— Pourquoi ne pas opter pour démanteler la ferme dans ce cas?
Les producteurs agricoles travaillent sur des lieux où ils sont nés. Je me vois encore, petit bonhomme, sur la ferme où je vis aujourd’hui. J’ai un souvenir clair d’un moment en particulier auquel je repense souvent: mon grand-père marchait dans la neige et mon père, derrière lui, suivait ses traces et moi, je marchais dans les traces de mon père. C’est un moment symbolique pour moi. Maintenant, c’est mon garçon qui suit mes traces, mais avec ses façons à lui. Les agriculteurs ont tellement d’attachement à leur ferme!
— Depuis le moment où vous avez commencé à vous impliquer pour faire reconnaître le travail de gens comme vos parents, trouvez-vous que les choses ont changé?
Je remarque que les agriculteurs de la génération de mes parents ont combiné les emplois et ont travaillé très fort pour que ceux de ma génération aient des systèmes de mise en marché collectifs et de gestion de l’offre pour nous permettre de développer l’entreprise et d’aller chercher des revenus intéressants. Mais aujourd’hui, on arrive à la génération de mon garçon et ce que je vois, c’est que ça revient: les nouveaux agriculteurs doivent travailler à l’extérieur pour aller chercher suffisamment de revenus.
— Comment expliquer cette situation?
La mise en marché collective continue à aider certains secteurs parce que ça apporte une prévisibilité. Mais en même temps, ce modèle apporte un endettement. On fait aussi face à une problématique plus grande: celle de la compétition des produits alimentaires qui viennent d’ailleurs. Face à cette compétition inégale, les gouvernements ne font rien et continuent de gérer l’agriculture et l’agroalimentaire comme si c’était une business comme une autre. Mais ce n’est pas le cas: on parle ici de nourrir nos gens! Quand tu commences à laisser les biens alimentaires entre les mains des commerces, ça met à risque les peuples et les paysans qui sont dépossédés de leurs terres.
— Vous dénoncez publiquement cette compétition liée à l’importation. Pourquoi?
Certains secteurs, comme celui du lait par exemple, ont leur système qui aide à contrer la compétition, mais d’autres, comme les producteurs maraîchers sont à la merci des lois du commerce. Premièrement parce que ce sont des aliments périssables, mais aussi parce que si les commerces arrivent à avoir le même produit qui vient du Mexique, mais à un prix moindre, le producteur perd ses aliments. On travaille présentement pour ça: on parle de code des bonnes pratiques, comme de prendre des ententes à l’avance et de les respecter afin d’offrir une prévisibilité pour les producteurs.
— On explique souvent les prix plus bas des aliments venus d’ailleurs par les salaires et les conditions de travail qui sont différents. Est-ce qu’il y a d’autres causes?
On a au Québec des standards toujours plus élevés quand il est question d’agriculture. En parallèle, on augmente aussi les exigences administratives. Un de nos grands enjeux présentement, ce sont les frais imposés au niveau du propane et des carburants; on appelle ça des écofrais* qui vont dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques. On est les seuls producteurs agricoles au Canada à devoir payer ça. L’an passé par exemple, c’était 80 millions à payer. Pendant ce temps, les États-Unis ou l’Amérique du Sud n’ont pas ces normes-là et ne payent donc pas ces frais. Ces pays-là nous vendent des produits cultivés avec des pesticides qui sont bannis ici, ou dans des conditions environnementales moins respectueuses qu’au Québec, mais les négociations pour les échanges économiques se basent sur les produits finaux, pas sur les conditions dans lesquels ces produits sont cultivés.
En ajoutant ce genre de frais aux conditions de travail et aux salaires moindres dans d’autres pays, on comprend pourquoi les producteurs d’ici ne peuvent pas égaler les prix des produits importés. Pour le moment, la biodiversité, la transition écologique et la sécurité alimentaire du Québec reposent beaucoup sur les épaules des producteurs agricoles qui doivent en même temps se battre avec d’autres qui n’ont pas ces mêmes normes et proposer des produits au prix le plus bas possible. On ne peut plus continuer à s’endetter comme ça!
— Qu’attendez-vous du gouvernement par rapport à ça?
D’être plus cohérent. C’est bien d’avoir des exigences et de faire des choix auxquels on croit, mais dans ce cas, il faut aller jusqu’au bout et charger des frais pour les produits qui arrivent d’ailleurs. C’est un choix de société à faire!
Il y a un autre point par rapport à ces normes et exigences pour lequel je me bats. Moi, j’ai étudié pendant des années pour faire de l’agriculture, nos jeunes ont étudié et continuent à le faire pour se spécialiser, pourtant, c’est rendu qu’il y a plusieurs personnes qui viennent nous dire quoi faire sur nos terres et dans nos entreprises agricoles. Mais au quotidien, c’est moi qui pose les gestes sur ma terre, c’est moi qui la connais mieux que personne. Cette pression-là, de devoir faire des suivis auprès de gens qui n’ont pas la vue d’ensemble de l’entreprise agricole, c’est très lourd! Moi, je ne fais pas qu’occuper le territoire, j’habite le territoire et la santé de ma terre, c’est primordial pour moi parce que si je la transfère à mon garçon, je veux qu’elle soit en bonne santé. C’est la même chose pour les animaux. Présentement, il y a trop de gens de l’extérieur qui rajoutent des normes, pas pour mal faire, mais par méconnaissance. Ils pensent qu’en posant telle action, ça va être bon, mais ce n’est pas toujours le cas: il y a tout un système écologique à comprendre et à respecter avant de poser des gestes.
En plus, pour assurer qu’ils répondent à ces normes, les agriculteurs ont tellement de paperasse à remplir! Ça prend du temps, ils sont à bout de souffle et ça leur donne l’impression qu’on ne leur fait pas confiance! Pendant ce temps, il y a des multinationales qui envoient des produits toxiques dans nos cours d’eau sans qu’on leur impose de normes. C’est deux poids deux mesures. Sauver la planète, ça n’est pas juste la responsabilité des agriculteurs!
Ce ne sont que des exemples, mais il y a beaucoup d’autres incohérences dans la gestion de l’agriculture au Québec…