Quand une pomme révolutionne le monde cidricole
Publié le
28 avril 2022
C’est sans grand bruit que l’industrie du cidre québécois vit actuellement deux révolutions, une au niveau de la fermentation, l’autre, de la matière première. En effet, c’est l’avènement des audacieux cidres fermiers, bruts et non filtrés, ainsi que celui de la pomme à cidre. De quoi amener le cidre, cette boisson longtemps associée au fameux cidre de glace ou à un jus de pomme alcoolisé, «à un tout autre niveau, à la hauteur des meilleurs vins québécois», affirment plusieurs cidriculteurs, dont Marc-Antoine Arsenault-Chiasson de la Ferme Cidricole Équinoxe.
Texte de Virginie Landry
Les deux se passent en même temps: les cidriculteurs adoptent la pomme à cidre, un fruit plus goûteux et riche en tanins que la pomme à croquer, puis la transforment en cidres qui mixent les codes brassicoles et vinicoles, à la manière des cidres anglais, qui eux utilisent la pomme à cidre depuis longtemps.
Quand le cidre se prend pour un vin
La pomme à cidre, dont il existe des dizaines et des dizaines de variétés, telles la Rubinette, la Belle de Boskoop, la Chestnut Crab ou la Reine des Reinettes, peut être comparée aux cépages du vin, c’est-à-dire des variétés de vignes ayant toutes des profils aromatiques particuliers. Si elle n’est pas bonne à manger telle quelle, la pomme à cidre est excellente lorsque transformée en alcool. Le jus de pomme à cidre est fermenté à l’aide de levures, tout comme le moût de raisin est vinifié.
Ce sont les tanins, ces composants naturels qu’on retrouve principalement dans la peau des raisins à vin ou de la pomme à cidre, mais qui sont présents en moins grande quantité dans les pommes à croquer, qui vont amener le cidre à jouer dans la cour des grands.
«La sensation en bouche d’un cidre fait avec la pomme à cidre est différente, explique Antoine Bernard-Laberge de la Cidrerie Milton. Les tannins apportent beaucoup de corps et de structure. Ils permettent aussi de transporter les arômes plus longuement en bouche, d’une façon plus vive aussi.»
La pomme à cidre permet de faire des cidres plus alcoolisés, en raison de sa teneur en sucre qui peut être assez élevée. On peut voir des cidres à 9%, contrairement aux taux environnant les 5,5% de ce qu’on voit habituellement sur les tablettes. Ces cidres se consomment bien à l’apéro, mais peuvent être servis au souper pour accompagner le repas, tel un vin, et ce, sans aucun complexe.
«Il faut affirmer l’identité du cidre, qui joue souvent dans la cour des bières microbrassées de par sa confection artisanale et des vins nature de par son procédé de fabrication. Les pommes à cidre vont nous permettre de faire ça», déclare avec beaucoup d’assurance Marc-Antoine Arsenault-Chiasson.
Pourquoi maintenant, et pas avant?
Même si on en a peu souvent entendu parler, la pomme à cidre est cultivée au Québec depuis plusieurs années. D’après les cidriculteurs, elle commence à se faire un nom parce que l’industrie du cidre est mûre pour ça, et ne l’était peut-être pas avant.
Et puis, plus les Québécois consomment du cidre, plus les cidriculteurs ont de l’argent pour faire de la recherche et du développement... et donc de passer du temps à expérimenter avec la fameuse pomme à cidre.
À la cidrerie Michel Jodoin, à Rougemont, on produit depuis 30 ans déjà la Geneva, une pomme à cidre astringente à la chaire rouge qui donne un cidre d’une belle couleur rosée. À la Cidrerie Milton, à Sainte-Cécile-de-Milton, les premiers pommiers à cidre ont été plantés au début des années 2000.
«On croit en ces pommes-là depuis 20 ans déjà. Cependant, pour avoir une production intéressante de pommes à cidre, il faut attendre au moins 12 à 15 ans. Les arbres ne sont pas très productifs les premières années.»
