Des céréales… c’est tout! - Caribou

Des céréales… c’est tout!

Publié le

18 février 2019

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La cour de la maison est glacée, comme le sont les champs tout autour. La tempête qui s’annonce les recouvrira. Charles Létang, en congé de boulange ce jour-là, m’ouvre sa porte pour qu’on parle de pain, d’autonomie agricole, de blés et de toutes ces variétés qu’il qualifie d’anciennes. Si l’on n’a pas fixé le moment où se croisent l’ancien et le nouveau, peu importe. Pour ce boulanger breton arrivé en sol québécois en 2012, ce qui compte c’est de réfléchir à ce que représentent patrimoine et terroir.

Une chronique d’Hélène Raymond
Photo de la boulangerie Du pain… c’est tout!

En septembre 2015, alors qu’il découvre Saint-Roch-des-Aulnaies et son moulin banal, la Seigneurie des Aulnaies, en venant donner une conférence lors de la Fête du pain, il a l’idée de déposer son plan d’affaire auprès de l’organisme qui gère les lieux. Dix-huit mois plus tard, après plusieurs échanges, il quitte Montréal avec sa compagne Émilie Vallières, emménage dans le bâtiment attenant au domaine pour reprendre la boulangerie où, depuis, il mêle les recettes traditionnelles à sa panification artisanale biologique. Une de ses grandes satisfactions, c’est de faire rayonner les farines moulues sur pierre auprès de ses amis boulangers: «Mes collègues me nommaient plusieurs autres moulins mais, pas celui-là. C’est une farine de qualité. J’ai bien calculé sa rentabilité; dans les termes du métier, son poids à l’hectolitre (c’est la mesure de densité), est élevé; les grains sont joufflus; la granulométrie intéressante.»

Mais sa réflexion ne s’arrête pas là. Charles Létang, convaincu de l’effet de levier des circuits courts sur l’économie régionale s’approvisionne sur moins de 100 kilomètres, de Saint-Jean-Port-Joli à Rivière-du-Loup, pour ses matières de base: beurre, lait, œufs et grains moulus sur pierre, à deux pas du pétrin! C’est un agriculteur des environs qui les cultive et les fournit au meunier qui, à son tour, ajoute son expertise en les transformant en farines.

Lorsqu’on aborde avec lui la question des variétés, il s’éclate. Il rêve ouvertement de blés de terroirs, de variétés particulières à remettre en culture. Et il tente de gagner des adeptes à la protection du patrimoine végétal. Déjà, les variétés Marquis, Red Fife et Huron entrent dans son pain Censitaire, composé de «grains anciens». En recevant en cadeau les semences de blé Huron d’un producteur local, il a appris qu’on sème cette variété (qui daterait de 1888) entre La Pocatière et Rivière-du-Loup, depuis au moins 80 ans. Et ce, à partir des semences mises en réserve au lendemain des récoltes. Son souhait? Pousser plus loin cette idée de l’autonomie semencière, trouver des cultivars adaptés au terroir de cette région située à la frontière de la Côte-du-Sud et du Bas-Saint-Laurent et développer un mélange de céréales de plus en plus complexe.

L’été prochain, avec un agriculteur complice de son projet, il commencera des essais de multiplication de semences. En réservant une micro-parcelle pour chaque variété, ils observeront la germination, la croissance, les rendements pour aller plus loin avec les mieux adaptées au terroir local: «En 2021, je voudrais ajouter à la recette de mon pain Censitaire une quatrième variété. Et, en 2023, l’objectif c’est d’en avoir de cinq à six.»

«Quand un vigneron connaît sa terre, son cépage, ses levures, il s’approprie son terroir. Je pense que les boulangers doivent s’engager dans cette démarche, jusqu’à mettre les pieds dans les champs pour comprendre la réalité des agriculteurs et des céréales. De plus, je me sens une l’obligation de protéger et mettre en valeur ce patrimoine végétal. On parle toujours de spécificité territoriale dans le vin, mais pas dans les céréales.» –Charles Létang

Pas étonnant que la boulangerie s’appelle Du pain… c’est tout! Son travail se concentre sur la matière première et il n’entend pas multiplier le nombre d’ingrédients. Ce qu’il veut c’est obtenir des pains goûteux et nutritifs, expliquant qu’il se trouve ainsi plus proche de ses farines et de ses blés.

En février 2019, deux ans après les premières fournées commerciales, Charles Létang se réjouit d’avoir vite dépassé les objectifs de son plan d’affaires et triplé les revenus de la boulangerie. Si les semaines s’allègent en hiver en raison de la diminution de la fréquentation touristique, pétrin et four fonctionnent maintenant à l’année, et ce, dans un village de 900 habitants.

Il profite d’un emplacement de rêve. L’environnement qui stimule tous les sens: la vue, grâce à la beauté de cet imposant moulin banal; l’ouïe, quand le meunier active son moulin ou que le pain chante; le toucher des farines; l’odorat, stimulé par les odeurs de cuisson et finalement le goût. Situé à quelques centaines de mètres de la sortie 430 de l’autoroute 20, de plus en plus d’amateurs de pain le découvrent et s’arrêtent au passage. Preuve de l’engouement pour le bon pain qui, avec le vin, soutient le mangeur du début à la toute fin du repas. Parole de boulanger!

À lire à ce sujet ➤ Le grincement de dent de Charles Létang: Et si un «bon» pain allait au-delà des fibres? par Julie Aubé

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