Au pays des femmes qui brassent
Publié le
08 juillet 2021
Texte de
Émélie Bernier
La microbrasserie 11 comtés, Cookshire-Eaton, Cantons-de-l’Est
Ma première destination: la microbrasserie 11 comtés, posée en plein champ, à un jet de pierre du cœur du village de Cookshire-Eaton dans les Cantons-de-l’Est.
Née sur une ferme laitière dans une petite tribu constituée de deux filles et un garçon, Émilie Fontaine n’a jamais considéré son genre comme une limite. «Mes parents ne faisaient pas de différence entre ce qu’on pouvait accomplir, mon frère, ma sœur ou moi. Fille ou garçon, ça ne changeait rien!» dit la copropriétaire de cet établissement nommé Meilleure Nouvelle Microbrasserie par l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ) en 2019. Émilie, en réalité, ne brasse pas: elle préfère se consacrer à des tâches comme la création, le marketing et les réseaux sociaux, son dada.
La partie «cuisine d’été» du bâtiment dont les lignes rappellent celles d’une grange est animée, pendant la belle saison, par le Cuisinier déchaîné, un sympathique resto où le terroir estrien vole la vedette, tout comme dans les bières produites par la petite équipe d’ailleurs.
Mère de quatre enfants, Émilie a tout fait pour que les familles se sentent bienvenues dans sa microbrasserie. En témoigne le carré de sable géant où des jouets colorés font de l’œil aux plus jeunes clients.
Bel adon dans le contexte de ce road trip à la rencontre de femmes évoluant dans le monde de la bière: la microbrasserie 11 comtés offre la bière À hauteur de femme, un nom qui constitue quasiment une prise de position pour Émilie.
«À l’été 2019, des inspecteurs de la Régie des alcools nous ont demandé de fermer une partie de notre mezzanine qui était trop haute, en précisant qu’elle n’était pas “à hauteur d’homme” pour illustrer la distance entre le sol et le plafond… Y a-tu une mesure plus niaiseuse que ça? Dans notre usine, tout est à hauteur de femme!» lance la brasseuse, qui dénonce du même souffle les appellations de bière bassement grivoises.
Brasserie artisanale Korrigane, quartier Saint-Roch, Québec
Après les Cantons-de-l’Est, je m’en vais à Québec. Mon prochain arrêt se trouve en Basse-Ville, dans l’ébouriffé quartier Saint-Roch. Catherine D. Foster et ses partenaires ont choisi d’installer la microbrasserie Korrigane au cœur de ce carrefour entre les époques et les cultures.
«Il y a 10 ans, ce n’était pas comme ça! Le quartier n’avait pas très bonne réputation, mais il y régnait une vibe que j’aimais, très hétéroclite. J’y habitais et j’en voyais le potentiel… On s’est installés dans une ancienne taverne un peu délabrée, un acte de foi. Et petit à petit, ça s’est mis à bouger. On a vu des sièges sociaux et des institutions culturelles investir Saint-Roch. J’adore cette diversité!» lance la brasseuse originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
C’est d’ailleurs dans sa terre d’origine qu’elle a appris les rudiments de son métier, auprès de son père qui avait lui-même découvert le pouvoir rassembleur de la bière lorsque toute la famille vivait en Afrique.
Avec ses murs couleur ardoise parsemés de jolies impressions de fleurs de houblon, son plafond à caissons, ses suspensions verdoyantes et son ambiance quasi familiale de pub irlandais, la brasserie artisanale Korrigane est un écrin chaleureux au cœur de la capitale. La reine de céans, boucles indisciplinées et sourire avenant, n’a qu’un but: servir de la bonne bière et mettre en valeur les saveurs sauvages et le travail des artisans de la terre de son coin de pays, qui s’étend de Québec à Portneuf, avec un petit détour par son «Sag-Lac» natal.
«La nature est ma plus grande source d’inspiration! J’ai grandi en pratiquant la chasse, la pêche, la cueillette, et rien ne me fait plus plaisir que de m’évader dans le bois pour aller cueillir les lactaires à odeur d’érable et les bourgeons d’épinette que je vais intégrer dans mes brassins. On sert toujours au moins une bière aromatisée aux plantes ou aux champignons de la forêt boréale à la Korrigane», dit Catherine D. Foster, qui rêve de voir le Québec se créer sa propre tradition brassicole en s’inspirant de son territoire.
Ce texte est paru à l’origine dans le numéro 11, FEMMES, du magazine Caribou au printemps 2020.