Voyage hors-saison aux Îles de la Madeleine
Publié le
10 novembre 2017
Quand l’effervescence se calme, qu’on commence bilans et grand ménage des commerces, marchands et producteurs trouvent du temps pour jaser. Début novembre, je me suis posée aux Îles-de-la-Madeleine dans un décor de fin d’été. L’année 2017 a été, sous plusieurs aspects, une année record. Mentionnons seulement le passage de 70 000 touristes, venus apprécier les richesses de cet archipel où vivent plus de 12 000 habitants. La réputation gourmande des îles n’est plus à faire, mais, que mange un Madelinot en hiver?
Texte et photos d’Hélène Raymond
En août 2008, à la une de l’hebdomadaire local Le Radar, on peut lire qu’il y aura «traverse à l’année». Jusque-là, les résidents étaient rapidement privés d’aliments frais pendant les mois où le couvert de glace freinait la navigation. Il y avait bien l’avion, mais à quel prix? Aujourd’hui, les traversiers déchargent plusieurs fois par semaine la nourriture issue de la «grande terre», comme du bout du monde. Mais plusieurs se souviennent de l'époque où les caves, comme les entrepôts des épiceries, étaient remplis de denrées, empilées du plancher au plafond. Et l'on pêchait, abattait, cueillait, récoltait avant de canner, saler, sécher, boucaner, mariner et «confiturer». Des tâches répétées par devoir et sans doute aussi par plaisir, puisque les histoires de table et les recettes jaillissent dès qu’on démontre son intérêt.
La tradition culinaire a survécu et aujourd’hui, elle revient se glisser dans les habitudes des jeunes ménages et contamine les nouveaux arrivants. On apprend au fil des conversations, qu’ici, le temps d’une corvée, on a abattu ses poulets; qu’ailleurs on a mis en réserve tous ses légumes d’hiver et que patientent sur les tablettes des pots et des pots de conserves de homards, de palourdes, de maquereaux. Et c'est jusqu'aux gels qu'on aperçoit des cueilleurs de canneberges penchés sur les Sillons de la Pointe-aux-Loups.
Aujourd’hui, des agriculteurs parlent d’autonomie, de partage et de fierté. Des fermiers de famille proposent des paniers. Avec les autres maraîchers, ils approvisionnent restaurateurs, épiciers et le Marché du village. Ce dernier génère un achalandage qui varie de 500 à 900 clients, pendant quinze semaines. Une récente campagne d’achat local en épicerie a obtenu des résultats inespérés. La quasi-totalité des élèves se transforme en «petits cuistots», dans des classes de cuisine et de nutrition.
Aux îles, on trouve chou frisé et fenouils dans le potager du cégep. On découvre les saveurs du monde, avec des ingrédients du territoire. On cueille les herbes de bord de mer, on tait ses talles de chanterelles.
L’offre en épicerie se régionalise, mais c’est dans les maisons qu’on prend la mesure de ce mouvement qui mène à une plus grande indépendance face aux aliments industriels.L’organisme de promotion de la production locale Le Bon Goût Frais des Îles va bientôt célébrer ses 25 ans; la fromagerie du Pied-De-Vent, deux décennies d’opération. L’arrivée récente d’un troupeau et d’une fromagerie de chèvre bonifie la gamme; les bières de la microbrasserie À l’abri de la Tempête sont bues dans l’archipel et au-delà. Et on constate qu’à ces traditions marquées par la nécessité, succède une alimentation qualifiée de consciente: «On cuisine de plus en plus et on a le goût d’y mettre du local», me dira un Madelinot. Malgré cet enthousiasme contagieux et l’adhésion grandissante des habitants à tout ce qui est issu du terroir, la partie n’est pas gagnée. Au-delà des apparences, les productions conventionnelles déclinent. L’embourgeoisement de l’archipel a eu pour effet de faire pousser des maisons plutôt que des plantes de pâturage (la quasi-totalité du territoire est zoné blanc ce qui fait qu’il n’est pas protégé à des fins agricoles). Il n’est pas rare de voir des éleveurs ou des producteurs de céréales cultiver sur des terres louées. Il leur est donc difficile d’amender les sols qui, petit à petit, perdent leurs qualités agronomiques. L’abattoir de proximité répond à une partie de la demande mais ne comble pas tous les besoins; en particulier sur le plan de la volaille. Et beaucoup reste à faire pour inventer une mise en marché locale des poissons et fruits de mer. Les mécanismes d’exportation sont trop bien rodés. Pourtant, s’il y avait à choisir un territoire propice pour pousser plus loin l’expérimentation menant à une plus grande autonomie alimentaire d’une communauté, il me semble que ce serait celui-là. Il est à la fois habité et animé par des gens compétents. À 1200 kilomètres par voie terrestre et cinq heures de bateau de la métropole, loin des vagues passagères, on développe un art de vivre unique. S’il se perçoit en été, il se goûte aussi hors-saison. Peut-être même davantage. Au fond, «Aux Îles, c’est pas pareil…». Et c’est la raison pour laquelle j’aime autant y retourner. *** En attendant sa prochaine chronique, vous pouvez suivre Hélène Raymond sur son blogue, ainsi que sur Twitter. Blogue: heleneraymond.quebec Twitter: @heleneraymond