Pour le printemps, Caribou emprunte divers CHEMINS! Il y a les chemins que prennent nos aliments, ceux empruntés pour faire des découvertes culinaires, ceux qui racontent une histoire, ceux que prennent nos vies sans qu’on s’y attende… C’est aux CHEMINS dans tous les sens du terme que Caribou consacre sa nouvelle édition printanière.
À l’automne 2018, le restaurant Manitoba, situé à Montréal, organisait un concours d’écriture sur ses réseaux sociaux. En un maximum de 350 mots, les participants devaient rendre hommage à leur histoire culinaire familiale. Voici les textes qui ont remporté le deuxième et le troisième prix. Celui qui s’est mérité la première place, écrit par Danièle Belley, a été publié dans le numéro Famille de Caribou.
3e prix: texte de Valérie Bélisle
Ça se passe à l’été 1997 au chalet des Bélisle, sur le Lac Simon, près de Chénéville dans l’Outaouais.
Les deux pieds dans le bac d'eau à rincer le sable entre nos orteils, prêts à manger, on entendait souvent: «Non, restez dehors!»
La famille Bélisle était formé de six frères et sœurs, dont mon père Jacques, l'aîné de la famille. Chacun avait sa recette.
Celle de mon père était la meilleure: les bines dans le sable. Une technique de cuisson qui date de bien avant les ceintures fléchées. Le plus fascinant dans le processus était le côté mystérieux. Combien de temps pour la cuisson? Comment savoir si c'est prêt?
Mon père, qui se réveillait lorsque le soleil se levait sur le lac, mélangeait bines, lardon ou perdrix, mélasse («Bin important la mélasse»), oignons, sel, beurre d'arachides et moutarde sèche dans un immense chaudron de fonte sellé par un papier aluminium. «Y’a toujours un peu de sable qui rentre, mais c'est pas bin grave.»
Jacques descendait sur la plage à travers le gazon mouillé par la bruine et faisait un trou d’environ trois pieds pour partir son premier feu. Une fois que les braises étaient assez abondantes, il mettait le chaudron, le recouvrait de sable, et redémarrait un feu au-dessus. «And that’s where the magic happens.»
En 1978, ça faisait la fête, ça jouait de la musique, ça dansait toute la journée autour du feu. En 1997, c’était plutôt la course aux activités pour les enfants, mais une chose ne changeait pas: le rituel du feu. Une chaise, un bâton, un pack de smokes, quelques Labatt 50 et de la patience – c’est tout ce dont mon père avait besoin.
Des fois, c'était le porcelet du fermier: l'important, c'était le feu.
Entretemps, on essayait de faire le plus d’activités possibles pour gagner notre place à la table parce que les bines dans le sable de papa étaient très populaires. Un tour de «ponton» à la plage Duhamel ou du ski nautique avec mononcle Luc, on avait l’impression qu’au chalet, le temps était suspendu.
2e prix: texte d’Annabelle Payant
Il y a eu tous les pâtés et leur dorure parfaite que je n’ai pas connus les gâteaux surmontés de meringue disparus en 1996 la tarte aux pommes de Réjeanne pelant les fruits avec la délicatesse d’une fée les conserves mal-aimées le bouilli fade mais nécessaire toutes ces choses qu’on sauce dans le chocolat les sablés de Noël le Reine Élizabeth pour la fête d’Isabelle la tarte au chocolat pour Nicolas les années ont passé ces festins sont en hibernation pour une durée indéterminée (Jehane Benoît je ne sais plus où est passée ta bible) mais tout le réconfort est resté dans nos fourneaux dans le rack à épices sous la terre du potager dans le cœur de ma mère elle qui, dès trois ou quatre ans sustentait ses poupées aux crânes lisses sortant du four de sa mini-cuisinette un de ces gâteaux «verre-brisé» qu’on doit se contenter de manger avec les yeux à sept ans je rentre les joues rouges le toupet ébouriffé le dos en sueurs d’avoir construit mon château de givre je rentre au chaud et baigne dans les effluves du poulet aux olives de ma mère je mijoterais bien dans le bouillon citronné pour attendrir mes engelures doucement, être bordée par les pommes de terre, en faire ma robe de chambre l’hiver est un café à la cardamome qui refroidit trop vite ma mère maîtrise parfaitement le poulet à la pancetta et ces tomates farcies de Josée le saumon en croûte d’épices de Josée le sorbet aux mandarines de Josée les poires pochées de Josée la panna cotta de Josée et surtout, sa moussaka son tiramisu secrets bien gardés Daniel Pinard peut aller rhabiller son poulet en crapaud Ricardo, lui, peut songer à supprimer sa recette d’omelette au micro-onde j’ai longtemps rêvé secrètement qu’on passe à À la di Stasio dans un épisode spécial «mère-fille» mais personne n’a su l’inventer j’attends toujours faisant les cent pas sur le terrazzo de la cuisine les citrons confits sont déjà tout gorgés de sel et la tresse de piments dessèche, s’emplit de rides
*Pour lire le texte qui a remporté le premier prix, procurez-vous le numéro Famille.