Prendre l'air... et la parole - Caribou

Prendre l’air… et la parole

Publié le

03 mai 2021

nature et paix des champs retour terre
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Fait que c’est ça... Je vous l’avais promis dans l’édition papier COMMUNAUTÉS. Alors voilà.  Un peu de la parole de ces rats des champs, qui pour certains ont aussi été des rats des villes avant... L’idée c’est juste de vous transmettre des bribes de leurs réflexions suite à cette question piège que j’avais lancée comme ça l’air de ne pas y toucher… «Qu’est-ce que les rats des champs peuvent apprendre aux rats des villes et vice-versa?» Ce sont les rats des champs qui ont été les plus nombreux à me répondre. J’attends encore les réponses des rats des villes…

Chronique de Christian Bégin

Donc, en complément de ma chronique publiée dans le dernier numéro de Caribou, à peine sorti, déjà aimé, je laisse ici la parole à: 

  • Isabelle et Patrick de la ferme 40 ARPENTS à Saint-Onésime.
  • Roméo Bouchard, auteur, activiste, co-fondateur de l’Union Paysanne et voisin de rang - entre autres choses. 
  • «Plaidoyer pour une agriculture paysanne» en collaboration avec Maxime Laplante chez Écosociété
  • Mathieu Perron, ethnologue, conteur et ancien co-propriétaire de la bergerie «L'ami Berger». 
  • Marie-Eve Arbour, présidente-fondatrice de Visages Régionaux.   
  • Donald Dubé, agriculteur à la ferme Vert Mouton et co-fondateur avec la cheffe Colombe Saint-Pierre et moi-même du mouvement citoyen en devenir «Goûter NOUS». 

Bon, il se peut que j’intervienne un peu…. Chus d’même… Pis je suis moi-même un peu des deux… Rat. Des deux…

Pour vous permettre, peut-être, de prendre un certain raccourci si vous ne vous sentez pas l’élan – mais j’ai confiance qu’aux premières lignes vous serez ferré.e.s –, je vais souligner certains mots qui m’apparaissent capitaux et porteur de sens…  

Mais heille, faire le voyage vers l’autre c’est déjà faire de la résistance en ces temps de tribalisme.

Deal? OK…

Fait que Isabelle et Patrick me disent:

«Nous aimerions être en mesure de transmettre aux gens de la ville le désir de vivre à un rythme, disons, plus naturel, plus réaliste, plus sain. 

Pour bien faire les choses, ça prend du temps. Pour élever un enfant et faire en sorte qu'il devienne un être humain bon, ça prend du temps, pour faire pousser un bon légume, pour élever un bon cochon, un bon boeuf, pour faire une bonne charcuterie. Tout ça prend du temps. En ville, les gens sont habitués à combler leurs besoins rapidement. Tout est vite, tout bouge constamment, le rythme est rapide, trop pour un être vivant y compris pour les humains. Par exemple: Pour faire une charcuterie, tu vas élever un porc pendant an, faire vieillir la fesse pendant deux ans. Tu vas attendre trois ans avant de goûter le fruit de ton travail et t'en régaler. Ça amène un immense respect pour la nourriture. 

Gaspiller ça quand tu sais réellement comment c'est fait, c’est impossible. 

La société serait gagnante si les rats des villes étaient vraiment conscients de tout le travail qu’il y a derrière la production d’un aliment.

Ensuite, l'émerveillement quotidien devant la nature, les saisons:

Ici, quand les champs sont inondés par la rivière, on trouve ça beau alors qu'en ville, ça devient une catastrophe.  

Trouver ça l'fun la canicule, trouver ça merveilleux qu'y mouille une semaine de temps, qu'y fasse -30 en janvier. 

Aimer le printemps parce que ça veut dire passer tout notre temps à courir les érables et non à marcher dans la slushe.

Vivre dans la conscience la plus totale que rien n'est acquis, qu'il est important de prévoir, de faire des réserves car la nature peut faire disparaître nos récoltes dans un claquement de doigts. 

Il est primordial de transmettre notre savoir afin que tout puisse continuer, toujours.»

