire de manger 100% local? Non. Le but c’est de partir de son point de départ à soi et de faire des pas vers plus de proximité au menu. Moi, je suis rendue loin dans le processus parce que ça fait plusieurs années que je fais des pas dans cette direction, mais je ne vise pas de toujours manger 100% local.

— Ton livre est construit de façon à profiter des fruits et des légumes de saison, à les valoriser, à les transformer pour en avoir à l’année. Le mot clé pour manger local à l’année, est-ce que c’est «planification»?

Ça serait un des mots, certainement. Et je donne plein de trucs dans mon livre pour arriver à manger local à l’année en s’organisant. Mais un autre serait aussi «approvisionnement». Il faut accepter qu’on ne fera pas 100% de nos courses dans un lieu d’achat. On devra peut-être aller dans un kiosque à la ferme, dans un marché public, avoir une formule de panier et passer à l’épicerie pour chercher ce qui nous manque. Mais, ce n’est pas obligé d’être long et fastidieux. On peut aussi transformer son approvisionnement en activité grâce à l’agrotourisme. Cet été, on va rester au Québec et les champs sont des espaces parfaits où l’on peut être à deux mètres de distance!

«Il y a des gens qui vont associer le fait de manger local aux petits produits fins. Mais ce n'est pas juste ça. Manger des courges et des betteraves locales, c'est «manger près».»
Julie Aubé

— Ton livre sort à un moment où l’achat local est très en vogue, alors que le premier ministre Legault a exhorté les Québécois à se tourner vers l’achat local pour encourager les entreprises d’ici. Or, le message a été récupéré par plusieurs et les initiatives à la «panier bleu» se sont multipliées. Toi qui parle de ça depuis plusieurs années, comment trouves-tu ce changement de cap?

Je dis les mêmes choses que j’ai toujours dites. Maintenant, si j’ai une oreille plus attentive de la part des gens vu le contexte, je pense qu’il faut le voir comme quelque chose de positif. Mon souhait le plus grand, c’est que ça reste. Je ne souhaiterais pas qu’il y ait un retour au point exact où on était avant [la pandémie]. L’invitation que je lance maintenant c’est de transformer les réflexions et les motivations en gestes concrets. Ça adonne que le livre Mangez local! sort maintenant donc il peut devenir un outil d’accompagnement pour toute personne motivée à mettre plus de proximité à son menu.

Mangez local! – Recettes et techniques de conservation pour suivre le rythme des saisons
Les Éditions de l’Homme
En librairie

29,95$

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