«La chasse interdite»: à la recherche du caribou perdu
Publié le
25 novembre 2024
Texte de
Benoit Valois-Nadeau
Photos de
Nicolas Lachapelle
La chasse interdite, qui prend la forme d’un documentaire sonore et d’un livre, relate la chance incroyable qu’a eu le jeune réalisateur d’être invité à participer à une chasse traditionnelle au plus profond du territoire innu, à la frontière entre le Québec et le Labrador.
Parti en motoneige du village de Pakua Shipi, sur la Basse-Côte-Nord, en compagnie de chasseurs d’expérience, Nicolas Lachapelle, équipé de son micro, a documenté pendant des semaines cette chasse éreintante, à laquelle aucun Blanc n’avait participé depuis des décennies.
Au cœur de l’hiver 2021, la troupe a avalé des kilomètres de taïga pour trouver les traces d’atiku, dont la population est en déclin depuis des années. Selon les estimations, il reste au Québec environ 5000 caribous forestiers, une bête autrefois abondante qui a nourri et habillé les populations autochtones pendant des siècles.
L’animal est maintenant sur la liste des espèces désignées vulnérables au Québec et sa chasse est interdite dans la province, tout comme au Labrador voisin. Certaines communautés autochtones y ont renoncé alors que d’autres continuent de la pratiquer plus ou moins ouvertement.
L’expédition était donc nimbée d’une aura d’interdit. La présence constante des garde-chasses du Labrador, qui ont survolé les chasseurs à basse altitude en hélicoptère à quelques reprises, n’a pas manqué de le rappeler.
«Souvent on fait l’amalgame entre la chasse autochtone et la disparition du caribou, mais c’est de l’hypocrisie, soutient Nicolas Lachapelle en entrevue. Bien sûr, les autochtones ont un rôle à jouer dans la survie de l’espèce, mais la mauvaise santé de populations de caribous a beaucoup plus à voir avec l’exploitation forestière, l’activité industrielle, minière et hydroélectrique sur leur territoire. Si on veut vraiment protéger le caribou, protégeons le territoire du caribou.»
Trois ans après avoir participé à cette épopée boréale, pour laquelle il a d’ailleurs laissé tomber son poste de journaliste à Radio-Canada, le Nord-Côtier d’adoption n’a toujours pas d’idée arrêtée sur la chasse au caribou. Il souhaite avant tout apporter un éclairage nouveau sur la question.
«Ce projet suit mon raisonnement, les questions que je me pose. Je ne peux pas de toute manière me faire le porte-parole des Innus, ce serait mal venu de voir mon rôle comme ça. C’est compliqué comme dossier, je ne l’ai pas abordé comme un journaliste, mais comme un témoin qui réfléchit à voix haute. Je n’ai pas de conclusion définitive, mais je voulais apporter une nuance dans le discours public.»
Celui qui est aussi cinéaste veut également souligner l’importance de cette pratique pour les Innus, pour qui le caribou est à la fois un animal nourricier et sacré.
«C’est une tragédie d’une manière ou d’une autre pour les Innus, poursuit-il. Ils se retrouvent pris dans cette situation de merde alors qu’ils ont été les gardiens du caribou pendant des millénaires. En quelques années, on débarque, on détruit leur relation avec cet animal qui leur a permis de survivre pendant tout ce temps.»
L’importance culturelle du caribou est bien loin s’arrêter à la chasse, c’est aussi «la babiche, la peau des tambours traditionnels, les repas collectifs. C’est une grosse affaire qui a encore des répercussions plusieurs mois après la chasse.»
Ajoutons que le caribou, comme les autres gibiers des Innus, vient aussi remplir un rôle primordial dans l’alimentation de populations souvent isolées des grands centres. «La Basse-Côte-Nord et les réserves autochtones, ce sont un peu des déserts alimentaires», observe Nicolas Lachapelle.
Comme la nourriture arrive uniquement par bateau ou par avion, les aliments frais sont peu nombreux dans les petites épiceries de la région, à la différence des plats congelés et ultratransformés.
«La bouffe de bois» a évidemment un bien meilleur apport nutritif que tous les «Hungry-Man» et les «Michelina’s» de ce monde.
Territoire guérisseur
Nicolas Lachapelle insiste pour dire que La chasse interdite n’est pas qu’un documentaire sur le caribou, mais aussi à propos d’un territoire unique et sur les hommes qui le parcourt. Dans ce paysage immense, immortalisé grâce aux photos en noir et blanc qui accompagnent le livre, il a surtout rencontré des chasseurs qui partagent une relation intime avec la nature qui les entoure, une relation qui permet de renouer avec leurs aïeuls et le passé de leur communauté.
«Même si la quête de tuer un caribou est l’objectif premier, la chasse est aussi un prétexte pour visiter ce territoire et y être en famille et entre amis. Pour eux, c’est comme aller au cimetière: on visite le lac de sa grand-maman, la forêt de son grand-oncle, etc.»
Partir chasser «en haut» a ainsi des effets thérapeutiques, comme pour Norbert, qu’on rencontre au début du documentaire, endeuillé après le suicide de sa jeune fille.
«En montant vers le Nord, les soucis disparaissent à l’horizon. Les chasseurs se retrouvent avec leurs amis, leur famille, en petite gang. Le caractère de tout le monde s’ennoblit. On voit une espèce de transformation, qui fait du bien à tout le monde. Ils reconnectent avec une partie fondamentale de leur histoire.»
Trois ans après son périple, Nicolas Lachapelle est encore habité par les immensités qu’il a traversées.
«C’est tellement beau là-bas, on passe ses journées dans la beauté et la pureté. On respire mieux, on dort. Quelque chose de magique se passe en toi.»
Quelque chose de magique qu’il faudra bien protéger un jour.
Pour découvrir le projet La chasse interdite
- Le livre La chasse interdite, publié aux éditions du Noroît, sera en librairie le 26 novembre.
- Le documentaire sonore sera disponible dès le 3 décembre sur les plateformes d’écoute.
- Des séances d’écoute en compagnie du réalisateur sont prévues le 6 décembre au cinéma Beaumont, à Québec, et le 12 décembre au cinéma Moderne, à Montréal.