Ok… Je sais pas pour vous mais ce «changement de paradigme» auquel on fait sans cesse référence en ces temps adverses et mouvants trouve, pour moi, ses fondements concrets dans ces quelques phrases…

On continue? Oui! 

On est en train de dessiner le monde qui peut advenir…

Roméo Bouchard, que j’appelle amicalement «Vaillant» me répond, succinctement mais si clairement, ceci:

«La campagne (je n'aime pas le terme ruralité (1) qui ne veut plus rien dire) est enracinement, rapport à la nature, au territoire, au temps, à la communauté territoriale (village, rang, région), à la biologie, à la reproduction, à l'histoire, au travail productif. C'est l'autonomie. La campagne est insertion.

La ville, c'est l'individu, l'anonymat, le choix, la diversité, la culture, le loisir, la consommation, la dépendance, le rapport au monde.

Ce que la campagne peut apporter à la ville, c'est l'enracinement, le rapport à la nature, à la biologie, au territoire, au temps et à la communauté.

Ce que la ville peut apporter à campagne, c'est la culture, le rapport au Monde, à la diversité, à l’avenir.»

Déjà, il y a deux thèmes qui reviennent.  Notre rapport au TEMPS et à la NATURE.  

Je vais y revenir.

Je continue la conversation avec Marie-Eve Arbour…

«Je crois que le mode de vie des régions, c’est avant tout de décider de s’inscrire dans un rapport différent à plusieurs choses qui circonscrivent ou définissent nos vies.

D’abord, le rapport au temps. 

Décidément!!

Je la laisse compléter…

Même si comme tout le monde, on a l’impression d’en manquer, on en a quand même un peu plus.

Le rapport aux gens, aux humains qui nous entourent. Parce qu’on a besoin les uns des autres. Parce qu’on a des amis qui ont deux fois notre âge pis que c’est l’fun! 

Le rapport au territoire. C’est peut-être l’immensité, ou l’horizon. Mais on prend notre place différemment quand on est devant un tout grand, un grand tout.

Puis, le rapport à soi-même

Les régions sont clairement un vaste espace où les ambitions et les projets ont une plus grande chance de se réaliser. Parce que tout est à faire, à refaire ou inventer.»

En ces temps où nous ployons sous la dictature du présent, où nos rêves se heurtent aux murs de nos villes mortes, mises en jachère, il y a à la campagne cette possibilité de voir loin qui, inéluctablement, module, façonne notre rapport à nous-même et aux autres.  Cette distance naturelle entre les individus, possible grâce à la vastitude du territoire; cette distanciation sociale presque intégrée au mode de vie «rural», cette capacité purement géographique à voir loin peut, sans sombrer dans le fantasme pastoral, nous permettre de rêver mieux…

On creuse un sillon non?

Laissons parler l’ami Mathieu.

«Qu’est-ce que la ruralité peut apporter à l’urbanité?  Bonne question mais vaste et aux multiples réponses…

La ruralité peut apporter une autre façon de vivre et d’apprécier les saisons, en particulier l’hiver: elle permet peut-être plus facilement d’être sensible aux différents temps de l’année, au calendrier de la nature (migration des oiseaux, cycles des plantes, etc.), aux jours qui raccourcissent ou qui rallongent, aux phénomènes célestes… 

La ruralité permet d’être plus facilement recadré par la nature: quand on vit en région, on peut probablement plus facilement sentir que l’être humain est bien peu de choses dans l’univers: sentir la nature suivre son cours, malgré toutes les catastrophes annoncées, voir ce qui se passe «malgré tout», ça a quelque chose d’encourageant. Ça rappelle aussi que nous, êtres humains, sommes peu de choses par rapport au grand tout: ça aide à dégonfler les égos trop gros, ça aide à limiter nos ambitions démesurées. La perspective de l’être humain comme un élément d’un écosystème sur une planète aux ressources limitées (ça, nous aide à remettre en question les objectifs d’éternelle croissance économique).

