Je rêve du jour où on entendra, de la bouche même de ceux et celles qui vont en mer ou qui transforment, décrire une saveur. Où on saura faire la différence entre les captures de début, de milieu et de fin de saison. Où on se préoccupera davantage des mangeurs d’ici en s’adaptant au marché local. Ce jour-là, on aura réussi à faire parler le Saint-Laurent comme on sait aujourd’hui faire parler la terre.
Et ce jour-là, on aura peut-être enfin compris que, malgré les effondrements de stocks, les moratoires, les erreurs de part et d’autre, nous avons une chance inouïe de pouvoir consommer des espèces sauvages, puisées dans le Saint-Laurent. Une chance qui nous impose de multiples précautions et qui nous oblige à, non pas adapter la pêche à la demande, mais plutôt adapter la demande à la pêche. En fonction des débarquements et des saisons.
Depuis 2010, des homardiers gaspésiens nous permettent de découvrir le pêcheur qui se cache derrière le festin, grâce à un identifiant fixé au crustacé. Pour O’Neil Cloutier, le président du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie: «Il y a une complicité qui s’établit entre celui qui pêche et celui qui consomme».
Sur la Côte-Nord, les Innus viennent tout juste de lancer leur marque de commerce. Keshken («première vague», en langue innue), assurera l’acheteur de l’authenticité autochtone du produit, des retombées engendrées dans les communautés, de l’application de cahiers des charges régissant la qualité et la traçabilité. Annie Gallant, la responsable de la recherche et du développement de l’Agence Mamu Innu Kaikusseht (AMIK), affirme fièrement que le grand objectif est «d’humaniser le métier de pêcheur».
Alors que le retour du sébaste s’annonce et, peut-être à moyen terme, une reprise prudente de la pêche à la morue, que les stocks de flétan de l’Atlantique et du Groenland (turbot) ont repris du mieux, qu’on apprend petit à petit la différence entre la mactre de Stimpson et celle de l’Atlantique, qu’on découvre algues et huîtres locales, il est temps de se relever les manches pour valoriser, à sa juste mesure, cette immensité marine en manque d’interprètes. Faut-il parler de merroir? De terroir maritime? Il y a des mots à inventer, des fêtes à imaginer, des produits transformés à développer, des espèces à découvrir et surtout, des hommes et des femmes à connaître et à mettre en valeur pour qu’enfin, on s’approprie le Saint-Laurent. Jusque dans sa démesure.