Antoine Bernard-Laberge
Chez Milton, on retrouve en ce moment 51 variétés de pommes, dont un peu plus d’une dizaine sont des pommes à croquer. Le reste, c’est de la pomme à cidre. «On a une parcelle expérimentale où on essaie toutes sortes de variétés. On veut voir comment elles réagissent au climat. Ça nous fait chaque année une belle cuvée de cidre, qui s’appelle justement la Parcelle. Elle est différente chaque année.»
Du côté de Michel Jodoin, il avoue que c’est son fils, Philippe, qui fait partie de la relève de l’entreprise, qui a fortement envie d’amener la production ailleurs et de miser encore plus sur la pomme à cidre. «Il trippe sur ces variétés de pomme. Il a le goût de développer des cidres non filtrés, nature, d’aller vers le bio. L’engouement des consommateurs est là, donc on y va aussi», déclare-t-il.
À la Ferme Cidricole Équinoxe, située à Farnham, c’est 1100 arbres de pommes à cidre qui seront plantés au printemps 2022. Les premiers fruits pourront être récoltés dans trois ou quatre ans. De quoi continuer d’alimenter leur gamme de cidres fermiers, offerte depuis 2021.
Oser boire, oser découvrir
Tous l’avouent: le grand défi des cidriculteurs reste de redorer l’image du cidre et faire comprendre aux consommateurs qu’au Québec, on sait faire quelque chose de très spécial avec la pomme, et encore plus avec la pomme à cidre.
Michel Jodoin est catégorique: «Au Québec, les gens ont soif de cidres plus bruts, moins sucrés.» Ce que la pomme à cidre sera capable d’offrir.
«Ce qui est l’fun avec le cidre, c’est qu’il est léger et naturellement effervescent, rajoute Antoine Bernard-Laberge. Il est moins lourd qu’une bière et moins alcoolisé qu’un vin. C’est le parfait entredeux.»
Il faut maintenant convaincre les consommateurs, ceux qui aiment les bières microbrassées, les vins québécois et les alcools artisanaux, de glisser une bouteille de cidre traditionnel dans leur panier à leur épicerie fine de quartier, ou de commander un verre de cidre fermier au resto, plutôt qu’un merlot ou un pinot grigio.
L’agrotourisme fait aussi partie de la solution: visiter les producteurs et leurs vergers permet d’ouvrir ses horizons et de comprendre d’où vient le produit et comment il est fabriqué. Au printemps, les arbres sont en fleurs, en été, c’est le temps de goûter aux nouveaux millésimes cidricoles et à l’automne, c’est la cueillette. À chaque saison, sa découverte.
Les trois cidreries questionnées voient 2022 d’un bon œil. Elles s’attendent à cueillir le fruit de leurs efforts, de proposer de nouveaux produits et de voir l’engouement pour le cidre poursuivre sa douce remontée.
Pour boire la pomme à cidre: | ||
- Roxbury Russet, Cidrerie Milton Un tout nouveau cidre fait à 100% de Roxbury Russet, une variété de pomme à cidre américaine d’une jolie couleur cuivrée. | ||
- Boire la vie en rose, Michel Jodoin Un rosé mousseux vieilli sur lies pendant 13 mois fait avec de la Genova, une pomme à chaire rouge. | ||
- L’Amalgame, Ferme Cidricole Équinoxe Un cidre fait avec un assemblage de petites quantités de pommes mises à l’essai dans le verger. | ||
- Black Creek Brut, Ferme Black Creek Un cidre naturellement effervescent fait d’un assemblage de pommes à cidre anglaises, dont la Kingston Black. | ||
- Crément de pomme rosé, Cidrerie du Minot Fait d’un assemblage de Genova, de McIntosh et de Mont-Royal, voici un cidre effervescent peu alcoolisé qui se boit bien toute la journée. |
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