La ruralité peut apporter un refuge à l’urbanité: refuge pour la santé mentale, refuge pour lutter contre l’adversité; refuge comme «garde-manger» qui procure les aliments de base, la majeure partie de l’année, dans le respect des saisons; refuge pour les loisirs: pour autant que les «urbains» soient conscients que les ruraux ont besoin d’une certaine solidarité (plus que de la courtoisie: une solidarité fiscale, une solidarité qui se reflète dans la décentralisation des pouvoirs, des emplois, etc.) pour qu’ils puissent prendre soin de ce refuge en leur absence.

La ruralité peut offrir un espace où vivre, s’épanouir, où donner cours à ses idées, ses projets  (pour autant que les «néo-ruraux» arrivent dans un esprit d’ouverture à l’histoire et à la culture du milieu où ils font leur nid). 

La ruralité peut offrir un sentiment d’appartenance au territoire, une solidarité avec l’ensemble des régions, ce qui donne un certain sentiment de puissance (parce qu’on se sent riche d’un grand «pays»?). Comme si l’Abitibi, c’était un peu nous, même si on n’y a jamais mis les pieds; les crevettes pêchées entre Sept-Îles et Matane, c’est «à nous», même si on n’a jamais fréquenté les quais de Matane et de Sept-Îles… Les problèmes vécus ailleurs, ce sont aussi nos problèmes… [Mais c’est peut-être juste moi…???] 

Je pense que les idées de pays et de nation n’ont pas la cote actuellement, alors que pour moi c’est essentiel pour qu’un ensemble de «citoyens» puisse parler une langue commune et se parler d’enjeux communs, nationaux et internationaux. Est-ce possible que la connaissance de la ruralité, une connaissance plus fine du territoire permette de se mobiliser comme collectivité pour un monde meilleur, qui reflète nos aspirations, dans le respect des êtres humains et de l’environnement? 

Moi je vois un lien entre connaissance du territoire, de ceux qui l’habitent, et de démocratie, reprise du pouvoir sur un capitalisme qui cherche à abolir les frontières, à déposséder les gens de leurs ressources au profit d’une minorité de possédants… 

Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’il y a UN mode de vie rural, un «art de vivre» rural: la ruralité est faite d’une multitude de façons de s’approprier le territoire. Je pense que la ruralité offre des conditions pour qu’on puisse être des êtres plus sensibles à ce qui nous entoure, à vivre la décroissance dans une «joyeuse austérité», fertile; il y a de la place pour ceux qui veulent bâtir, dans le respect, et la ruralité a besoin de sang neuf. Les retours des aînés dans leur milieu d’origine, c’est très bien, mais ça prend aussi des jeunes… et les jeunes y trouvent rapidement une place pour mettre à profit leurs talents, je crois.»

On fait partie d’un tout.  Cette rapide et insidieuse déconnexion entre la ville et la campagne, entre l’urbanité et la ruralité, a mené à une vision clivée du monde. Comprendre que nous dépendons les un.e.s des autres, être curieux les un.e.s des autres, réaliser que la suite du monde passe, entre autre, par la décentralisation et la revalorisation des régions; tout ça dans une refonte de l’occupation du territoire constitue les fondements d’un nouveau monde qui sait lire et apprendre de l’ancien…  Romain Gary disait si justement: «Le renouveau a toujours été d'abord un retour aux sources». Si on veut danser sur la terre du monde nouveau il faut savoir de quoi était fait le sol de l’ancien. Disons ça comme ça…

Puis vient Donald. Mon partenaire de lutte avec Colombe Saint-Pierre sur le terrain de la souveraineté alimentaire.  Enjeu capital s’il en est un en ce moment... Mais je le laisse parler:

«Salut mon ami,

Je suis un rat natif de Québec. Je suis donc un rat de ville recyclé. Je n'y peux rien. D'ailleurs, on ne choisit pas ses parents pas plus que le lieu de sa naissance.

Fort heureusement, ce lieu, situé en périphérie (à l'époque) de la ville, côtoyait des habitats naturels époustouflants: boisés, terrains vagues, ruisseaux et étangs constituaient mon terrain de jeu. Cela me correspondait totalement. Je n'ose imaginer l'effet qu'aurait eu sur moi une vie typiquement urbaine, celle où les cours d'eau laissent leur place aux grandes artères. 

