Lorsque Denis Ferrer, directeur de Cerf de Boileau, a reçu un avis de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) le 10 septembre dernier, il est tombé en bas de sa chaise. Un des cerfs de l’élevage abattu dans l’abattoir de l’entreprise à Saint-André-Avellin, avait été diagnostiqué de la maladie débilitante chronique (MDC). La bête faisait partie d’un lot destiné à une star outre Atlantique, le boucher belge Hendrick Dierendonck, qui fournit les plus grandes tables d’Europe.
Ferrer, a su sur le coup que 25 ans de sa vie dévouée au développement et à la promotion du cerf de Boileau lui filait entre les doigts. La MDC est aux cervidés – cerf, orignal, wapiti, caribou – ce que l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), communément appelée «vache folle», est aux bovins. Il existe une version de cette affection chez le mouton et aussi chez les humains appelée Creutzfeld Jakob. Ce sont des maladies transmissibles à prions, des protéines dégénérées qui s’agglutinent sur les neurones et transforment le cerveau en éponge. C’est cette virulente petite protéine qui va rayer de la carte l’élevage de cerfs rouges le plus notoire de la planète!
«Dès qu’on a reçu le diagnostic de MDC sur une de nos bêtes, je me suis senti comme si on envahissait ma maison. Je ne pouvais rien faire, rien expliquer, comme si j’étais un criminel», relate en entrevue téléphonique Denis Ferrer, qui s’est vu décerner le prix Renaud-Cyr, catégorie artisan, en 2002. Du coup, l’ACIA a ordonné l’abattage complet du troupeau de Cerf de Boileau, une marque de venaison privée qui appartient à l’homme d’affaires canadien et mécène, Doug Harpur.
L’affaire, reprise par un grand média, a provoqué un vent de panique. «Contrairement à la vache folle, la MDC n’est pas transmissible à l’humain, du moins ce n’est pas prouvé jusqu’à ce jour», explique Xavier Roucou, spécialiste des prions et professeur de biochimie à l’Université de Sherbrooke. Cela dit, l’expert recommande à titre préventif, tout comme l’Organisation mondiale de la santé et Santé Canada, de ne pas consommer de la viande d’un animal infecté. On saura si le prion de la MDC est transmissible aux humains qu’après des tests effectués sur des singes, ce qui prendra encore plusieurs années.
Un premier cas de MDC au Québec
Le cas de maladie débilitante chronique diagnostiqué dans l’élevage de Cerf de Boileau a été le premier au Québec. Avant cette découverte, un test aléatoire de cinq bêtes par lot abattu était testé dans les abattoirs sous inspection fédérale ou provinciale. Dorénavant, tous les cervidés d’élevage seront analysés. Les cas positifs, comme celui du cerf de Boileau, sont retirés de la chaîne alimentaire. Depuis 2002, 31 500 bêtes ont été analysées par l’ACIA, le ministère de l’Agriculture des pêcheries et de l’alimentation (MAPAQ) et le ministère de les Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).
«Les prions sont des agents particulièrement infectieux. Dans le cas de la MDC, ils peuvent se transmettre par un baiser entre un cerf sauvage et un animal d’élevage. Ces organismes peuvent traîner dans l’urine ou les féces, dans l’herbe ou la terre. Ils résistent à la chaleur et au froid extrêmes et sont pratiquement indestructibles», poursuit Xavier Roucou. L’expert explique aussi que les animaux sauvages comme les corneilles, les lynx ou les ours, peuvent aussi être des vecteurs de prion de MDC en dévorant une carcasse, sans toutefois en être eux-mêmes victimes.
Le MFFP est sur un pied d’alerte depuis le dévoilement du premier cas de MDC. On craint une transmission du prion des animaux de l’élevage aux cousins sauvages, comme cela s’est produit ailleurs en Amérique du Nord. «Nous pensons que la MDC a été introduite au Canada, en Saskatchewan, par l’importation d’un mâle reproducteur du Nord Dakota dans une ferme d’élevage en 1996. Depuis, elle s’est propagée comme un feu de brousse et elle est hors de contrôle», explique Iga Stasiak, spécialiste de la santé de la faune au ministère de l’Environnement de la Saskatchewan. Selon Mme Stasiak, dans certaines régions de cette province, la maladie est responsable d’un fort déclin de la population sauvage. La Saskatchewan est une des deux provinces canadiennes, avec l’Alberta, affligée par la MDC.