Sucre du pays, douceur du printemps
Publié le
20 mars 2019
Texte de
Hélène Raymond
Photo de
Axelle Dandelot
Chaque année, c’est pareil. Dans les érablières, on se demande à quel moment il faut entailler, quand ça va commencer à couler, si ça coulera en abondance, quelle région productrice sera avantagée… C’est pas fini tant que c’est pas fini! Comme l’aurait dit Yogi Berra. Quand la Montérégie récure ses installations, des colonnes de vapeur s’élèvent encore au-dessus des forêts du Témiscouata et ça chauffe à plein régime au Bas-Saint-Laurent et jusqu’en Gaspésie. La saison est aussi longue que le territoire est grand.
Sur Facebook, les cabanes s’annoncent. On promet une expérience unique, voire familiale. Dans les magazines, se multiplient les listes d’érablières. Les associations touristiques se disputent les clients. Le long des autoroutes, les stationnements s’emplissent. On aime la cabane. Elle se diversifie, se démocratise, s’urbanise, se raffine pour que chacun y trouve son compte.
Au printemps, il est fréquent de lire au sujet des acériculteurs que c’est de la sève qui coule dans leurs veines. Ils sont nombreux à travailler dans les 11 000 érablières du Québec pour percer près de 50 millions d’entailles et espérer la coulée. Entailler exige une énergie folle. Après, au bouilleur de prendre la relève pour travailler, jusque dans la nuit. Pas besoin d’aller au gym!
Nous avons fait un bout de chemin ces dernières années en matière d’érable. Les artisans producteurs prennent leur place. Je pense au chef Martin Picard qui célèbre l’érable, en poursuivant sans relâche sa quête de connaissances. On diversifie les produits, rajeunit les emballages, vinifie et distille la sève. Au moment des dégustations, Nathalie Decaigny, copropriétaire du Domaine Acer au Témiscouata, observe des changements: «Aujourd’hui, avec les nouvelles générations, je sens plus de curiosité, un intérêt qui grandit quand j’offre nos vins et boissons d’érable. Et le travail que nous effectuons avec L’Union des distillateurs de spiritueux d’érable nous permettra bientôt de mettre l’Acerum en marché. Cette eau-de-vie d’érable obtenue par la fermentation, la concentration et la distillation nous ramène à l’essence. Ce sera la quintessence du produit. » Nous pourrions donc bientôt boire un alcool qui, comme le rhum agricole des Antilles, le bourbon du sud des États-Unis, le cognac de la Charente, sera un reflet de notre terroir. Une appellation contrôlée, impossible à reproduire ailleurs.
De plus en plus d’acériculteurs goûtent leur sirop, apprennent à détecter ses défauts, choisissent l’équipement en fonction de sa capacité à bonifier les flaveurs, réfléchissent à leur impact environnemental. Dans un monde idéal, on pourrait à la fois, protéger érablières et cabanes qui témoignent du patrimoine, continuer de développer la technologie et pousser de plus en plus loin la recherche pour comprendre ce qui distingue sirops et terroirs. Nathalie Decaigny dit qu’il lui importe de faire les meilleurs et les plus beaux produits d’érable qui soient et les mettre en scène. Un objectif que devrait adopter le monde acéricole pour séduire autant la clientèle locale qu’internationale. Le Québec est le premier producteur mondial de sirop d’érable, faut-il le rappeler.
Philippe Mollé nous suggère d’avoir, à portée de main en cuisine, du sirop adapté à l’usage, comme pour l’huile. Pourquoi pas dès 2019? Au jour le jour, apprenons à le goûter, faisons provision, utilisons-le couramment, exigeons sa présence sur les tables. Soyons fiers! Sucrons moins, bien évidemment, mais sucrons mieux. Avec le sucre du pays.
Bon printemps!
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