Cet appel à la nature a toujours été puissant. Un appel presque divin. Les périodes les plus sombres de ma vie sont survenues lorsque je le repoussais. 

Cet appel, dont la puissance n'est pas de l'ordre du commun, doit être entendu pour quiconque est sensible à son épanouissement. C'est capital. Il en va de la vie de l'initié. Il n'est pas question de mort imminente mais plutôt de l'âme qui s'atrophie. À ce stade, on ne peut qu'espérer que la vie sera bonne et rapidement. Qu'elle daigne disposer le long du parcours quelques guides. Ce fut le cas pour moi. Le tout premier était là à portée du regard, attentif et soucieux de jouer au maître. Mon premier guide fut mon grand-père Emmanuel. C'est lui qui m'initia au jardinage. Le début de ma transformation en rat des champs! Pour cet homme que j'ai aimé tendrement mais en silence, le jardin familial n'avait rien d'un prétexte à la transmission d'un savoir-faire. Il était mu par la nécessité de contribuer à l'autonomie alimentaire de la famille. Tout de même, la magie opérait. Le savoir au contact de la jeunesse ignorante mais avide de connaissances, d'amour (même silencieux) et de sagesse demeure et demeurera pour l'éternité notre raison de vivre. Que ce soit en ville ou aux champs. Maintenant, je vois la ville comme un mal nécessaire. Une forme de purgatoire. Le monde rural est immense et permettrait un étalement salutaire ou chaque communauté serait une manifestation du bien commun.

Pour l'heure, il est en déclin le regard tourné vers les grands centres dans l'espoir d'y déceler une caravane roulant en sa direction. Une caravane contenant de jeunes agriculteurs.trices en devenir

Il y a là une forme de va et vient entre les champs et la ville. L'ambiguïté entre le dur labeur salutaire et l'eldorado trop souvent décevant et dénué de sens.

Néanmoins, me voilà rat des champs et c'est peu dire. Ce qui me plait à penser lorsque mon regard se tourne vers la lueur de la ville de Rimouski (si petite soit-elle):

1. Je suis là pour vous nourrir. Vous n'avez rien à craindre.

2. Je suis là pour vous rappeler le cycle des saisons...il faut savoir s'apaiser. Dame Nature impose le rythme.

3. Je ne fais que passer, venez me succéder.»

Je ne pouvais pas éditer leurs réflexions... Vous avez TOUT!  Ça fait un long article. Je sais. Mais, pour faire des ponts, pour rêver le monde autrement, ça prend du temps…

Sinon, faites juste lire ce qui est souligné… Ça raconte une histoire quand même. Un peu comme ces dessins qu’on faisait enfant en reliant des chiffres. Ça donne le contour de ce qui est possible.

L’idée astheur c’est de ne pas s’en tenir qu’au contour.

L’idée c’est de voir plus loin que le contour.

L’idée c’est de voir loin…

De voir assez loin pour se rendre jusqu’à l’autre et danser avec lui sur le sol régénéré de notre possible rencontre.

Christian Bégin…et ses ami.e.s…


(1) La ruralité, selon Roméo Bouchard, évoque le temps où l'agriculture était l'occupation principale en dehors des villes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La population et les activités en campagne sont très diversifiées et les agriculteurs, même dans un village comme St-Germain, ne constituent qu'environ 5% de la population. Le mode de vie est aussi très semblable à celui des villes (alimentation, habitation, transport, loisirs, etc.). Ce qui caractérise aujourd'hui les campagnes, c'est la faible densité de population sur des territoires plus grands où la nature est plus présente.

Les campagnes participent à la situation socio-économique des régions où elles sont situées: dans les régions périurbaines (comme la Montérégie, l'Estrie, les Laurentides, Lévis) les campagnes sont des couronnes péri-urbaines plus habitées et plus riches; dans les régions périphériques (comme Gaspésie, Bas-St-Laurent, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Mauricie), les campagnes subissent le dépeuplement et le sous-développement des périphéries par rapport aux centres, avec toutes les maladies sociales, culturelles et économiques que cela comporte.


Ce texte est un complément à la chronique de Christian Bégin parue dans le numéro COMMUNAUTÉS au printemps 2021.
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