Au menu de l’Action de grâce: le partage et la reconnaissance - Caribou

Au menu de l’Action de grâce: le partage et la reconnaissance

Publié le

07 octobre 2022

action de grace
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En rôti roulé, en poitrine arrosée de sauce brune, ou entier sous une peau bronzée et croustillante: si vous célébrez l’Action de grâce, il y a fort à parier qu’un certain volatile glougloutant occupe une place de choix à votre table. 

Texte de Laura Shine

Dans bien des familles, la dinde ouvre le cortège des festivités à l’Action de grâce, flanquée de ses fidèles compagnons saisonniers la canneberge, la courge et la pomme de terre en purée. Une tarte à la citrouille ou aux pacanes ferme souvent le bal. Mais le menu qu’on considère aujourd’hui comme traditionnel est en réalité d’adoption plutôt récente.

Un festin, plusieurs fonctions

Fêtes des récoltes, cérémonie religieuse, congé civique, célébration familiale: au fil des siècles, l’Action de grâce revêt une vaste gamme de significations socioculturelles. Chaque fois, le menu qu’on y sert reflète le contexte et les disponibilités de l’époque.

Les peuples autochtones d’Amérique du Nord célébraient l’abondance alimentaire et la transition saisonnière bien avant l’arrivée des colons européens. Danses, festins et prières servaient alors de remerciement pour les récoltes fructueuses ou appelaient une chasse abondante qui permettrait de survivre à l’hiver. «Les Iroquoiens semaient du maïs, des courges, des haricots, des graines de tournesol. Ensuite, on remerciait et on célébrait les récoltes à l’automne. D’ailleurs, lors de son passage en Nouvelle-Angleterre, Samuel de Champlain a constaté qu’on organisait ce même genre de fête chez des populations de langue algonquienne», précise l’historien Michel Lambert

À leur arrivée en sol nord-américain, les colons importent à leur tour une tradition de grâces, empreinte cette fois-ci de rituels chrétiens et des traditions paysannes du Vieux Continent. C’est d’ailleurs sur nos rivages qu’une première Action de grâce à saveur monothéiste aurait été célébrée. À son arrivée dans l’Arctique en 1578, le navigateur anglais sir Martin Frobisher remercie Dieu d’avoir mené l’équipage à bon port. Au menu: bœuf salé, gâteaux secs et purée de pois. 

Et la dinde? Alors abondante dans ce qui constitue aujourd’hui le Mexique et le sud des États-Unis, elle n’existe pas encore à cette époque sous nos latitudes nordiques. 

Au cours des siècles suivants, les colons organisent régulièrement des festins pour souligner des récoltes abondantes, des expéditions maritimes couronnées de succès ou encore des succès militaires. Les membres des nations autochtones alliées y sont parfois conviés. 

Mais il faut attendre 1859 pour que l’Action de grâce soit célébrée de façon officielle dans la Province du Canada, alors que le clergé protestant adopte la coutume importée des États-Unis par les Loyalistes fidèles à la Couronne britannique. Vingt ans plus tard, la fête devient un congé civique annuel dont la date est déterminée chaque année par le Parlement. C’est peut-être cet héritage anglo-saxon et protestant qui explique sa plus timide adoption parmi les francophones d’origine catholique. 

Une fête qui s’ancre dans les mœurs 

La date actuelle des célébrations, soit le deuxième lundi du mois d’octobre, n’est fixée qu’en 1957. À l’époque, dans la Belle Province, précise Michel Lambert, «on ne l’associait toujours pas à la dinde, mais plutôt au gibier, parce que c’était le temps de la chasse. Dans mon enfance, au Saguenay, on mangeait de la tourtière au lièvre, à la perdrix, à l’orignal. Quand c’était l’abondance, l’Action de grâce, c’était une fête de remerciements pour la nature qui nous permettrait de survivre à l’hiver. Ce n’était pas une fête des récoltes, mais plutôt une fête du gibier. Et ça n’avait pas de connotation religieuse.»

Moins célébrée parmi les Québécois francophones que chez nos concitoyens anglophones, la fête telle qu’on la connaît aujourd’hui s’inspire directement de traditions importées du sud de la frontière. Aux États-Unis, près de 45 millions de dindes sont abattues chaque novembre (leur Thanksgiving a lieu le quatrième jeudi du mois). Au Canada, l’an dernier, ce sont 2,7 millions de dindes entières qui ont été achetées en prévision de la fête, soit 45% des ventes annuelles au pays. 

Mais comme le rappelle Michel Lambert, le volumineux oiseau n’est arrivé que récemment sur les tables québécoises. 

«L’histoire de la dinde, ça vient des Américains. La tradition européenne apportée par les colons est héritée de la tradition celtique: on mangeait plutôt des oies, sauvages ou d’élevage, pour les fêtes de la saison froide, Noël inclus.»

Michel Lambert

*

Vers le milieu du 20e siècle, des éleveurs du Charlevoix et de Lanaudière démarrent de grosses productions de dindes pour répondre à la demande américaine. Leurs volailles prennent essentiellement le chemin des États-Unis, à l’occasion de leur Thanksgiving. «Mais les éleveurs se sont retrouvés avec des surplus et ont commencé à les revendre dans les épiceries urbaines du Québec, qui pouvaient les offrir à bien meilleur prix que la fameuse oie traditionnelle.» Ainsi s’enclenchait la migration des dindes vers les assiettes plus nordiques. 

Malgré un menu et une charge symbolique qui évolue au fil des siècles, l’Action de grâce demeure un moment de partage et de remerciement, une occasion de célébrer avec famille et amis l’abondance et la richesse de notre garde-manger.

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Ce texte est paru à l’origine dans les pages du quotidien Le Devoir, le 8 octobre 2022.

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