La pomme de terre est un aliment emblématique d’ici. Voici son histoire québécoise en accéléré.
Texte de Bernard Lavallée
Dans son Traité sur la culture et les usages des pommes de terre, de la patate et du topinambour, le pharmacien et agronome Antoine Augustin Parmentier vante les mérites de la pomme de terre. Selon lui, cette plante dédaignée des Européens pourrait sauver le peuple des famines meurtrières qui sont monnaie courante à l’époque. Il y explique son stratagème, qui sera à l’origine de la popularisation de la pomme de terre sur le Vieux Continent. Il suggère aux seigneurs et aux curés de cultiver la pomme de terre à la vue de tous, mais de défendre l’entrée aux jardins et de servir cet aliment comme s’il s’agissait d’un mets précieux. Une fois la curiosité des vassaux et des paroissiens piquée, les potagers sont laissés sans surveillance afin que ceux- ci puissent aller y « voler » les plantes.
Pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), le dernier intendant de la Nouvelle-France, François Bigot, tente de populariser la culture de la pomme de terre sur le Nouveau Continent, mais cette tentative se solde par un échec. Les colons ne semblent pas en apprécier le goût. Le tubercule est toutefois introduit avec succès en 1764, soit juste après le passage de la Nouvelle- France aux mains des Britanniques. La pomme de terre gagnera d’abord Québec, puis Montréal. L’arrivée de ce légume fait d’ailleurs chuter la consommation de pain de telle façon qu’en 1821 on en mange la moitié moins qu’au début du 18e siècle. Dans La cuisinière canadienne, le premier livre de recettes du pays en langue française, paru en 1840, on la cuisine bouillie, en ragoût ou dans un pâté.
À cette époque, les familles québécoises habitant en ville et à la campagne possèdent prati- quement toutes un jardin potager où la pomme de terre est reine. Quelles variétés y sont culti- vées? Là est le grand mystère...
Tenter de retracer les variétés du patrimoine – celles qui étaient cultivées il y a plus de 100 ans – n’est pas une tâche facile, d’autant plus que les variétés n’ont pas de nom, mais sont habituellement désignées par leur forme ou leur couleur. Antoine Augustin Parmentier, dans son traité, nomme d’ailleurs les variétés ainsi : grosse blanche tachée de rouge, blanche-longue, jaunâtre-ronde aplatie, rouge-ronde, rouge-longue, petite blanche...
À la recherche de la patate perdue
Avec l’industrialisation du système agroalimentaire, des centaines de variétés de fruits et de légumes se sont perdues parce qu’elles ne correspondaient plus aux nouveaux critères de production de l’industrie. La pomme de terre ne fait pas exception.
Malgré tout, grâce au travail de passionnés de la pomme de terre, il est possible de mettre la main sur certaines variétés patrimoniales qui étaient cultivées et consommées par les Québécois il y a plus de 100 ans (voir les points de vente sur le site seeds.ca). En voici quatre:
LA CROTTE D’OURS
Originaire de la région de Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent, la crotte d’ours est une variété qui a refait surface au Centre de recherches sur la pomme de terre, un organisme fédéral situé au Nouveau-Brunswick, en 2000, grâce à Antoine D’Avignon, un précurseur de la culture de végétaux du patrimoine au Québec. Il avait obtenu ce tubercule de Louis-Marie Ouellet, né en 1920, qui le tenait de son grand-père. Sa peau est violet pâle et sa chair est blanche. Elle est nommée d’après sa forme caractéristique. Elle fait d’excellentes frites ou se mange grillée.
LA PATATE BLEUE DES ÎLES
Affectueusement nommée ainsi par Lyne Bellemare, de l’organisme cana- dien Semences du patrimoine, cette pomme de terre à la peau bleue et à la chair blanche est bien connue des Madelinots qui la désignent simplement comme la «patate bleue». Elle serait cultivée depuis près de 100 ans dans les potagers des Îles-de-la-Madeleine. Or, nul ne connaît ses vraies racines. Elle partage toutefois une forte ressemblance avec l’Arran Victory, une variété britannique nommée en 1918 pour célébrer la fin de la Première Guerre mondiale. Elle est traditionnellement bouillie avec sa pelure dans de l’eau salée et consommée avec des poissons comme le hareng ou le maquereau.
LA MONTAGNE VERTE
C’est dans la seconde moitié du 19e siècle que cette pomme de terre est introduite aux États-Unis dans le but de contrecarrer l’épidémie de mildiou, une maladie qui fait des ravages dans les champs. En 1908, 90% des superficies cultivées réservées à la pomme de terre au Québec étaient occupées par la montagne verte. En 1955, c’était encore 75% de ces terres qui lui étaient réservées. Mais la variété disparaît peu à peu, car on lui trouve des remplaçantes mieux adaptées aux réalités industrielles. Elle se prête bien à toutes les méthodes de préparation.
LA MARC WARSHAW’S QUEBEC
Cette pomme de terre porte le nom de celui qui l’a sauvée de l’extinction en 1997 après l’avoir reçue d’un agriculteur de Buckland, une municipalité située dans la région Chaudière-Appalaches. Son véritable nom n’a jamais été retrouvé. Elle est de forme longue et ovale. Sa peau ocre aux taches rose vif foncées en fait un spécimen particulier. Elle se mange bouillie.