Pierre-Olivier Ferry, un chef qui apprend à respirer autrement
Publié le
18 juillet 2019
Quand nous nous sommes parlé, il rentrait d’une virée chez ses producteurs, entrecoupée d’un pique-nique sur les bords d’un lac Matapédia trop venteux pour en profiter longuement. Mais, il avait tout de même pris son temps et acheté les petits fruits de Jean-Paul Lebel et Chantal Paradis, à la Vallée de la Framboise. De vieux complices. Le lendemain, mercredi, sa journée était consacrée aux tâches administratives. La boutique n’ouvrirait que jeudi. Pour quatre jours. Si l'on pense à la course de fond que représente l’été dans les établissements touristiques, ce nouveau rythme de vie surprend.
Texte d’Hélène Raymond
Pierre-Olivier Ferry se rappelle son enfance à la campagne et ces terrains de jeux immenses, grignotés par l’étalement urbain au nord de Montréal. Le jeune stagiaire qui arrive aux Jardins de Métis en 2005 retrouve cette quiétude. Dès la fin de l’été, on lui propose de revenir en 2006. Il accepte. Peu à peu, il s’ancre et plonge dans l’aventure en bâtissant un service de restauration unique, axé sur le territoire et, plus que tout, sur ces potagers qui fournissent une bonne part de sa matière première. Normand Laprise et Diane Duquet, chef et jardinière du Toqué! seront de grandes sources d’inspiration. En les côtoyant, il constate qu’il ne lui faut que quelques pas pour cueillir des plantes comestibles. «Jamais on ne m’avait dit, pendant ma formation en cuisine, qu’il y a 30 sortes de thym et là, je les avais sous les yeux! J’ai découvert que l’oignon se décline en de multiples variétés! Dès le début de saison, je pouvais aller dans les serres pour comprendre.»
Le temps passe, il fait sa marque. Sa réputation dépasse les frontières régionales. En août 2018, il se blesse à la fin d'une longue journée. Le dos cède, usé par des étés intenses, des tables de travail mal adaptées à sa taille. Et, ajoute-t-il, par le manque d’information, au cours des études, sur les postures à adopter pour éviter les blessures. Il constatera rapidement que d’autres travailleurs de la restauration vivent des problèmes semblables. Quelques mois plus tard, l’aventure se termine. Il quitte les Jardins de Métis, choisit de demeurer au Bas-Saint-Laurent pour créer autre chose: un projet qui respectera ses capacités physiques, encore fragiles. «Je dois reprendre confiance en mon corps», dit-il.
Début juillet, il ouvre les portes de l’Atelier culinaire Pierre-Olivier Ferry avec le bar laitier Les Boules glacées. Le nom nous ramène à l’ancien toponyme du village, détrôné par Métis-sur-Mer. Il ferait référence à trois rochers, à portée de vue, dans le Saint-Laurent: The Bull, the Cow and the Calf. Ne serait resté que «Bull», devenu Les Boules. On reconnaît l’Est dans les comptoirs: lait et crème de la Laiterie ORA de Rivière-du-Loup, plantes indigènes de Gaspésie Sauvage, petits fruits des alentours. Dans les saveurs et textures de la glace, du gelato et du sorbet, on goûte le territoire. L’algue se mêle à l’érable, le cèdre au miel, l’églantier rappellera le bord de mer. Il s’amuse et séduit: «Je suis surpris par l’achalandage! Quelques jours après l’ouverture, je dois déjà revoir ma production pour m’assurer de ne manquer de rien!»
«Maintenant, je choisis mon bien-être. J’ai testé l’idée de performance, je veux passer à autre chose en travaillant dans une optique qui tient compte de mes valeurs et protéger ma qualité de vie. Mon jardin est beau! Avant, à pareille date, tout était à l’abandon. Je peux me mettre les mains dans la terre. C’est à mon tour de découvrir l’été!» dit-il avec bonheur.
Et quand viendra l’hiver? Il espère s’affirmer comme «cuisinier de village». Charles Létang (Du pain…C’est tout!) l’a initié à la fabrication du pain, pour qu’à son tour, il boulange pour le voisinage. Il prévoit qu’au temps des Fêtes, il proposera des bûches, des kits d’apéro pour faciliter les réceptions. La conserverie devrait s'inscrire dans la deuxième phase de développement, en 2020. Au cœur de Métis-sur-Mer, on pourra aussi suivre ses cours de cuisine.
Pierre-Olivier Ferry cherche à imbriquer sa vie personnelle et professionnelle. Il refuse dorénavant de courir plusieurs lièvres à la fois ou encore de sentir qu’il lui faut toujours surprendre: «Je veux vivifier mon village, offrir du bonheur en valorisant le quotidien, dans une cuisine goûteuse, marquée par le plaisir et la simplicité.» Et il entend s’accorder le temps nécessaire pour y arriver. Son talent, la longue réflexion entamée le long et sur le Saint-Laurent à pied et en kayak de mer, et surtout, le bébé qui s’annonce en septembre le ramèneront, s’il s’égare, à l’essentiel.