Dans un monde où règne la loi de l’offre et de la demande, la rareté de certains aliments risque fort de faire grimper encore davantage le prix moyen du panier d’épicerie. D’autant plus que les agriculteurs devront absorber le coût des adaptations et des pertes de production.
Des aliments moins nourrissants
L’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, principale responsable de l’effet de serre, favorise la photosynthèse et, par le fait même, la croissance des plantes. Or, cette croissance plus rapide, qui est aussi stimulée par la chaleur ambiante, a un goût (et un coût) amer.
De plus en plus de recherches démontrent que la valeur nutritionnelle des fruits, des légumes et des céréales qu’on consomme diminue. C’est attribuable en partie aux méthodes industrielles de culture, et en partie au réchauffement planétaire. Par exemple, une étude sino-japonaise a démontré que les grains de riz ayant poussé dans un environnement où les concentrations en CO2 étaient semblables à celles qu’on devrait connaître en 2050 contenaient 10% moins de protéines, 8% moins de fer, 5% moins de zinc et de 10% à 30% moins de vitamines que le riz actuel.
«Plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, plus les plantes poussent vite. Elles ont donc moins de temps pour aller chercher et emmagasiner les nutriments qui se trouvent dans le sol», résume Carole-Anne Lapierre, d’Équiterre.
Quelques raisons d’espérer
Malgré les nuages noirs qui s’accumulent, il reste encore des optimistes dans le monde agricole. «Je ne suis pas naïf: on frappe un mur avec les changements climatiques. Mais plus je passe de temps sur les fermes avec les cultivateurs, plus je sais qu’il y a de l’espoir», affirme Antonius Petro, codirecteur de Régénération Canada, un organisme montréalais qui fait la promotion de la régénération des sols comme moyen de lutter contre le réchauffement de la planète.
L’agriculture régénératrice a pour but d’accroître la santé des sols en augmentant la biodiversité à la fois à l’intérieur de ceux-ci et à leur surface. Elle a pour effet de réduire l’émission de gaz à effet de serre (GES), tout en captant davantage du carbone présent dans l’atmosphère que l’agriculture traditionnelle. Cela peut prendre une grande diversité de formes: l’utilisation de cultures de couverture et d’engrais verts, la plantation d’arbres protecteurs et de bandes riveraines, la réduction du travail mécanique de la terre, etc.
Au Québec, le projet Agriclimat incite les agriculteurs à adopter plusieurs de ces techniques agroenvironnementales tout en réduisant leurs émissions de GES, qui représentent environ 10% du total de celles de la province.
Trente-huit fermiers participent présentement à un projet pilote qui les accompagne dans l’adaptation de leur entreprise aux modifications du climat. Membre du comité Agriclimat pour la Montérégie, l’agriculteur Paul Caplette pilote depuis les années 2000 la douce transition de sa ferme vers une agriculture durable et résiliente face aux changements climatiques. Son entreprise céréalière pourrait servir de modèle aux agriculteurs du futur.
Par exemple, pour s’assurer une récolte diversifiée, il cultive huit sortes de céréales différentes. «Il faut élargir le portefeuille de ses cultures, avec des céréales qui aiment le climat frais, d’autres qui aiment la chaleur, des cultures longues, d’autres courtes et certaines mitoyennes. Ainsi, les années où certaines cultures ne fonctionneront pas pour une raison ou pour une autre, ce ne sera pas catastrophique.»
À l’automne, 85% de ses terres sont abriées de cultures de couverture, alors que les 15% restants sont en travail minimal. De plus, pour améliorer la biodiversité, l’entreprise a aménagé de vastes bandes riveraines, des haies brise-vent à partir d’essences nobles, des cultures fleuries pour les pollinisateurs, des nichoirs à oiseaux et même un dortoir à chauves-souris.
En 2018, des ingénieurs ont calculé qu’en une douzaine d’années la ferme était parvenue à réduire ses émissions de GES de 32% et son utilisation de pesticides de 35%, et serait théoriquement en mesure d’augmenter de 10 000 à 15 000 le nombre de citoyens qu’elle nourrit. Tout cela, « sans une tabarouette de cenne du gouvernement», précise Paul Caplette. «Je ne suis pas un extraterrestre. Un paquet d’agriculteurs vont dans la même direction que moi. Les changements climatiques sont une réalité qu’on subit, mais l’agriculture fait partie de la solution.»
Les consommateurs aussi devront faire leur part, car le levier le plus puissant à la portée des citoyens pour atténuer les changements climatiques, c’est l’alimentation, plaide Carole-Anne Lapierre, d’Équiterre.
Cela implique de réduire considérablement notre consommation de produits d’origine animale (viande, œufs, produits laitiers) pour favoriser les produits d’origine végétale, dont l’empreinte carbone est beaucoup moins grande. Et de préférer les produits locaux, peu ou pas transformés, cultivés selon de bonnes pratiques environnementales.
Du champ à l’assiette, c’est un grand nombre de pratiques qui doivent être modifiées. «Il faut parler aux producteurs et aux consommateurs, mais aussi aux distributeurs et aux transformateurs, soutient Carole-Anne Lapierre. Si on veut nourrir tout le monde, on doit agir sur tous les maillons du système alimentaire à la fois.»